La Cour des comptes vient de rendre, le 13 mai 2024, une étude sur l’organisation territoriale française des soins de premier recours qui recouvrent, outre les soins des médecins généralistes et de quelques spécialistes accessibles en accès direct, les pharmaciens, les soins infirmiers et de kinésithérapie, les soins dentaires ou encore ceux assurés par les orthophonistes ou les psychologues.
L’accès à ces soins s’avère de plus en plus difficile avec le développement de véritables « désert médicaux ». Dans certains territoires, le taux de patients sans médecin traitant peut ainsi représenter jusqu’au quart des patients et le taux de passages aux urgences sans gravité particulière atteindre 40 %. Face à cette situation, la Cour des comptes fait 7 recommandations.
« Des évolutions décevantes dans les conditions d’accès aux soins
L’offre de soins résulte d’une évolution complexe des effectifs des professionnels de santé comme de la modification de leur comportement. La demande, quant à elle, augmente en raison de la fréquence croissante des pathologies chroniques qui induisent un volume plus important de soins dits « programmés ». Du fait de la saturation des agendas des médecins, les patients rencontrent de plus en plus de difficultés à trouver une réponse à leurs demandes de soins dits « non programmés ». Plusieurs indicateurs quantitatifs traduisent ces tensions : les délais moyens pour obtenir des rendez-vous avec les médecins s’allongent, la part de patients sans médecin traitant s’accroît, de même que la part de médecins ne prenant plus de nouveaux patients. Parmi les patients sans médecin traitant, la part des plus précaires augmente. Les inégalités géographiques de répartition des professionnels de santé s’aggravent. Dans certains territoires, le taux de patients sans médecin traitant peut ainsi représenter jusqu’au quart des patients et le taux de passages aux urgences sans gravité particulière atteindre 40 %.
Des mesures dispersées et peu ciblées
Depuis la fin des années 1990, divers plans ou mesures ont été déployés pour mieux organiser les soins de premier recours. L’accent a d’abord été mis sur le rôle de « pivot » donné aux médecins généralistes « référents », puis « traitants ». Des « réseaux de soins » ont été organisés pour faciliter cette orientation et partager la charge du suivi des patients. Divers « plans » ont ensuite cherché à renforcer les aides versées aux professionnels de santé pour favoriser leur installation, ou leur maintien, dans des zones peu dotées en médecins. À partir des années 2010, l’objectif a plutôt été de développer des structures de soins telles que des maisons de santé pluriprofessionnelles ou des centres de santé médicaux. En parallèle, diverses mesures ont cherché à confier des missions d’appui aux professionnels libéraux de premier recours, mais elles sont restées dispersées. La stratégie esquissée au niveau national a réaffirmé le caractère indispensable de l’adaptation des soins de premier recours, mais celle-ci ne s’est que peu traduite en objectifs opérationnels évaluables. Le contraste est donc important entre l’ambition des mesures annoncées et le « sentiment d’abandon » que peuvent ressentir des habitants des territoires les plus fragilisés. La multiplication des dispositifs d’aides et leur instabilité dans le temps rendent une consolidation globale des résultats très difficile. Bien que des éléments positifs soient à noter, les aides apportées se révèlent inefficaces si l’on en juge par leur faible impact. En outre, la possibilité pour les diverses professions de santé d’organiser des coopérations structurées est insuffisamment mise en pratique.
Une politique publique à structurer en fonction des résultats attendus
Les analyses plus détaillées incluses dans les trois cahiers territoriaux contribuent à rendre plus concrètes les pistes d’évolutions proposées dans le cahier national. Dans leur diversité, les aides accordées par les collectivités territoriales, en plus des dispositifs nationaux, peuvent contribuer à amorcer une dynamique, mais sont insuffisantes. L’analyse des interventions menées par l’ARS et la Cpam dans le département de l’Aveyron a ainsi permis de relever la persistance de situations de carence médicale, dans plusieurs bassins de vie. Pour consolider les progrès déjà réalisés, une stratégie globale est indispensable, qui doit permettre ensuite de répondre aux problèmes identifiés dans chaque territoire. La définition, au niveau des départements, de projets territoriaux d’organisation des soins de premier recours mériterait d’être généralisée. Ces projets, placés sous l’égide des délégations départementales des ARS et des Cpam, devraient être clairement animés par une logique de résultats, à partir d’une batterie très sélective d’indicateurs « d’alerte ». Les administrations nationales devraient soutenir cette démarche, en guidant et évaluant ses progrès de manière périodique. Au service de ces projets territoriaux, les aides doivent être orientées vers les patients les plus vulnérables et les territoires les plus carencés. Des interventions plus volontaristes sont indispensables, ainsi que le déploiement de centres de santé hospitaliers ou de cabinets médicaux secondaires. Ceux-ci seraient soutenus par une obligation d’exercice partiel en zones médicalement sous-dotées, en contrepartie de la possibilité donnée aux médecins de s’installer dans des zones les mieux dotées. »
Face à cette situation, la Cour des comptes fait 7 recommandations :
« 1.Inscrire dans les missions des schémas territoriaux de santé la réduction des inégalités sociales et territoriales de santé.
2. Établir au niveau national un suivi annuel de la politique d’amélioration de l’accès aux soins de premier recours, placé sous le pilotage administratif du secrétariat général des ministères chargés des affaires sociales.
3. Prévoir, dans le cadre des négociations conventionnelles entre la CNAM et les médecins libéraux, qu’une part des aides à la création d’emplois d’assistants médicaux soit allouée, de manière distincte, sur des critères de priorités territoriales (par exemple de 50 %).
4. Pour développer la coopération entre professionnels de santé, conditionner l’aide apportée aux différentes structures d’exercice coordonné par la signature de protocoles.
5. Encourager les médecins à venir exercer à temps partiel dans les zones manquant de professionnels de santé : à court terme en complétant les aides des collectivités territoriales à l’équipement de cabinets secondaires ; et, à plus long terme, en conditionnant toute nouvelle installation dans les zones les mieux dotées en médecins à un engagement d’exercice partiel dans les zones les moins bien dotées.
6. Étendre aux médecins hospitaliers exerçant dans des centres de santé hospitaliers la possibilité de percevoir une rémunération partiellement indexée sur leur activité, dans des conditions juridiques sécurisées.
7. Dans les zones manquant de professionnels de santé, confier aux hôpitaux une mission d’intérêt général nouvelle, consistant à déployer des centres de santé polyvalents. »