Le vert et le rouge : l’émergence du mouvement écologiste grenoblois, fin des années 1960 -juillet 1976 : Suite

Publié le 3 mai 2024

Sous forme de série, chaque semaine, sont proposés des extraits de ce travail de recherche effectué par Josselin SIBILLE en 2012.

9. La Colline Verte

En avril 1975, paraît Qu’elle était verte ma colline[1], journal des comités de défense de la Colline Verte. Il est lui aussi imprimé par l’équipe de VRA qui apporte son soutien dans l’impression et la diffusion du journal. En septembre 1975, paraît un nouveau journal intitulé la Fosse, journal sceptique[2], dont l’équipe semble recouper celle de la Main dans le trou du fût. Son directeur de publication est encore Cédric Philibert. Le premier numéro paraît à l’occasion du troisième salon des techniques anti-pollution, à nouveau perturbé par les militants écologistes[3]. S’appuyant sur la dynamique créée par les luttes contre le nucléaire et pour la sauvegarde de la Colline Verte, la Fosse se veut l’organe d’expression de l’ensemble du mouvement écologiste grenoblois. L’éditorial explique en effet :

« Grenoble a connu déjà plusieurs journaux « écologiques » : Vérité-chimie, la Main dans le trou du fût, Qu’elle était verte ma colline, etc. Mais chaque fois, c’était un journal centré sur un thème (Grenoble Sud, nucléaire, colline…) et réalisé par un petit groupe (les maos, groupe écologique, comités de défense. . .). Ce qu’il s’agit de réaliser aujourd’hui, c’est un journal où tout combat écologique puisse s’exprimer, où les différents courants écologistes puissent se rencontrer et se confronter.

La Fosse, connaît trois numéros entre septembre 1975 et juillet 1976, qui sont diffusés à près de 2 000 exemplaires chacun[4]. Force est de constater que le journal devient bel et bien une plateforme autour de laquelle se retrouvent toutes les tendances du mouvement écologiste. En plus du Groupe écologique de Grenoble y publient la section locale du PSU, la CFDT, la FRAPNA, l’Association de Défense des Transports en Commun, le comité universitaire et scientifique grenoblois pour l’arrêt du programme nucléaire ou encore les comités de défense de la Colline Verte et du plateau du Peuil.

Qu’elle était verte ma colline !

Deux luttes ont participé grandement à la structuration de l’écologie politique grenobloise, à la fois en faisant se rencontrer des militants aux préoccupations et motivations très différentes, et en faisant connaître le combat écologiste, et ses principaux acteurs, aux habitants de l’agglomération grenobloise. Le plus important d’entre eux, la bataille de la « Colline Verte » est restée dans la mémoire des écologistes grenoblois comme un moment fondateur[5].

En janvier 1973, le Schéma Directeur de l’Aménagement Urbain de la région grenobloise est approuvé par décret ministériel. Il institue notamment la protection des collines boisées qui bordent l’agglomération grenobloise. Parmi elles, la Colline Verte située sur le plateau de Champagnier, entre Jarrie et Échirolles, est un lieu de détente et de loisir pour les habitants des quartiers Sud de l’agglomération. Or, il se trouve que la société SMAG-Pascal envisage de créer sur cette même colline une carrière de gravier et rachète à cette fin 43 hectares de terrain à des agriculteurs. Le gravier prélevé sera principalement destiné à la construction de l’autoroute B48[6]. À l’initiative de « l’union anti-po », présidée par Robert Buisson, (adjoint communiste au maire d’Échirolles), une « Table Ronde de la Colline Verte » est fondée, qui se donne comme objectif la sauvegarde de la Colline. Elle regroupe les représentants des municipalités de l’agglomération (Jarrie, Bresson, Champagnier, Échirolles, Grenoble…), des militants de la FRAPNA, des Éclaireurs de France, de la FISERG, des représentants des unions de quartier de Grenoble. Dans sa forme élargie, la table ronde rassemble des partis politiques (sections locales du PS, PSU, PCF…), et des syndicats (essentiellement la CFDT). Plus tard, elle est rejointe notamment par des groupes plus informels, comme le Groupe écologique de Grenoble, et un certain Mouvement écologique et libertaire. Le 14 décembre 1973, la table ronde demande au préfet le classement de la Colline Verte sur l’inventaire des sites protégés. Mais en vain.

