Le 24 avril, on ne touche pas à la Constitution, on vote contre Le Pen

Publié le 22 avril 2022

A la veille du 2ème tour des élections présidentielles, rappelons que la candidate d’extrême droite propose de vouloir changer notre Constitution, par voir référendaire, pour imposer sa politique d’exclusion des étrangers par la préférence nationale qui est contraire à notre bloc constitutionnel, ce qui serait un véritable coup d’Etat constitutionnel.

Il y a un seul article de la Constitution (n° 89) qui permet de réviser la Constitution :

« L’initiative de la révision de la Constitution appartient concurremment au Président de la République sur proposition du Premier ministre et aux membres du Parlement.

Le projet ou la proposition de révision doit être examiné dans les conditions de délai fixées au troisième alinéa de l’article 42 et voté par les deux assemblées en termes identiques. La révision est définitive après avoir été approuvée par référendum.

Toutefois, le projet de révision n’est pas présenté au référendum lorsque le Président de la République décide de le soumettre au Parlement convoqué en Congrès ; dans ce cas, le projet de révision n’est approuvé que s’il réunit la majorité des trois cinquièmes des suffrages exprimés. Le bureau du Congrès est celui de l’Assemblée nationale.

Aucune procédure de révision ne peut être engagée ou poursuivie lorsqu’il est porté atteinte à l’intégrité du territoire.

La forme républicaine du Gouvernement ne peut faire l’objet d’une révision. »

Ne pouvant pas utiliser cet article pour faire son référendum sur la préférence nationale, Mme Le Pen (n’aurait pas l’accord du Sénat, au cas où elle aurait une majorité à l’Assemblée nationale), propose d’utiliser l’article 11 qui serait un détournement de procédure qui serait bloquée par le Conseil Constitutionnel qui est habilité à contrôler la régularité des opérations de référendum (article 60).

Les propositions du Rassemblement National veulent détruire notre Etat de droit et réaliser ce que fait Orban en Hongrie ou ce qui se passe en Pologne par la mise en place d’Etat illibéral.

Le professeur de droit constitutionnel Dominique Rousseau explique dans Le Monde du 19 avril, ce qui distingue juridiquement l’Etat de droit d’un Etat illibéral.

Qu’est-ce que l’Etat de droit ?

C’est un Etat qui est soumis au respect des droits fondamentaux et au contrôle des citoyens pour faire respecter ces droits. Les citoyens observent si les décisions des pouvoirs publics et du pouvoir politique sont respectueuses des droits tels qu’ils ont été énoncés dans la Déclaration des droits de l’homme de 1789 et dans le préambule de la Constitution de 1946. Ce contrôle des citoyens sur l’action de l’Etat se fait par l’exercice des libertés, comme la liberté de la presse, la liberté d’expression et l’indépendance de la justice. Les citoyens sont ainsi libres de faire contrôler par un juge indépendant si les décisions administratives ou les lois votées respectent les droits et libertés fondamentaux. Même élu démocratiquement, un Parlement ou un pouvoir exécutif ne peut pas tout faire. Si on ne peut pas se passer de l’Etat, il doit rester sous le contrôle des citoyens.

C’est expressément énoncé dans le préambule de la Déclaration de 1789, selon lequel les droits énoncés sont faits pour permettre aux citoyens de comparer l’action des pouvoirs publics à ces droits. Et, ensuite, pour leur permettre, s’il apparaissait que l’action des pouvoirs publics n’était pas conforme aux droits fondamentaux, de réclamer justice.

Ce contrôle peut-il se faire par référendum ?

Non. Le référendum permet de poser une loi, pas de s’assurer qu’elle n’est pas contraire aux droits fondamentaux comme la liberté d’aller et de venir ou la libre circulation des idées par exemple. Il faut qu’il y ait un instrument qui permette de contrôler que les lois votées, que ce soit par le Parlement ou par le peuple, respectent les droits fondamentaux.

C’est exactement ce type de problème qu’il y a aujourd’hui en Pologne ou en Hongrie, où l’on restreint les possibilités pour les citoyens de contrôler l’Etat. La liberté de la presse, l’indépendance de la justice et la liberté universitaire sont ainsi remises en cause. C’est la différence entre un Etat de droit et un Etat illibéral, populiste.

La préférence nationale peut-elle être compatible avec les engagements internationaux de la France ?

La préférence nationale nous ferait sortir non seulement des textes internationaux relatifs aux droits de l’homme comme la Convention européenne, mais aussi de la Déclaration des droits de l’homme de 1789, qui inscrit le principe d’égalité dans l’identité constitutionnelle de la France. Ce principe a été précisé par le Conseil constitutionnel à plusieurs reprises, en 1990 puis 1991 et 1993. Et en 2011, il a défini un statut constitutionnel des étrangers qui leur reconnaît les mêmes droits qu’aux nationaux en ce qui concerne l’exercice des droits fondamentaux. La préférence nationale serait ainsi une rupture radicale avec l’identité de la France.

Peut-on faire primer le droit français sur le droit européen tel qu’interprété par les cours de Strasbourg ou de Luxembourg ?

Le droit européen n’est pas un droit étranger. C’est un droit fabriqué par les Etats nations. Ce sont les gouvernements des Vingt-Sept qui construisent les directives et élaborent les règlements. On ne peut donc pas l’opposer au droit national.

De plus, il y a un contrôle en amont du droit européen, puisque la Constitution permet au Parlement français de faire savoir avant l’élaboration de toute décision européenne s’il est d’accord avec le projet de directive ou de règlement. Et, en aval, le Conseil constitutionnel vérifie, s’il est saisi, si les actes européens portent atteinte ou non à l’identité constitutionnelle de la France. Il peut notamment écarter l’application d’une directive. Les Etats et leurs gouvernements ne peuvent pas s’affranchir d’un droit qu’ils ont contribué à construire en association avec leur Parlement. Ce n’est pas un droit supranational. On raisonne, à tort, d’un point de vue pyramidal, hiérarchique. Mais il faut penser en termes de réseau. Le droit européen résulte d’une mise en réseau horizontal des droits nationaux. Il est donc le droit commun aux Etats européens.

Que pourrait changer l’inscription dans la Constitution de la primauté du droit national sur le droit européen ?

Ce serait un « frexit » soft. Permettre de ne pas respecter le droit européen lorsque le gouvernement ou le Parlement l’auront décidé, c’est s’engager dans la voie de la Hongrie ou de la Pologne. Ce serait nous faire sortir de façon progressive ou indirecte de l’Union européenne. »

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