Rapport de la mission d’information sur le financement public de l’enseignement privé

Publié le 5 avril 2024

Le 2 avril la commission des affaires culturelles et de l’éducation de l’Assemblée nationale a examiné le rapport de la mission d’information sur le financement public de l’enseignement privé, présenté par les députés Paul Vannier (LFI) et Christopher Weissberg (Renaissance)

La mission d’information sur le financement public de l’enseignement privé sous contrat, avait pour objet de mesurer le montant et l’évolution de l’ensemble des financements publics des établissements d’enseignement privé sous contrat, d’évaluer la manière dont ces établissements sont contrôlés ainsi que d’estimer les effets de cette dépense publique sur le fonctionnement du système scolaire dans son ensemble afin d’envisager des pistes d’évolution si nécessaire.

La mission propose une remise à plat complète du modèle actuel. Le rapport rappelle que plus de 75% du financement des établissements privés des premier et second degrés sont pris en charge par l’Etat et les collectivités ! Son financement est opaque. L’Etat et les collectivités territoriales en négocient les montants avec des organismes qui ne sont pas ceux fixés par la loi, mais relèvent de la seule Eglise catholique. Comme on ne sait même pas combien est donné, il est clair que les contrôles de l’utilisation de l’argent public sont quasi inexistants !

Le Café pédagogique fait une analyse de ce rapport qui soulève les tabous sur l’enseignement privé, voici quelques extraits du long article de François Jarraud :

« Il s’agit d’un domaine extrêmement sensible, qui met en tension l’ensemble des intérêts particuliers avec l’intérêt général”. Pas de doute, le rapport des députés Paul Vannier (LFI) et Christophe Weissberg (Renaissance) va remuer le gouvernement et la société française toute entière. Pour eux, la question du financement public de l’enseignement privé doit être posée. L’enseignement privé sous contrat est au moins à 75% financé par l’argent public. Mais son financement est opaque. Pire, l’Etat et les collectivités territoriales en négocient les montants avec des organismes qui ne sont pas ceux fixés par la loi mais relèvent de la seule Eglise catholique. Comme on ne sait même pas combien est donné, il est clair que les contrôles de l’utilisation de l’argent public sont quasi inexistants. C’est guère mieux pour le contrôle des politiques éducatives de l’Etat. Enfin l’enseignement privé sous contrat participe largement, comme l’établit le rapport, à la ségrégation sociale et scolaire qui détruit notre société. Ce rapport est très fouillé et très bien documenté. Il lance une onde de choc. Pourtant il n’apporte aucune révélation. Il officialise une situation que tout le monde a préféré, jusque-là, ne pas voir. Les rapporteurs ont des recommandations fortes pour remédier à la situation. Ce rapport met, avec force, l’Etat et la société française au pied du mur. Va-t-on perpétuer une situation aussi extravagante par rapport à l’état de droit et à la laïcité ? Va-t-on prendre le risque de la guerre scolaire ? Plus personne ne pourra dire qu’il ne savait pas…

Un système qui s’écarte du cadre légal

Mais le point le plus fort du rapport c’est de démontrer que le financement du privé relève du tabou politique. Le rapport évoque “un système d’allocation peu transparent et qui s’écarte du cadre légal“. La règle de calcul de base repose sur une règle appliquée de façon stricte mais qui n’a aucune base légale. La règle des 20-80 (20% pour le privé) utilisée pour fixer le montant du budget de l’Education nationale attribué au privé est surtout un élément de langage. “La Fédération des délégués départementaux de l’Éducation nationale souligne, d’ailleurs, une absence de respect de ce principe : « Sur la période 2000 à 2012 le public perd 62 911 postes et le privé seulement 2 133. Si le ratio 80/20 avait été respecté c’est plus de 15 000 postes qu’il devrait rendre »”, relève le rapport.

Si cette règle fixe à la louche le montant du budget attribué au privé, l’application dans les académies est “assise sur un modèle d’allocation non public“. La loi ne reconnait que le contrat passé entre l’Etat et l’établissement. Mais la gestion ignore totalement les établissements. Il faut dire que très souvent personne n’est capable de fournir un exemplaire du contrat, et encore moins un exemplaire à jour !

