Le vert et le rouge : l’émergence du mouvement écologiste grenoblois, fin des années 1960 – juillet 1976 : suite.

Publié le 17 mai 2024

Sous forme de série, chaque semaine, sont proposés des extraits de ce travail de recherche effectué par Josselin SIBILLE en 2012.

11. Les comités Malville : du mouvement écologiste au mouvement anti-nucléaire

La dernière lutte autour de laquelle s’opère le rassemblement du mouvement écologiste est assurément la lutte anti-nucléaire. La première manifestation contre le nucléaire dans la région a lieu en 1971 devant la centrale du Bugey dans l’Ain. Plusieurs militants grenoblois participent alors au rassemblement[1] dont VRA publie un bref compte rendu.[2] Le 18 mai 1973 une conférence organisée par la FRAPNA et intitulée « l’énergie nucléaire : âge d’or ou impasse écologique ? » réunit plusieurs centaines de personnes. Il faut cependant attendre 1974 et la publication de la Main dans le trou du fût pour que la contestation du nucléaire commence à s’implanter concrètement à Grenoble.

Le 15 juin 1975, un rassemblement anti-nucléaire à Flévieux dans l’Ain réunit près de 2 000 personnes. À partir de ce moment-là, c’est essentiellement à la lutte contre Superphénix, érigé désormais en symbole du programme électronucléaire français[3], que se consacre le mouvement écologiste grenoblois. Depuis quelques semaines, ses militants ont participé à la création des comités Malville qui essaiment dans toute la région Rhône-Alpes, et plus particulièrement dans l’Ain et dans l’Isère. C’est au sein de ces comités, régulièrement rassemblés en coordinations régionales, que s’organise alors la lutte contre Superphénix. Le comité de Grenoble, qui est le plus influent de tous, réunit entre 50 et 100 participants[4]. Toutes les tendances du mouvement écologiste y sont représentées[5].

Les comités Malville multiplient les conférences, distributions de tracts et autres actions d’information auprès des habitants. Au début de l’année 1976, les coordinations de Genève (janvier) et Lyon (mars) appellent à « l’occupation massive et non violente du site de Malville » à partir du 3 juillet[6]. L’objectif est rien moins qued’interrompre les travaux de construction de la centrale. Le 3 juillet, une première manifestation réunit plusieurs milliers de personnes[7]. Le lendemain lors d’une seconde manifestation, quelques dizaines de militants réussissent à couper les grilles et à pénétrer brièvement sur la zone du chantier. Ils sont rapidement refoulés par les gardes mobiles. Malgré une organisation assez déplorable, (difficulté d’accès à l’eau, éclairage, ravitaillement…) ainsi que le feront remarquer de nombreux participants, plusieurs centaines d’entre eux s’installent pour camper[8].

Le 8 juillet ils sont violemment évacués par la police. Ces violences marquent pour longtemps les militants écologistes. Le 10 une manifestation contre les violences policières réunit quelque 3 000 personnes. Des affrontements éclatent entre les policiers et une partie des manifestants, causant des blessés dans les deux camps. Les jours suivants, les militants, qui se font de moins en moins nombreux trouvent à être hébergés dans les villages voisins. Ces journées sont surtout l’occasion de se rencontrer, de discuter et de faire de l’information auprès des riverains. C’est au cours de ces journées que paraît le premier numéro de Superpholix, imprimé là encore par VRA, et qui deviendra l’organe régional des comités Malville.

La période qui s’ouvre à la suite du rassemblement de 1976 constitue un moment charnière dans l’histoire du mouvement écologiste grenoblois, et plus largement de tout le mouvement anti-nucléaire. Deux raisons à cela : d’abord le mouvement d’opposition à Superphénix, qui obéissait jusque-là à une dynamique régionale acquiert en juillet 1976 une dimension nationale. Ensuite, de nombreux militants, considérant que ce rassemblement de juillet fut un échec, posent la question de la stratégie à poursuivre. En février 1977, les « assises de Morestel », qui rassemblent des militants anti-nucléaires venus de toute la France, mais aussi de l’étranger, marquent le début d’un débat sur les orientations stratégiques du mouvement, et notamment sur l’utilisation de la violence et du sabotage. L’histoire de ce débat, qui aboutit à l’implosion du mouvement antinucléaire et partant, à celle du mouvement écologiste grenoblois, reste encore à écrire.[9] Au même moment, on assiste également à l’institutionnalisation de nombreux militants écologistes, qui jusqu’alors s’organisaient de manière plus informelle. Elle se traduit notamment par la présentation d’une liste écologiste et autogestionnaire aux élections municipales de mars 1977, qui fait suite à la récente création du groupe local des Amis de la Terre.


[1] Entretien avec Raymond Avrillier, 26/03/2012 ; Entretien avec Jean Jonot, 27/4/2012.

[2] VRA n°3, novembre 1971, AD38 PER1771/1.

[3] Alain Beltran : « Superphénix : du danger d’être un symbole », à paraitre.

[4] Rapports des RG. AD38, 6523W38.

[5] PSU : Jean Jonot ; FRAPNA : Jean-François Noblet, Daniel Rouzier ; Groupe Écologique de Grenoble : Jacques-Marie Francillon, Cédric Philibert ; Ex-maoïstes / VRA : Pierre Boisgontier, Raymond Avrillier ; écologistes sans étiquette : Gérard Desquinabo, Jacques-Marie Francillon…

[6] « Appel à tous » Supplément au journal La Fosse n°3, 1er semestre 1976, AD38, PER 1996/1.

[7] Le nombre des manifestants est difficile à estimer. Les rapports des RG et dc la gendarmerie s’accordent sur le chiffre de 5 000 manifestants le 3 juillet, jour du plus gros rassemblement. Un chiffre bien inférieur aux 10 000 à 20 000 qu’espéraient les organisateurs. AD38, 6523W38.

[8] Rapport des RG et de la gendarmerie, Compte rendu détaillé des Journées saisi sur un manifestant. AD38, 6523W38.

[9] Pour une première approche à l’échelle nationale, voir Alexis Vrignon, « Ecologie, lutte antinucléaire et rapport à la violence dans les années 70 », in François Audigier, Pascal Girard, Se battre pour des idées. La violence militante en France des années 1920 aux années 1970, Paris, Riveneuve éditions, 2011, p. 207-222. On lira aussi avec intérêt l’article dc Pièces et Main d’Oeuvre, « Mémento Malville, une histoire des années 1970 », publié sur www.piecesetmaindoeuvre.com

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