Le 10 avril 1974, la SMAG-Pascal dépose officiellement sa demande d’ouverture de carrière à la préfecture, déclenchant une première vague de protestations. Une pétition recueille entre mai et juin 1974 près de 10 000 signatures[7]. Une première manifestation est organisée qui rassemble quelque 250 personnes le 8 juin 1974.[8] Très vite, à l’initiative de la FRAPNA et des Éclaireurs de France, un comité de défense de la Colline Verte est créé[9]. « Peuvent se réclamer des comités tous ceux qui le souhaitent, dont l’action non violente a pour but la défense de la Colline[10]. » Si les environnementalistes semblent les moteurs de cette lutte, ils ne tardent pas à être rejoints par les militants d’extrême gauche (dont les maoïstes, qui évoluent désormais en dehors de toute organisation)[11], par les autogestionnaires, ou encore par les partisans des transports en commun. La bataille, de la Colline Verte est typique de ces luttes écologistes où s’expriment à la fois les préoccupations environnementales, sociales et démocratiques. Alors que Jean-François Noblet publie « les conséquences écologiques de l’ouverture de la Carrière de Champagnier sur le peuplement ornithologique et mammologique du plateau », d’autres manifestent des préoccupations plus sociales : les travailleurs du sud de l’agglomération ne doivent pas se voir dépossédés d’un espace de loisir à proximité de leur habitation, au profit des « bétonneurs » et industriels. La remise en cause de l’autoroute B48 à laquelle sont destinés les graviers, au profit d’un aménagement des voies de chemin de fer s’inscrit aussi dans une logique sociale, liée au cadre de vie. Enfin, tout le monde s’accorde à dénoncer le passage en force du préfet, qui ne respecte, ni l’avis des élus locaux, ni celui du « peuple ».

Le 6 août 1974, le préfet prend un arrêté autorisant l’exploitation de la carrière. Devant la pression des opposants, il impose à l’entreprise Pascal le respect de certaines conditions, relatives notamment au reboisement de la zone et s’engage à suspendre les travaux à la moindre infraction.[12] Une commission de contrôle est aussi créée, qui intègre principalement des élus et des membres des comités de défense.[13] Le même jour, un syndicat intercommunal de protection de la Colline Verte est créé.[14] Il attaque peu de temps après l’arrêté du préfet devant le tribunal administratif. Mais on sait que les procédures sont longues, et le conflit ne s’interrompt pas pour autant. Le 14 février 1975, la commission de contrôle constate une infraction aux conditions d’exploitation de la carrière, et demande au préfet de suspendre les travaux[15]. C’est à ce moment-là que démarre véritablement la « bataille de la Colline Verte », qui s’éloigne pour un temps du terrain institutionnel. Le 15 février pas moins de 500 personnes qui manifestent sur la Colline Verte, plantent 43 arbres (un par hectare) et construisent une barricade en rondins pour barrer l’accès au chantiers[16]. À partir du 17 février, la Colline est occupée et les travaux interrompus. Revenant sur ses engagements, le préfet autorise la poursuite des travaux. Ils ne peuvent reprendre que le 17 mars, après un mois d’occupation, suite à l’intervention d’un peloton de gendarmerie. Deux jours plus tard, 400 personnes, hommes, femmes, enfants manifestent de nouveau sur la Colline. Sous l’impulsion de militants d’extrême gauche, estiment les Renseignements généraux[17], le chantier est envahi. Une nouvelle barricade est dressée sur le chemin d’accès à la carrière. S’ensuit une nouvelle intervention de police, et une nouvelle manifestation deux jours plus tard. Les travaux reprennent sous surveillance policière, mais l’occupation de la Colline se poursuit. Le 28 mars 1975 paraît Qu’elle était verte ma colline, qui appelle notamment à une grande manifestation le 11 avril à Grenoble.

