Histoire : la politique du logement à Grenoble de 1984 à 1993

Publié le 10 décembre 2021

En 1983, A Carignon est élu maire de Grenoble et va finir son deuxième mandat fin 1994 en prison pour corruption et enrichissement personnel grâce à la vente du service de l’eau de Grenoble. Au lieu de partir de la vie politique discrètement, il revient avec tambour et trompette et donne ses leçons en laissant croire à celles et ceux qui n’ont pas connu cette période de 1983 à 1995, que ses décisions avaient été merveilleuses pour la ville.

Mais les faits sont têtus, ils disent l’histoire pas si glorieuse, il suffit d’aller les chercher dans les archives municipales ou dans les mémoires d’élu.e.s et de citoyens qui ont vécu cette période dans son opposition. C’était le cas des élus de E2A (Ecologie, Alternative, Autogestion), association qui est devenue l’ADES : Geneviève Jonot, seule en 1983, puis Raymond Avrillier et Claude Jacquier, jusqu’en 1995.

Carignon a mis la ville en surendettement en jetant l’argent par les fenêtres, le patrimoine de la ville n’était plus entretenu… et une politique du logement désastreuse qui a déstructuré la ville en organisant les ghettos de pauvre et les ghettos de riches, laissant un lourd héritage aux équipes suivantes.

Avant de se faire prendre par la justice, Carignon a tenu en avril 1994 une conférence de presse sur sa politique du logement et comme à son habitude, il a travesti la réalité.

Les élus E2A ont répondu à ce tissu de mensonges par un document de juin 1994 qui s’intitule « Les enjeux de la politique du logement et de la politique de la ville à Grenoble ». Il a été rédigé par Claude Jacquier, chercheur au CNRS, spécialiste de ces questions, qui est allé rechercher les chiffres officiels ministériels concernant la construction des logements à Grenoble durant les deux périodes : de 1974 à 1983 sous la gestion Dubedout et de 1984 à 1993, sous la gestion du corrompu.

Pour la période Carignon, la réalité est d’une grande clarté.

En ce qui concerne le logement social, c’est le grand freinage, par contre pour le logement non aidé et de prestige c’est l’explosion. La bétonisation haut de gamme coulait à flot. En moyenne annuelle c’était 700 logements par an.

Le corrompu espérait changer suffisamment la sociologie de la ville pour pouvoir continuer à la maintenir bien à droite.

Voici quelques des extraits du document des élus E2A.

Logements commencés 1974-19831984-1993Différence
Logements locatifs sociaux (HLM, PLA)16731453-220
Logements en accession aidée13781011-367
Total logements aidés30512464-587
Logements non aidés138445393155
Total logements443570032568

« Le discours de la méthode selon A. Carignon

A travers ces chiffres, il est en effet très intéressant d’examiner quels sont les miracles de «la méthode d’intervention employée par la ville de Grenoble ».

C’est ce qu’on appelle aux Etats-Unis la méthode du pull-push (littéralement tirer-pousser), une méthode infaillible et éprouvée pour fabriquer des ghettos, des ghettos de pauvres qui sont la contrepartie des ghettos de riches.

La méthode est simple.

Premier principe : Laisser libre cours à la promotion privée de logements de standing.

Ce principe a été largement appliqué dans le nord de la commune (Berriat-Gare, Centre, Capuche-Berthelot-Perrot) dans une volonté de changer la population de cette partie de la commune et de contrecarrer la politique antérieure visant à y maintenir certaines catégories de populations « peu recommandables et dont ce n’est plus la place » (cf. Très Cloîtres, Berriat).

Pour ces populations, les dix dernières années ont été celles du transfert du nord vers le sud de la commune ou vers les communes périphériques disposant de logements sociaux. C’est ce que l’on appelle le principe du filtrage (la fabrique de ghettos) qui repose sur trois jeux d’enfants : le chat perché pour les populations les plus aisées, le toboggan pour les « expulsés », le mistigri par rejet de proche en proche de ceux qui gênent dans le voisinage.

A Grenoble, ce principe fonctionne à plein depuis dix ans, renforçant la ségrégation nord-sud et générant les difficultés que l’on sait dans les quartiers d’habitat social. C’est d’ailleurs ce que reconnaît explicitement le document d’orientation du Plan Local de l’Habitat (PLH). « Sur la ville-centre proprement dite, il y a aussi un accroissement de la ségrégation sociale, avec une coupure marquée entre les quartiers au nord des Grands Boulevards et les quartiers sud qui en 1975 accueillaient indistinctement cadres et ouvriers… »

Ainsi, et contrairement à ce que dit le maire, la ségrégation et les difficultés des quartiers sud tiennent moins à leurs caractéristiques architecturales et urbanistiques (les grands ensembles) qu’à la machine infernale de filtrage et de pull-push qu’il a mise en place depuis dix ans. Il ne s’agit plus de construire des logements neufs, de bonne qualité, pour les catégories les plus démunies, mais de construire des logements de standing pour les personnes les plus aisées, logements qui dévaloriseront les anciens logements et, de proche en proche, libéreront des logements de moins bonne qualité qui pourront être occupés par les populations les moins solvables. Dans ce processus, certains quartiers se trouvent être ainsi complètement dévalorisés…

