Le Conseil d’Orientation sur les Infrastructures (COI), une instance pluraliste, qui a pour mission d’éclairer le Gouvernement sur les politiques d’investissement dans la mobilité et les transports, a rendu un nouvel avis à la Première ministre E. Borne le 24 février 2023. Parmi les trois scénarii décrits le COI soutient le scénario dit de « planification écologique ».
Pour fixer la feuille de route du Gouvernement pour la décennie 2022-32 ce rapport se focalise sur la transition écologique des mobilités. Il dégage trois scénarii d’investissements.
Le 1er s’inscrit dans le cadre financier actuel très contraint fixé par le Gouvernement et le COI l’écarte clairement. Le 3ème intitulé “priorité aux infrastructures” valide de nouveaux projets routiers ou de lignes à grande vitesse ferroviaires, en réponse à des barons locaux, il a été fait pour servir de repoussoir sans doute.
Le 2ème, dit de “planification écologique” est celui que le COI soutient et que Borne a dit préférer.
Il demande une politique des mobilités sobre et décarbonée, donnant la priorité au ferroviaire, à la régénération et la modernisation du rail plutôt qu’à de nouveaux grands projets d’infrastructures coûteux, le déploiement accéléré des réseaux express métropolitains régionaux comme alternative durable à la voiture individuelle dans les zones urbaines mais aussi pour désenclaver les zones périphériques peu denses (avec 12 réseaux prioritaires dont celui de Grenoble), l’adaptation des routes aux objectifs de réduction de l’artificialisation des sols et enfin, l’augmentation des investissements pour le fluvial.
Le financement de tels investissements est estimé à 175 milliards d’euros sur dix ans.
Borne a donné son accord mais avec des bémols sur le financement, elle va se retourner désormais vers les collectivités (régions et métropoles) pour le plan de financement, en ayant l’intention semble-t-il de mettre aussi à contribution les péages routiers et l’aérien (une taxe sur le kérosène, enfin !).
Mais il reste plein de questions : pour le ferroviaire, comment articuler l’ambition du COI et l’actuel contrat de performance Etat-SNCF Réseau, qui maintient la SNCF la tête sous l’eau ? Doubler la part modale (fret et voyageurs) d’ici 2030 suppose de trouver au moins 1 milliard d’euros par an de plus que le contrat actuel avec ses 2,8 milliards qui ne suffisent pas à sauver le réseau existant en mauvais état.
Si Borne est logique et suit le COI il va falloir sortir du « en même temps », bloquer les fortes hausses des prix des péages ferroviaires prévues (+ 30% en 10 ans alors qu’ils sont déjà les plus chers d’Europe !) qui affecteraient fortement les régions et l’essor du fret.
Si le COI valide les RER métropolitains hélas il ne booste pas les mobilités actives, le vélo et la marche à pied, pourtant complémentaires de l’intermodalité vers le rail. Il y a un scénario ou l’Etat stopperait les appels à projets au prochain quinquennat, alors même qu’enfin les investissements des collectivités locales pour le vélo sont en forte croissance !
Bref ce rapport COI 2023 préconise un changement de paradigme, ce qui est bien. Mais l’État doit maintenant prendre ses responsabilités, faire des choix durables avec une loi de programmation des infrastructures avec au moins 100 milliards pour les dix ans à venir.
Et la nouvelle ligne ferroviaire Lyon-Turin là-dedans ?
C’est un éléphant blanc issu des années 80, celles de la croissance continue des échanges de marchandises entre pays européens (encore) industrialisés, le 1er chantier ferré soutenu par l’UE, un véritable gouffre financier dont les coûts environnementaux explosent et qui enfreint la législation sur l’eau (voir là l’exposé de Pierre Mériaux en 2016 au conseil municipal de Grenoble quand la ville est sortie du protocole de financement du Lyon-Turin).
Le COI confirme son avis de 2018 sur le potentiel de report modal de la ligne existante Ambérieu- Chambéry-Modane qui peut transporter 16 millions de tonnes par an soit le poids transporté par un million de poids lourds. Or depuis plus de 20 ans les frets sont stables (contrairement aux prévisions délirantes des pro-Lyon-Turin) il y a environ 1,4 millions de poids lourds par an qui traversent les Alpes du Nord, on a donc là un outil qui permet de viser un report modal de + 70 %, un taux « suisse » !