La variété des mouvements et individus qui se retrouvent au sein de cette lutte n’est pas sans poser quelques difficultés d’organisation et le mouvement écologiste naissant ne peut couper aux inévitables débats sur les moyens d’action. La question du sabotage et de l’utilisation de la violence est d’ores et déjà posée par une petite partie des militants, plus particulièrement ceux qui possèdent une culture de l’action directe (militants d’extrême-gauche et anarchistes). Pour la majorité des écologistes en revanche, il n’est pas question d’utiliser de telles méthodes pour arriver à leurs fins. Parfois, le consensus autour de la non-violence ne parvient pas à être imposé. Le 11 avril 1975, à 18 heures, la manifestation pour la défense de la Colline regroupe un millier de personnes à Grenoble selon la police[18], 3 000 à 4 000 selon les organisateurs et le Dauphiné Libéré[19]. Hubert Dubedout ainsi que d’autres élus de l’agglomération, cautionnent le rassemblement sans rester dans le cortège[20]. On leur reproche à maintes reprises de vouloir récupérer le mouvement, « sans avoir spécialement brillé par leur présence sur le terrain…[21] » Pendant la manifestation, les slogans fusent, dons certains comme « Pollution, répression, loi des patrons »[22] signalent l’implication de l’extrême gauche. Et justement, à la fin de la manifestation des affrontements éclatent. 200 personnes, gauchistes et anarchistes selon les renseignements généraux, dont certains sont équipés de masques à gaz et de de bâtons, jettent des pierres en direction de la police. S’ensuivent quelques affrontements, pendant lesquels de petits groupes de militants harcèlent les forces de l’ordre, et cinq arrestations. Le calme revient vers 21 heures[23]. Le 2 juin 1975, le Tribunal Administratif annonce un sursis de l’autorisation préfectorale[24]. « En partie satisfaits par la décision de surseoir aux travaux, les divers mouvements écologistes [cessent] pendant un certain temps leur action[25] ». Le 27 octobre 1976 le commissaire du gouvernement conclut à l’annulation de l’arrêté préfectoral autorisant l’ouverture de la carrière[26]. Les écologistes ont gagné une première grande bataille.


[1] AD38, PER1947/1.

[2] AD38, PER1771/l.

[3] La Fosse, journal sceptique, AD38, PER 1771/1.

[4] Michel dc Bernardy dc Sigoyer, op. cit.

[5] Voir par exemple l’émission dc radio « les causeries du hérisson », diffusée le 8 mars 2012 sur Radio Grésivaudan, à l’occasion des 40 ans de la FRAPNA.

[6] Catherine Gaillard-Yvenat, La colline verte ou les controverses à propos de l’ouverture d’une colline, mémoire IEP, Grenoble, 1977

[7] Archives Frapna, dossier « Colline Verte ».

[8] Elle réunit 250 personnes d’après Catherine Gaillard-Yvenat, La colline verte…, p. 3.

[9] Tract du comité de défense de la Colline Verte, « Colline verte, le combat continue », (date approximative août-septembre 1974), Archives FRAPNA, dossier « Colline verte ».

[10] Qu’elle était verte ma colline, journal des comités de défense de la colline verte. Numéro unique, 28/03/1975.

[11] D’après Raymond Avrillier (entretien 2/04/2011),ceux-là ne s’impliquent pas directement dans les comités de défense, plutôt tenus par la FRAPNA. Ils participent cependant aux différentes manifestations, actions, et apportent leur soutien dans l’impression et la distribution du journal Quelle était verte ma colline.

[12] Lettre du préfet à Robert Buisson, 05/08/1974, reproduite dans Quelle était verte ma colline.

[13] Lettre des Comités de Défense de la Colline Verte au conseil général, 30/05/1975, Archives Frapna, Dossier Colline Verte.

[14] Catherine Gaillard-Yvenat, La colline verte…, p. 31.

[15] Qu’elle était verte ma colline…

[16] Le Dauphiné Libéré, 16/04/1976

[17] Note des RG du 20/3/1975, AD38, 6523W39.

[18] Rapport des Renseignements généraux, AD38, 6523W39.

[19] Grenoble, revue municipale d’information n°44, mai 1975, AD38, PER 1428/1 ; le Dauphiné Libéré 12/4/1975.

[20] Le Monde, 13-14/04/75.

[21] Communiqué du groupe cadre de vie du PSU, La Fosse, journal sceptique n°1, AD38, PER 1996/1.

[22] Slogans repris par Catherine Gaillard-Yvenat, La colline verte…

[23] Le Dauphiné Libéré du 12 avril 1975. Note des RG, 14 avril 1975, AD38, 6523W39.

[24] Le Dauphiné Libéré, 27/06/1975.

[25] Note des RG, 19/11/1975, AD38 6523W39.

[26] Le Dauphiné Libéré, 28/10/1976.

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