Le 10 août 1792, chute de la royauté, un silence institutionnel

Publié le 16 août 2022

Jérôme Soldeville conseiller municipal délégué à l’Histoire de Grenoble nous rappelle que le 10 août 1792 est une date essentielle de l’histoire, qui voit la chute de la royauté, premier acte vers la fondation de la Ière République, mais que cet anniversaire est ignoré par les institutions. Ses recherches dans les Archives de Grenoble montrent quel séisme cette chute de la royauté va produire à Grenoble. On y voit que l’histoire locale rejoint l’histoire universelle. Voici son récit :

L’anniversaire du 10 août 1792 : un silence institutionnel

Il y a 230 ans avait lieu la prise du palais des Tuileries par les Sans-culottes ; c’était la chute de la royauté et un premier acte vers la fondation de la Ière République. Mais qui en parle ? Sûrement pas Macron !

D’où viennent ce silence et ce voile pudique institutionnel ? Ne comptons évidemment pas sur Macron pour lequel la République se trouvait à Versailles en 1871… c’est-à-dire avec une majorité de monarchistes ! Selon cette vision historique, il serait capable d’affirmer qu’elle se trouvait aussi du côté des défenseurs des Tuileries, le lieu qu’il a d’ailleurs choisi pour mettre en scène sa première intronisation, ce qui est plus qu’un symbole…

Ne serait-ce pas alors pour renier par omission la puissance de ce basculement, voyant une monarchie multiséculaire céder sous les coups de la rage populaire, voyant l’apparition d’une République égalitaire, créant le « maximum général » des prix pour protéger les plus pauvres (29 septembre 1793), instituant le droit au divorce avec l’égalité entre femmes et hommes pour l’initiative de la séparation (20 septembre 1792), abolissant l’esclavage (décret de la Convention du 4 février 1794) et promouvant huit généraux afro-descendants à la tête des Armées de la Ière République !

Ou les raisons de ce silence ne sont-elles pas la violence extrême du moment qui voit le peuple de Paris prendre son destin en main (quelques semaines plus tard se dérouleront les terribles massacres de septembre dans les prisons parisiennes) ? Une violence dont l’évocation effraie encore aujourd’hui un gouvernement hanté par le spectre des gilets jaunes et prêt à tout (y compris le despotisme) pour sauvegarder les intérêts des plus riches ? En effet que faire d’un événement historique qui marque la volonté populaire (et de Marat personnage emblématique) de construire une nouvelle société égalitaire et démocratique, ainsi qu’un nouvel ordre social, économique, militaire, politique et idéologique, qui ne reposerait pas sur l’autorité de l’individu masculin d’origine européenne ?

La chute de la royauté à Grenoble

Une plongée dans les Archives de Grenoble, ville dont l’histoire est tout à la fois résistante, révolutionnaire et républicaine, permet de se rendre compte du séisme provoqué ici par la chute de la royauté : on y découvre la figure d’une femme indépendante la « citoyenne Barral », épouse du maire de Grenoble – lui-même ancien ci-devant ayant abandonné ses titres et privilèges en 1789 – qui, grâce aux nouvelles lois émancipatrices de la République, non seulement obtient le divorce aux dépens de son maire de mari, mais qui encore participe à une souscription pour l’installation d’une statue de Marat au cœur de la cité dauphinoise la place aux Herbes, rebaptisée et dédiée à Marat à la demande de la population ;on y trouve aussi la trace de la nomination d’un général en chef de l’armée des Alpes dont les quartiers sont à Grenoble, Alexandre Dumas, « l’Hercule noir des Alpes », né esclave à st-Domingue, de mère de condition servile… celui-ci ayant mission de conjurer la menace mortelle que représente pour la République et Grenoble l’alliance des nobles émigrés et des Armées austro-sardes.

François Martin, dit Martin de Grenoble

Il ne fait pas trop de doutes que l’auteur de ce buste soit François Martin, un artiste important pourtant inconnu du grand public, né à Grenoble en 1761 dans la paroisse st-Louis. Sa première œuvre repérée est buste en marbre blanc de Montesquieu datant de 1776 (signé “F. MARTIN GRATIANOPOLITANUS AETATIS 15 fecit” (« F. Martin de Grenoble l’a sculpté à l’âge de 15 ans) témoignant à la fois du début de sa formation artistique et de sa conscientisation politique précoce ; un témoignage également de l’effervescence intellectuelle et politique régnant dans la cité alpine, qui ne dépasse pas les 25 000 habitant-es en 1789.

