Depuis plus de 10 ans (sous Sarkozy) la gestion des crèches a été ouverte au privé à but lucratif, sous prétexte que le public n’arrive pas à ouvrir des places de crèche, alors que les familles en ont besoin. Très rapidement des opérateurs privés, nationaux puis internationaux se sont positionnés sur ce créneau, profitant de la directive européenne Bolkestein qui a autorisé, entre autres, les services de la petite enfance à s’ouvrir au privé. Des fonds d’investissements viennent chercher des rémunérations par des dividendes auprès des crèches françaises privées. Aujourd’hui pour assurer une croissance rémunératrice, les crèches privées investissent en Europe. (cf. 1- article des Echos).
Ils obtiennent de la CAF (Caisse d’Allocations Familiales) une prise en charge de 50% des investissements nécessaires à la création d’une crèche, et doivent garantir que les locaux seront affectés pendant 10 ans. Déjà à la base c’est intéressant pour obtenir du foncier. Ensuite l’objectif, pour assurer les dividendes, c’est de croître pour faire des économies d’échelle : racheter, fusionner, s’étendre en Europe (cf 2/ avis de l’autorité de la concurrence) et au final assurer des dividendes aux investisseurs.
Pour que des crèches privées puissent ouvrir sans l’aide des communes, il est proposé à des entreprises de faire de l’allègement fiscal, en proposant des places pour leur salarié.es. Par ailleurs un nouveau modèle de crèche est inventé : la micro-crèche. Tout d’abord elle permet de facturer aux familles un tarif libre, plutôt qu’un tarif règlementé dépendant des revenus. Ensuite la règlementation des micro-crèches a allégé certains points de fonctionnement, comme le niveau des diplômes et le taux d’encadrement le matin et le soir. Alors que dans toutes les autres crèches il faut être au minimum 2 personnes pour accueillir les enfants, en microcrèche il peut n’y avoir qu’un.e seul.e adulte s’il y a moins de 4 enfants.
Bien entendu, les entreprises de crèches privées ont les oreilles des politiques, les réseaux sont les mêmes : la finance et les grandes entreprises. Petit à petit, des points de la réglementation vont dans le sens du moindre coût d’investissement et de fonctionnement de ces structures. Le social, comme la santé est toujours d’un coût trop élevé pour certains.
On ne peut que s’inquiéter de cette dérive qui tend à s’étendre. Des sonnettes d’alarme ont été tirées sans être entendues, ou très partiellement. Le financement public des crèches qui est assuré obligatoirement par les communes et la CAF, n’est plus opérationnel depuis 15 ans. Les communes qui n’ont pas d’obligation en la matière, n’ont plus les ressources pour les investissements et le fonctionnement de ces structures. A Grenoble 200 places de crèche ont fleuri dans les micro-crèches privées. A titre d’exemple, c’est la crèche qui était prévue sur la Presqu’Ile qui en a fait les frais, : le CCAS n’ayant pas les fonds d’investissement pour l’achat, c’est finalement une crèche privée gérée par les Petits Chaperons Rouges qui s’est installée. Les places sont prioritairement offertes à des salariés d’entreprises qui financent, et non pas aux habitants des logements sociaux des alentours.
Autre phénomène, le secteur d’emploi de la petite enfance est en tension. 20% des étudiant.es qui sortent de l’école d’Educateurs de jeunes enfants (3 ans après le BAC) n’exercent pas ce métier. C’est un secteur de femmes sous payées, avec des conditions de travail de plus en plus dures, des systèmes de remplacement non fonctionnels, un épuisement professionnel important, et peu d’évolution professionnelle possible.
Le diplôme actuellement mis en avant est le CAP Accompagnant Educatif de la Petite Enfance, 1 an de formation, recrutement niveau 3ème (pas le BAC), 4 semaines de stage. Depuis plusieurs années les CAP EPE s’obtiennent à distance (cf. pub à la télé). Pas besoin de suivre des cours. Ce personnel peu formé occupe maintenant la moitié des effectifs des crèches. Mais cette formation est complètement insuffisante.
Actuellement l’ensemble des crèches n’arrive plus à recruter, c’est une préoccupation nationale. Certaines crèches réduisent leurs horaires pour fonctionner. C’est la pénurie.
Les métiers de la petite enfance sont de plus en plus complexes. Par exemple, les psychologues des crèches au CCAS, sont débordés par des situations complexes d’enfants et de familles.
La rentabilité est contraire à l’éducation, à l’éveil de l’enfant, à l’accompagnement des familles, au social…
Et fin juin 2022, à Lyon, une employée d’une microcrèche privée gérée par People and Baby, récemment recrutée et qui venait tout juste d’obtenir son CAP EPE, a ouvert seule la crèche à 7h30. Excédée par les pleurs d’un enfant de 11 mois, elle lui a fait ingurgiter du Destop. La petite fille en est morte. (cf. 3).
Mais si les drames permettent de mettre à jour les dysfonctionnements des structures qui s’occupent des autres et notamment des plus vulnérables (petite enfance, EHPAD, Centres de loisirs…) il ne faut pas occulter la responsabilité individuelle : donner volontairement un produit hautement toxique à un bébé est une tentative de meurtre et doit être sanctionné comme tel. Toutes les auxiliaires puéricultrices ou autre agent de petite enfance n’en arrivent pas à commettre de tels actes.
On peut juste se dire que si l’employée de People et Baby avait eu droit à une période d’observation comme dans tout autre emploi et/ou à la présence d’une autre collègue avec elle ce jour-là, cela aurait permis de se rendre compte que cette personne n’était pas faite pour ce travail.
La sonnette d’alarme sur les conditions d’accueil en crèche ne cesse de sonner (cf. 4 article de Mediapart »). Le collectif Pas de bébé à la consigne (cf. 5) a fait 20 propositions intitulées « Donner toutes leur.s place.s aux bébés », relayées auprès des candidat.e.s à la présidentielle et des député.e.s « pour rétablir la qualité d’accueil des tout petits »…. Quand est-ce que cela va être entendu ?
Il faut revoir la réglementation avec un objectif de qualité d’accueil pour les enfants : encadrement, surface par enfant, application de la charte petite enfance, contrôle par la PMI plutôt que par les CAF comme c’est étudié pour le futur, les normes d’encadrement et surtout la formation des professionnels.
Notes :
1/ Les Echos. Les crèches privées rêvent d’Europe. Cinq acteurs dominent aujourd’hui le marché français. Que ce soit en termes de marché ou d’élargissement des gammes de services, l’avenir des entreprises de crèches passe largement par l’international. Babilou, Les Petits Chaperons Rouges (géré par le groupe Grandir fusionné avec Crèche attitude, filiale de Sodexo), La Maison Bleue, People & Baby.
2/ L’Autorité de la concurrence autorise le rachat des crèches Liveli gérées par la société Crèche attitude par le groupe Grandir, qui exploite les crèches Les petits chaperons rouges.
3/ Article qui donne le détail des faits mais minimise la problématique générale. Ce média est financé par le secteur des crèches privées.
4/ Médiapart. La mort d’un bébé survenue la semaine dernière à Lyon a provoqué la stupéfaction. Mais depuis de longs mois, les conditions d’accueil en crèche se dégradent. Et des professionnels, des experts ou représentants du secteur tirent la sonnette d’alarme. Témoignages. »
5/ Pas de bébé à la consigne sur le web et facebook.
Mots-clefs : enfance, services publics