Hélas on n’adopte pas les bonnes pratiques des Suisses, qui servent pourtant d’argument majeur des partisans du Lyon-Turin avec leur nouveau tunnel ferré du Gothard. Mais il y a deux différences majeures entre nos pays :
• les Suisses ont saturé leur tunnel historique avec du fret avant de se lancer dans un nouveau tunnel avec une politique complète et cohérente (plafonnement du nombre de poids lourds sur les routes, taxe, contrôle sévère de tous les camions et de la concurrence déloyale via l’exploitation des chauffeurs de l’Est.)
• ils n’ont pas ouvert un autre tunnel routier avant une nouvelle infrastructure ferrée. C’est pourtant ce qu’on fait ici avec la « galerie de sécurité » du Tunnel routier du Fréjus qui a été transformée là en 2ème tube. Ouvrir un nouvel aspirateur à camions financé sur fonds publics détournés via le détournement du Fonds pour l’intermodalité dans les Alpes qui pique 20 M€ par an aux Autoroutes du Mont-Blanc depuis 2012 c’est ça la politique de « report modal » en France ! on finance la pollution de la Maurienne par celle l’Arve ! Les élus LR, LREM et PS soutiens du Lyon-Turin ont tous voté cela (et le maire PS de Chambéry est toujours PDG – payé – des deux sociétés d’autoroute https://www.sftrf.fr/fr/il4-sftrf_p9-conseil-d-administration.aspx).
Or depuis le rapport du COI de 2018 aucune décision n’a été prise pour contraindre les marchandises à se reporter de la route vers le rail, aucun service ferroviaire intermodal nouveau entre la France et l’Italie n’a été lancé. Et hélas le COI 2023 qualifie de « coup parti » le tunnel transfrontalier entre Saint-Jean-Maurienne et l’Italie alors que seuls des travaux de reconnaissance ont été réalisés et que les conditions de financement définies par traité international ne sont pas réunies.
Bref le COI reste ambigu sur ce projet en parlant de « coup parti » tout en estimant que de nouveaux accès en France au nouveau tunnel transnational ne sont pas prioritaires vu le potentiel de la ligne existante Dijon-Modane.
Borne va t’elle sortir de l’ambiguïté en débranchant enfin ce giga-projet inutile comme ce fut le cas à Notre Dame des landes ? Déjà l’État Français, qui devait déposer une nouvelle demande de financement à l’Union Européenne pour ce projet avant fin janvier, a laissé passer l’échéance sans rien demander, signe qu’il ne croit pas à son intérêt.
Borne va se retourner vers les collectivités, sans doute pour leur faire porter le chapeau de l’échec du financement des milliards à trouver. Rappelons que le fret est une compétence de l’État. Donc toute collectivité (région, métropole) qui financerait ce projet le ferait au détriment des besoins de transport au quotidien de ses habitants.
En décembre 2022 les élus écologistes de différentes strates territoriales se sont concertés et ont signé une position commune actualisant celle de 2012 sur le Lyon-Turin, communiquée par les coprésidents isérois des groupes au Sénat et à l’Assemblée, Guillaume Gontard et Cyrielle Chatelain, à E Borne.
Cette position demande une nouvelle étude complète de l’impact environnemental, à l’aune des risques climatiques actuels et futurs.
Le COI 2023 le demande aussi, en pointant aussi l’absence d’estimation financière sérieuse de ce giga-chantier.
La mobilisation locale et politique remonte en Maurienne : après la journée du 4 septembre 2022 ou les élus EELV s’étaient déplacés constater les dégâts du chantier des galeries de reconnaissance et soutenir les opposants qui avaient bloqué des camions de chantier, 3 députés LFI se sont mobilisés le 25 février dernier (G. Amard, JF. Coulomme et M. Panot) sur place. G Amard a pris l’initiative en obtenant la signature des députés NUPES sur une demande de commission d’enquête parlementaire sur les atteintes de l’eau liées au projet, ce qui pourrait déboucher prochainement sur des auditions intéressantes à suivre. Et une nouvelle journée de mobilisation en lien avec Sud Rail et les associations est prévue le samedi 1er avril autour du projet SNCF de désaffecter les 40 voies du triage en Maurienne, ce qui tuerait la possibilité de redévelopper le fret ferré sans nouveau tunnel…
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