Le vert et le rouge : l’émergence du mouvement écologiste grenoblois, fin des années 1960 – juillet 1976. : Suite

Publié le 12 avril 2024

Sous forme de série, chaque semaine, sont proposés des extraits de ce travail de recherche effectué par Josselin SIBILLE en 2012.

6. Protéger la nature : la naissance de l’environnementalisme grenoblois

C’est dans la dynamique lancée par l’affaire de la Vanoise qu’est fondée en 1971 la Fédération Rhône-Alpes des Associations de Protection de la Nature (FRAPNA)[1]. Si cette affaire constitue un événement important dans la structuration des associations de protection de la nature en France[2], son influence à Grenoble semble limitée[3].

La section iséroise de la FRAPNA est créée en 1972. Son premier président est P. Antoine, mais c’est le nom de Jean-François Noblet, premier permanent et directeur de l’association qui restera attaché à celui de la FRAPNA. Très impliqué dans le mouvement de scoutisme laïc des Éclaireurs de France, Jean-François Noblet est avant tout un amoureux de la nature, très imprégné d’écologie scientifique[4]. La FRAPNA-Isère correspond bel et bien à la définition des protecteurs de la nature : « essentiellement centrés sur la protection de la nature, de la faune et de la flore, des sites et des paysages, de l’environnement naturel de l’homme », et comprenant l’écologie « dans un sens restrictif, assez proche de celui de la science correspondante : étude des relations des espèces végétales et animales avec leur milieu »[5]. De là les accusations d’une écologie « petites fleurs » souvent lancées par les militants plus politisés.

Une des premières actions de la FRAPNA consiste à se signaler à tous les maires de l’Isère, et à les interroger sur leurs préoccupations en matière environnementale[6]. Dès ses débuts, la FRAPNA entretient de très bons rapports avec les pouvoirs publics. Elle participe aux commissions préfectorales sur l’environnement, bénéficie d’importantes subventions du conseil général. Elle bénéficie surtout de la bienveillance de la municipalité grenobloise. Ainsi, le 16 novembre 1972, lorsque P. Antoine adresse à Albert Royer (adjoint de Dubedout), une demande de subvention, il inscrit à la main au bas de la lettre : « Le ton est un peu officiel mais cela ne m’empêche pas de t’adresser mon amical souvenir en attendant le plaisir de te revoir ». Avant de transmettre le courrier à Guy Névache (adjoint lui aussi), Albert Royer lui indique de traiter l’affaire avec bienveillance car « ce sont des amis »[7]. De la même manière, en 1973, lorsque la FRAPNA se voit refuser la tenue d’un stand au deuxième salon des techniques anti-pollution, Guy Névache intercède personnellement en sa faveur auprès des organisateurs[8]. C’est ainsi que la FRAPNA participe, aux côtés de « l’union anti-po », au salon anti-pollution, celui-là même que les maoïstes dénonçaient deux ans plus tôt comme étant le symbole de la fausse conscience écologiste.

Si l’année 1972 a été celle de la mise en route de la FRAPNA, l’année 1973 est celle des premières actions concrètes. La FRAPNA multiplie les campagnes d’information sur la protection de la faune et de la flore : affiches, autocollants, articles de presse (23 en 1973[9]). Elle organise aussi des expositions ainsi que des sorties « découverte nature » en forêt réunissant à chaque fois plusieurs dizaines de participants.

Le 24 mai 1974, la FRAPNA organise à Grenoble, en partenariat avec l’Association pour le Développement des Transports en Commun la première Fête du vélo, « symbole du refus des pollutions, de la mise à sac de la nature et de l’envahissement des villes par la voiture »[10]. L’opération est un succès : presque 5 000 personnes défilent à vélo à travers les rues de Grenoble. À la tête du défilé, Hubert Dubedout et son épouse viennent manifester leur soutien[11]. Au même moment, Jean-François Noblet fonde le comité grenoblois de soutien à la campagne de René Dumont aux présidentielles, signe que, malgré une action très centrée sur la protection de la nature, les environnementalistes grenoblois ne sont pas si imperméables à une conception plus politique de l’écologie[12].


[1] Isabelle Maux, « Actualité (?) et actualisation de l’affaire de la Vanoise » intervention lors du séminaire de l’association pour l’histoire de la protection de la nature et dc l’environnement, 6 juin 2009. Disponible ici : http://ahpne.fr/spip.php?article140

[2] Florian Charvolin, « L’affaire de la Vanoise et son analyste » Vingtième siècle, revue d’histoire, n°113, janvier 2012

[3] À ce jour, je n’ai trouvé aucun élément attestant d’une importante mobilisation grenobloise en faveur du parc de la Vanoise.

[4] Il a publié de très nombreux ouvrages sur la faune locale. Il est notamment spécialiste des chauves-souris.

[5] Cette définition est donnée par Martine Chaudron, Yves le Pape, « Le mouvement écologique dans la lutte anti-nucléaire », in F. Fagnani, A. Nicolon (dir.), Nucléopolis, matériaux pour l’analyse d’une société nucléaire, Grenoble, PUG, 1979.

[6] Défendre la vie n°6, janvier 1974, AD38 1844/1.

[7] Demande dc subvention dc la FRAPNA adressée à la mairie de Grenoble le 6 novembre 1972, AM Grenoble, 155W29.

[8] Lettre au directeur d’Alpexpo. 11 avril 1973, AM Grenoble, 155W29

[9] Défendre la vie n°6, janvier 1974, AD38, 1844/1.

[10] Dauphiné Libéré, 24 mai 1974. En sus du groupe écologique de Grenoble, l’article évoque plusieurs autres associations organisatrices, dont la plupart sont soit adhérentes de la FRAPNA, soit très proches de celle-ci.

[11] Dauphiné Libéré, 26 mai 1974.

[12] Cette remarque va dans le sens d’Alexis Vrignon pour qui l’opposition entre écologistes et protecteurs de la nature est plutôt artificielle. Alexis Vrignon, « L’écologie politique et la Protection de la Nature et de l’Environnement », Écologie Politique, n°44, mars 2012.

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