Alors la gestion se fait en réalité au niveau national dans un dialogue direct entre le cabinet ministériel et le secrétariat général de l’enseignement catholique, une structure dépendant des évêques. Et ce sont les relations personnelles entre recteur et direction diocésaine (c’est à dire l’évêque) qui permet de gérer les moyens dans les académies. Pour Paul Vannier, “l’État, qui ne reconnait aucun culte depuis l’adoption de la loi de séparation des Églises et de l’État du 9 décembre 1905, ne saurait négocier avec les représentants d’un réseau ou d’un autre, assimilables à des acteurs cultuels. Le fait, en particulier, qu’il débatte de l’allocation de moyens qui s’élèvent à plusieurs milliards d’euros avec un organe dont le secrétaire général est désigné par la Conférence des évêques de France constitue une dérive inacceptable dans une république laïque“. Ce n’est pas tout : les règles diffèrent pour les réseaux, juif, musulman et les réseaux régionaux ! Il ne faut pas s’étonner si les textes sont détournés. La notion de “besoin scolaire reconnu“, à la base des ouvertures, fait-elle aussi l’objet d’interprétations très variables. L’enseignement catholique excelle à placer ses pions dans les quartiers socialement intéressants…

 Qui veut la guerre scolaire ?

Mais quel avenir pour ces recommandations ? L’apport principal du travail des deux députés c’est d’avoir dépeint dans un rapport officiel la situation particulière et unique en Europe d’un système d’enseignement privé très largement financé par de l’argent public et assujetti à très peu de contraintes. A ce point que la France constitue une exception à la règle. Si nos voisins ont aussi des écoles privées subventionnées, ils exigent en échange le respect de règles précises. Ainsi en Belgique, où la liberté de l’enseignement est une règle constitutionnelle historique, les établissements doivent tenir registre et rendre des comptes sur les inscriptions dans ces écoles. La situation française est anormale au regard de celle de nos voisins et aussi pour un pays qui se targue tant de laïcité.

La question de l’enseignement privé est en fait posée depuis un an, même si l’affaire AOC – Stanislas l’a relancé. La proposition de loi de Pierre Ouzoulias (PC) liant les dépenses de fonctionnement des classes du privé à des objectifs de mixité sociale est bloquée au Sénat depuis une année (avril 2023). Le rapport de la Cour des Comptes publié de juin 2023 souligne lui aussi la faiblesse des contrôles de l’Etat et demande de lier le financement des établissements privés à des critères sociaux.

Le 6 mars 2024, au Sénat, la ministre N. Belloubet était interrogée sur le contrôle des établissements privés sous contrat et l’équité dans l’affectation des moyens. La ministre a annoncé que 60 emplois ETP seraient affectés aux contrôles et que “le gouvernement demeurera attentif à la parité des financements et aux contrôles“. Mais elle reconnaissait aussi ne pas avoir de données à communiquer sur ces contrôles. Elle rappelait le protocole Pap Ndiaye – SGEC prévoyant une plateforme de collecte de données sur la mixité sociale et scolaire. Elle disait aussi “ne pas opposer les secteurs d’enseignement” et vantait les innovations du privé. Max Brisson, sénateur Les Républicains, volait au secours du privé : ” Je ne conçois pas ces formes d’enseignement comme une menace pour l’enseignement public“, disait-il. “Comme Victor Hugo, je suis convaincu de la hauteur du principe de la liberté de l’enseignement pourvu que l’école publique soit belle. Ne pourrions-nous pas nous inspirer des réussites des uns et des autres ?” Interrogée le 27 mars par la Commission des affaires culturelles de l’Assemblée, Nicole Belloubet disait : “Je ne veux pas rallumer la guerre scolaire. Mais je suis dans l’état d’esprit que nous devons ensemble porter un certain nombre de priorités. La mixité est importante“.

Ce rappel des combats perdus des années 1980 hante toujours les esprits. Le rapport Vannier Weissberg est-il assez fort pour dépasser ce souvenir ? Aujourd’hui, la moitié des familles a recours à un moment donné aux établissements privés sous contrat. L’enseignement privé est intégré dans la scolarité des familles privilégiées. L’enseignement public tend à devenir le système éducatif de la France d’en bas. A la croisée des chemins, qui prendra la responsabilité politique de changer les choses ?

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