Attal ou la diversion de l’autoritarisme

Publié le 26 avril 2024

Sébastian Roché, directeur de recherche au CNRS, travaille au laboratoire pacte à l’UGA. C’est un spécialiste de la délinquance et de l’insécurité. Interrogé par le Café pédagogique sur les derniers propos du premier ministre sur l’autorité, il déconstruit ce discours démagogique de Gabriel Attal, où les effets de manche l’emportent sur l’efficacité de l’action publique.

Voici le début de ce long article qui arrive très à propos : « Lors de son discours à Viry-Châtillon, où le jeune Shamseddine a été battu à mort, Gabriel Attal a fait le choix de l’autorité, selon lui. Travaux d’intérêt général si les jeunes contestent l’autorité, collège de 8 heures à 18 heures dans les quartiers populaires, contrat d’engagement entre l’établissement, les parents et l’élève (qui n’est pas sans rappeler le règlement intérieur signé par ces mêmes personnes en début d’année), la levée de l’excuse de minorité… Un peu comme à son habitude, le Premier ministre fait le choix de s’attaquer aux conséquences des politiques publiques désastreuses en matière d’éducation plutôt qu’aux causes. Pour Sebastian Roché, politiste et auteur de « La nation inachevée. La jeunesse face à l’école et la police » (Grasset), le Premier ministre est dans une posture de coercition et non d’autorité, et il se défausse de la responsabilité du Président Macron en rejetant la faute sur les parents et les jeunes eux-mêmes. Il rappelle aussi que contrairement aux discours politiques, « nous ne sommes pas face à une recrudescence de la violence au sein de notre société.

Le discours de Gabriel Attal montre une volonté d’autorité. Est-ce la bonne réponse à la violence d’une partie de notre jeunesse ?

Gabriel Attal montre une volonté de contrainte et non une volonté d’autorité, c’est fort différent. La volonté d’autorité serait que l’État regagne le crédit moral, le prestige qui fait que ses injonctions sont écoutées, précisément sans contrainte. C’est la différence classique entre le consentement et la coercition. Hannah Arendt, par exemple, dit que celui qui a de l’autorité est celui qui est « auteur de la règle », au sens où on reconnaît un droit moral à celui qui émet cette règle. Ce que fait Gabriel Attal, c’est tout le contraire. Il remplace l’autorité par la coercition, et cela à tous les niveaux. Il a le projet d’imposer des sanctions à tous. Aux parents. À l’école en imposant de nouvelles règles dans son fonctionnement – se lever quand un professeur entre, apposer des mentions dans le dossier scolaire des élèves qui auraient perturbé la classe… Et pour finir, avec un durcissement de la réponse pénale, et donc une augmentation de la sévérité des peines, ce qui signifie incarcérer plus longtemps une partie plus importante de la jeunesse.

On est donc face à un programme de coercition, un durcissement dont le Premier ministre ne se cache pas vraiment. Son programme de coercition est enveloppé dans les mots Nation, République et « culture civique » – une notion qu’il emploie d’ailleurs de façon erronée.

D’ailleurs cette jeunesse est-elle plus violente qu’il y a 20 ans ?

Il existe des faits de violence très graves qui se produisent, mais les tendances dans la société française, en général et pour les mineurs en particulier, ne sont pas à l’aggravation.

Par rapport à 2016, il y a à peu près 10% d’homicides en plus. Ces homicides se produisent à partir du niveau le plus bas que nous ayons enregistré depuis cinq siècles. Nous sommes sur des planchers historiquement bas de la violence homicide. Des planchers sur lesquels il y a un rebond – ce n’est pas une inversion de tendance, et il est lié non pas aux jeunes, mais à des organisations criminelles qui ont développé le trafic de la cocaïne avec 47 morts à Marseille l’année passée, par exemple, liés à ce trafic.

Nous ne sommes donc pas face à une recrudescence de la violence au sein de la société en général, le phénomène est très circonscrit à de petits segments qui utilisent la violence à des fins instrumentales. Il ne s’agit pas d’une perte de valeurs, mais d’une utilisation de la violence pour arriver à ses fins : éliminer la concurrence, protéger le commerce. Ce n’est pas un problème moral, mais un problème d’économie et de régulation d’un marché.

Dans les enquêtes que nous faisons auprès des jeunes pour évaluer la gravité perçue des faits, nous constatons qu’ils ont une évaluation calquée sur celle du système pénal. La violence avec homicide, la violence avec armes sont tout autant condamnées chez les jeunes que chez le reste des Français… Notre jeunesse a donc la même grille d’évaluation de la gravité que la population générale.

Depuis 1999, j’ai répété quatre fois une enquête de délinquance auto-déclarée auprès des jeunes. En France, et dans toute l’Europe aussi, on note une diminution très importante des vols simples, moins de ports d’arme… On a des jeunes moins délinquants aujourd’hui qu’en 1999 à l’exception de phénomènes nouveaux, comme les humiliations sur internet qu’ils sont 10% à pratiquer. Ils sont aussi moins nombreux à consommer du cannabis, environ 30% de moins que dans les années 2000. Les autres délits comme le racket, sont stables.

Pour résumer, même s’il faut toujours s’inquiéter du meurtre d’un adolescent par un autre adolescent, ces événements ne sont pas plus fréquents. Des commentaires politiques veulent nous faire croire à une tendance, alors que scientifiquement, c’est faux… »

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