Deuxième principe : construire quelques logements locatifs sociaux et quelques logements en accession aidée au nord de la commune…

Onze ans après l’accession au pouvoir du Maire, le fonctionnement de la commission d’attribution de l’Opale reste un mystère et un secret de polichinelle. Le maire a même supprimé la commission logement du Conseil

Municipal, instance démocratique « insupportable » qui pouvait troubler ce petit jeu. Les représentants du conseil municipal au conseil d’administration de l’Opale (5 élus de la majorité) n’ont jamais rendu compte de leur mandat et le conseil municipal n’a jamais pu débattre de la politique communale du logement. Cette absence de compte rendu de mandat est aussi le fait des représentants désignés par le Préfet au conseil d’administration de I’OPALE (certains appartenant au groupe PS du conseil municipal).

Bref, le logement est une variable politique essentielle qu’il faut gérer en petit comité (entre grands partis politiques au pouvoir dans les communes de l’agglomération) afin d’y préserver certains pré-carré. Il n’est pas bon d’ouvrir le jeu à d’autres pratiquants…

Troisième principe. Geler la politique de réhabilitation publique du logement et liquider le patrimoine acheté jadis dans le parc ancien plutôt que de réaliser des opérations de réaménagement…

En dix ans, la ville de Grenoble a laissé se dégrader tous les outils permettant la mise en œuvre des opérations de réhabilitation : disparition des équipes de conception et départ des techniciens qualifiés liquidation de la Régie Foncière et Immobilière de la Ville de Grenoble (RFIVG) gestionnaire du patrimoine municipal dans l’ancien et par ailleurs de Grand’Place, suppression des outils juridiques et financiers d’intervention, en particulier la zone d’aménagement différé (ZAD) qui permettait de racheter des logements et de faciliter la réhabilitation.

Quatrième principe. Laisser se dégrader les quartiers sud pour créer les conditions d’une reprise en main…

Le maire a toujours considéré que ces quartiers étaient comme une erreur socialiste (cas de la Villeneuve) alors que bon nombre des grands ensembles (Teisseire, Jouhaux, Mistral) ont été construits sous la période gaulliste du Maire Michallon.

En fait, le choix de la Villeneuve comme quartier DSQ en 1989 a plus relevé d’une stratégie de stigmatisation de l’opération phare socialiste des années soixante-dix que d’une véritable stratégie de développement.

Hubert Dubedout ayant été l’initiateur de la politique DSQ en France et père de l’opération-modèle Villeneuve, quel bel effet-boomerang dont Alain Carignon n’a pas manqué d’utiliser dans la presse.

A l’analyse, on s’aperçoit que la mise en DSQ de la Villeneuve se justifiait moins que pour d’autres quartiers (Teisseire ou Jouhaux). Tout a été fait pour que le programme DSQ de la Villeneuve ne soit pas à la hauteur des espoirs : absence de ferme volonté politique du Maire, valse des élus responsables, travail de sape de certains membres de la haute administration municipale contre l’équipe Villeneuve, formalisme des réunions, suspicion généralisée entre les partenaires, … On peut même dire, sans risque d’être contredit, que le DSQ a été utilisé pour affaiblir l’opposition politique municipale ancrée dans ces quartiers et que celle-ci, d’une certaine façon, s’est laissée manipulée dans ce petit jeu sans envergure.

Pendant 10 ans, ces quartiers sud ont été considérés comme un déversoir pour ceux dont le reste de la ville ne voulait pas ou qui ne pouvaient pas se payer un accès aux opérations de standing réalisées dans les quartiers nord (application du principe du toboggan). Ces quartiers et la politique DSQ n’ont pas représenté pour le maire un autre enjeu politique que celui de leur affaiblissement. Conforté sur son bastion nord, utilisant le sud comme repoussoir, le maire n’avait pas besoin jusque-là des forces électorales du sud pour se maintenir au pouvoir. Il y a d’ailleurs toujours laissé le champ libre à ses opposants favoris et sans risque, Michel Destot (député de la 3ème circonscription et conseiller général du canton 3) et Annie Deschamps, (conseillère du canton 6) en ne leur opposant que des seconds couteaux à qui il était interdit de s’implanter… »

En annexe, le document présente ce qui était en train de se passer dans le quartier Bajatière, où des permis de construire sont délivrés pour construire 520 logements. C’était le temps du copinage entre élus et promoteurs où le règlement d’urbanisme est adapté par Carignon pour le bon vouloir des promoteurs privés.

« Spécial copinage : pour l’emplacement du Normandie réalisé à la place d’une maison de personnes âgées, le coefficient d’occupation des sols (COS) est passé de 0,25 avant 1987 à 1,25 en 1989.Il a été multiplié par 5. Beau profit pour le promoteur de cet immeuble qui a pu faire 86 logements sur 7 étages au lieu de 17 autorisé antérieurement »

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