« Le vert et le rouge : l’émergence du mouvement écologiste grenoblois, fin des années 1960 -juillet 1976 » : Suite

Publié le 5 avril 2024

Sous forme de série, chaque semaine, sont proposés des extraits de ce travail de recherche effectué par Josselin SIBILLE en 2012.

5. Les actions révélant les pollueurs

La question de la pollution apparaît véritablement en avril 1971, lorsque le Secours Rouge de Pont-de-Claix publie Vérité Chimie, un numéro unique de quatre pages, sous-titré : « À bas le poison du peuple ». Le journal s’attaque essentiellement à l’usine Progil, plus gros pollueur de la région selon les maoïstes. Les conditions dc vie « dans et hors l’usine », y sont dénoncées :

« Le profit ne respecte rien ni personne : ni l’ouvrier qui à chaque instant risque un accident et d’année en année la maladie, ni le paysan qui ne peut vendre son vin car il pue le produit, ni la ménagère et l’enfant qui supportent l’odeur du phénol 24 heures sur 24, ni même les morts que Progil veut déménager de l’ancien cimetière ! »

Un article entier, agrémenté de photos, est consacré aux vignes du Sud de l’agglomération, dont le vin ne sera plus tiré en raison de la pollution qui brûle les feuilles et transmet un goût de plastique au raisin. Les militants publient notamment les analyses effectuées par un laboratoire. Sont surlignés les passages suivants : « légère odeur de caoutchouc », « arrière-goût de caoutchouc », « légère odeur rappelant certaines matières plastiques ».

Dans la nuit du 30 au 31 octobre 1971, comme pour donner du crédit aux maoïstes, un wagon d’OCPA, désherbant chimique, explose à l’usine Progil de Pont de Claix. Plusieurs wagons sont détruits, et deux personnes blessées. L’accident crée l’émoi au sein de la population, et suscite alors plusieurs enquêtes dans VRA. On y apprend notamment que les désherbants produits par Progil ont servi au Vietnam comme défoliant, et qu’ils ont de graves répercussions sur la faune des rivières. Plusieurs articles traitent plus particulièrement des maladies liées à l’utilisation des produits chimiques qui touchent les travailleurs de l’usine[1].

Enfin, on peut appréhender le rapport que les maoïstes entretiennent avec la nature, à partir de plusieurs articles consacrés à la création du parc des Écrins. Dans le premier numéro de VRA paraît un article intitulé : « Comment expliquer aux moutons qu’il ne faut pas manger les marguerites ». Les signataires du texte, « des jeunes du Valgaudemar », s’opposent à la création du parc. Tout en promouvant, chose peu écologiste, la construction des stations de ski afin de maintenir une activité économique dans les zones de montagne, ils posent la question de l’accès à la nature. Accès pour les classes populaires d’abord, qui doivent pouvoir bénéficier de vacances à la montagne, et rompre avec le « tourisme pour les riches ». Accès pour les paysans ensuite qui doivent pouvoir continuer à chasser et à faire paître leurs troupeaux sur le territoire du futur parc. En novembre 1971, VRA consacre un numéro spécial à la lutte contre le parc : « La montagne aux montagnards, c’est la montagne au peuple ! »[2]. À une conception institutionnelle de la protection de la nature qui délègue à l’État la gestion des espaces protégés, les maoïstes opposent alors une « gestion populaire » :

« Depuis toujours, la nature a été protégée par les habitants des vallées. […] Ce sont les sociétés de chasse qui ont protégé le chamois. Après les deux guerres, la race était en plein péril, et les chasseurs n’ont eu besoin des conseils de personne pour organiser la protection en constituant des réserves. [Concernant la flore,] il est vrai que des espèces sont en voie de disparition. […] Mais le parc protégera-t-il la flore ? […] Si on lâche les gens en liberté dans une réserve, ils ont tendance à faire n’importe quoi. Ce ne sont pas les gardiens qui les en dissuaderont. Par contre, quand les touristes vivent au milieu des paysans, ceux-ci leur expliquent ce qu’il ne faut pas faire, avec beaucoup plus de persuasion que par des affiches ou des conseils de garde assermenté. Seul un tourisme populaire peut garantir la protection de la nature ».

Reste que l’action des maoïstes autour de l’environnement ne se limite pas à la publication de journaux. Suite à l’explosion survenue à Progil, un Comité Anti-Pollueur (CAP) est fondé sur le campus pour soutenir l’action du Secours Rouge de Pont-de-Claix. Ses principaux animateurs ne sont autres que Pierre Boisgontier et Michel de Bernardy de Sigoyer. À la dénonciation de la pollution, le CAP entend substituer la dénonciation des pollueurs. Le 11 novembre 1971la ville de Grenoble accueille le premier salon des techniques anti-pollution. Une vingtaine de militants du CAP perturbent l’événement, s’emparent du micro et diffusent un tract avant d’être évacués par la police :

« Poujade[3], le préfet et Progil […] essaient de noyer le poisson en rendant responsables de la pollution les papiers gras, les cigarettes, les gaz d’échappement des promeneurs du dimanche ! L’action du CAP vise à attaquer les véritables responsables dont Progil est le chef de file à Grenoble[4]. »

En décembre, une exposition sur les pollutions est organisée sur le campus. Le même jour, un meeting du CAP rassemble sur le campus une centaine de personnes, dont une dizaine de travailleurs de Progil.[5] L’idée d’une grande marche contre les pollueurs, en direction de Progil est lancée. On promet aussi de publier des mesures sur la pollution de l’air et de l’eau. L’action du CAP n’ira cependant pas plus loin. En 1972 et 1973, VRA continue de relayer certaines luttes liées à l’environnement, celles des parcs notamment, mais l’intérêt pour les questions environnementales semble décliner. Deux éléments peuvent expliquer cela : le découragement de militants n’ayant pas reçu au sein de la population les échos escomptés, et leur implication dans d’autres luttes encore jugées prioritaires, comme les mouvements de grève à Neyrpic ou à la Sescosem.


[1] VRA, AD38, PER1771/1.

[2] VRA, numéro spécial « La montagne aux montagnards, c’est la montagne au peuple ! », novembre 1971, AD38, PER1771/1

[3] Maire de Dijon, Robert Poujade fut le premier ministre français chargé de la protection de la nature et de l’environnement, entre 1971 et 1974.

[4] VRA n°4, AD38, PER1771/1.

[5] Fiche des renseignements généraux du 3/12/1971, AD38, 6523W40.

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