Qu’on se remémore le réquisitoire acerbe et ironique de l’auteur de L’esprit des Lois contre l’esclavage des Africains : « il est impossible que nous supposions que ces gens-là soient des hommes ; parce que, si nous les supposions des hommes, on commencerait à croire que nous ne sommes pas nous-mêmes chrétiens ». Le futur ami de Marat puise sûrement dans ces lectures son refus de l’exploitation des uns par les autres et son combat pour l’égalité naturelle, tel qu’il est contredit avant la Révolution par exemple par Le Mercier, intendant du roi de la Martinique : « Le Nègre est comme vos petits paysans, quelque soit leur état, les travailleurs sont soumis à la même inexorable loi : travaille pour moi et je te nourrirai, voilà le Pacte universel des Riches avec les pauvres. »

Dans le domaine artistique pendant la Révolution, le processus d’affirmation de l’individu entamé depuis la Renaissance et qui s’est accentué avec le mouvement des Lumières se traduit par une floraison de portraits d’hommes et de femmes du peuple, auquel l’artiste participe. L’art du portrait ne pouvait plus être réservé à la seule élite. Une évidence pour lui ! Outre Martin, il faut mentionner Louis-Pierre Deseine, artiste sculpteur sourd et muet, auquel nous devons le portrait le plus exact de Robespierre (il est visible au musée de Vizille).

Le destin du buste de Marat

L’artiste exerce à Paris, où il se lie d’amitié avec Marat, sa participation à la chute de la royauté ne fait donc guère de doute. Il vit (assez mal) de son travail et de subventions demandées à la Convention en raison de son engagement artistique pour la République ; après l’assassinat de son ami, il sera chargé d’élever un monument mortuaire. La souscription créée pour l’installation du buste de Marat à Grenoble participait à ce processus mêlant politique et commande artistique. Or, après 9 thermidor, le buste est retiré par le maire Barral (lié aux Beauharnais, et donc au parti sucrier…) de l’espace public comme tous les symboles attachés à Marat et est conservé dans la « Maison commune » avant de disparaître. Un buste réapparaît dans une collection privée au début du 20e siècle*, disparaît à nouveau, puis grâce à un appel lancé par le conservateur du musée de la Révolution via La Tribune de l’Art*, il est retrouvé.

Malgré son départ de Grenoble, ses liens demeurent avec les milieux populaires de la cité alpine : la preuve en est qu’il se marie en 1799 avec Thérèse-Françoise Barberoux, une habitante du quartier st-Laurent, un des foyers les plus actifs des Sans-culottes en raison de sa forte activité artisanale et industrielle, d’ailleurs rebaptisé quartier de la Montagne (référence aux Montagnards de la Convention) en 1794. Installé à Lyon, il finira son existence en 1804 dans la misère, marqué du sceau de l’infamie en raison de son amitié avec Marat. Un destin finalement comparable à celui de Dumas qui meurt dans des conditions identiques en 1806, proscrit et sans pension malgré les services qu’il avait rendus à la République, et qui a été exclu de la Nation en raison du racisme institutionnel du régime napoléonien. 

Tous deux, l’artiste Sans-culottes et le général Noir finissent leur existence en dehors de la « civitas » partageant pour l’histoire le sort des empereurs de la Rome antique, dont il fallait à jamais oublier le nom effacé des inscriptions sur les monuments.

Elu de la commune de Grenoble délégué à l’Histoire, je fais le vœu qu’un jour le buste de Marat retrouve sa place dans la « Maison Commune » (appellation de l’hôtel de Lesdiguières dans les documents municipaux en 1792) , où il a séjourné et que dans le cadre d’une future restauration ce haut lieu chargé d’histoire – les évènements préparatoires à l’Assemblée de Vizille et donc à la convocation des Etats-généraux de 1789 s’y déroulèrent – puisse continuer à avoir un usage digne des luttes pour l’égalité et pour l’émancipation qu’ont mené Marat, Martin et les Sans-culottes mettant à bas la monarchie le 10 août 1792.

NB : La figure de Marat et de l’œuvre de Martin à Grenoble a-t-elle pour autant été totalement effacée ? Non, on peut nettement voir la référence dans le portrait de Félix Poulat, « L’ami du peuple » et héros local du mouvement communaliste par sa participation à l’insurrection du 16 avril 1871, enterré au cimetière st-Roch**, dans le buste qu’a réalisé de lui Henri Ding car il emprunte au réalisme particulier de Martin de Grenoble. Le legs que l’ex communeuse Isaure Perier*** a fait au musée de Grenoble en 1930 sous la municipalité de Paul Mistral comprend aussi un dessin de Marat de la main de David. Ainsi que le dessin (anonyme) d’une pauvre balayeuse qui s’inscrit bien dans la tradition issue de 1792. Isaure demeurait avec Aristide Rey signataire de l’Affiche rouge de janvier 1871 Aristide Rey rue Brocherie, renommée rue Marat en 1794. Si bien qu’il est possible de parler de la longévité et d’une fidélité révolutionnaire et républicaine à l’endroit de Marat à Grenoble bien au-delà de la période révolutionnaire elle-même, et ce malgré les vicissitudes historiques et politiques qui ont suivi. Des personnages et des idées qui vont connaître un regain en raison de la nécessité de maximum écologique ? 

*http://www.parismuseescollections.paris.fr/fr/musee-carnavalet/oeuvres/429-bis-buste-de-marat-1791-martin-de-grenoble 

**https://www.latribunedelart.com/francois-joseph-martin-dit-martin-de-grenoble-1761-1804 

***https://maitron.fr/spip.php?article68873 

**** https://blogs.mediapart.fr/index.php/jerome-soldeville/blog/140322/mort-dun-heros

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