Les 80 ans de la Libération de Grenoble

Publié le 30 août 2024
© Maxppp – PHOTOPQR/LE DAUPHINE LIBERE

A Grenoble, le 22 août, différentes cérémonies ont été organisées à l’occasion des 80 ans de la Libération de la ville. Le matin, à 10h au Mémorial de la Résistance sur la Presqu’ile, ensuite, à 17h, un autre rendez-vous près du jardin de Ville, devant les plaques du Premier Bataillon de choc et du colonel Johnson, sur le parvis des Droits de l’Homme. Puis un concert de la fanfare du 27e Bataillon de Chasseurs Alpins et un bal de la Libération au jardin de Ville.

Au mémorial de la résistance, le représentant du préfet et le maire de Grenoble ont retracé les événements tragiques qui ont précédé la Libération de la Ville.

Eric Piolle qui copréside cette année le conseil national des communes « Compagnon de la Libération »  qui réunit Grenoble, Paris, Nantes, Vassieux-en-Vercors et l’Île de Sein, a fait un discours rappelant les actes héroïques des résistants Grenoblois et tirant les leçons de cette période pour nous, ici et maintenant, face à la montée de l’antisémitisme, du racisme, la chasse aux étrangers, l’accélération des discriminations…  En voici un large extrait :

« Notre ville, Grenoble, s’est distinguée par le courage de ses habitant-es et le lourd tribut humain payé à la lutte contre l’occupation nazie. À ce titre, le général de Gaulle l’a nommée ville Compagnon de la Libération à l’instar de Paris, de Nantes, de l’Île de Sein et de Vassieux-en-Vercors.

« Ville héroïque à la pointe de la résistance française et du combat pour la libération. Dressée dans sa fierté, livre à l’Allemand, malgré ses deuils et ses souffrances, malgré l’arrestation et le massacre des meilleurs de ses fils, une lutte acharnée de tous les instants. Bravant les interdictions formulées par l’envahisseur et ses complices, a manifesté le 11 novembre 1943, sa certitude de la victoire et sa volonté d’y prendre part. Le 14 novembre et le 2 décembre 1943, a répondu aux représailles et à l’exécution des chefs des mouvements de la résistance, par la destruction de la poudrière, de la caserne, de transformateurs et d’usines utilisés par l’ennemi. A bien mérité de la Patrie. » (Grenoble, Compagnon de la Libération par décret du 4 mai 1944).

Imprégnons-nous de ces mots de De Gaulle.

J’ai l’honneur de coprésider l’ordre de la Libération cette année, et je m’attache, avec toute mon énergie, à respecter les dernières volontés d’Hubert Germain : faire perdurer l’Ordre et de la transmission des valeurs de la Résistance. Les 5 villes compagnons se sentent garantes de cela. »

80 ans après cette distinction, nous sommes encore dépositaires d’une responsabilité collective, envers celles et ceux, dans l’Hexagone et par-delà ses frontières terrestres et maritimes, celles et ceux dont la vie a été arrachée parce qu’ils étaient juifs, parce qu’elles étaient juives, par millions, tziganes, homosexuel-les, opposants politiques ; dont la vie a été arrachée parce qu’ils, parce qu’elles ont participé au combat pour rendre à notre territoire et à ses habitant-es la liberté.

Cette responsabilité, nous en sommes redevables à l’égard de celles et ceux qui ont survécu à la déportation, celles et ceux qui ont perdu des proches.

Nous en sommes redevables à celles et ceux qui ont résisté à l’occupant dans la clandestinité et qui ont tourné le dos à leur quotidien au service d’une France libre, dont Eugène Chavant, Jean Pain, Marie Reynouard, Jean Perrot, Remo Perinetti, Gustave Estades. Mais aussi à celles et ceux qui ont mis leur métier au service de cette cause, comme Rose Valland, qui a tracé la spoliation des œuvres d’art appartenant à des familles juives et organisé leur restitution après la guerre dont l’engagement occupera une place particulière du musée de la Résistance et de la Déportation de l’Isère, à sa réouverture en 2025.

Je pense aussi à celles et ceux qui font vivre la mémoire de la résistance, de la déportation, et de l’entreprise d’élimination organisée des personnes juives, au travers des associations mémorielles et de la documentation de cette période de l’histoire.

Nous sommes aussi redevables vis-à-vis de nos enfants, pour leur éviter le même sort que celui qu’une jeunesse perdue a subi pendant ces années de guerre et d’occupation, et leur donner les clefs pour continuer cet esprit de résistance et d’unité face aux menaces de division.

C’est une responsabilité, bien sûr. C’est aussi un trésor. Transmettre, c’est merveilleux. Transmettre ce qui a été reçu des générations qui nous ont précédés, quand c’est ces valeurs de courage, de résistance, de liberté, mais aussi cette complexité tellement humaine qui peut faire des êtres d’une même chair et d’un même sang, faire de nous des salauds ou des héros et héroïnes, c’est encore plus merveilleux. Responsabilité joyeuse d’un trésor profondément humain.

Aujourd’hui, nous sommes en 2024. 80 ans après les faits. Les langues se sont déliées, celles des survivantes et des survivants. Les oreilles ont elle aussi pris le temps de s’ouvrir, petit à petit. L’histoire a été enseignée.

En tant que société nous l’affinons nous aussi. Nous créons les espaces pour que les paroles jusqu’alors peu écoutées et invisibilisées s’expriment et puissent faire partie de notre récit commun.

La programmation que la ville de Grenoble a mis en œuvre accorde une place particulière aux femmes résistantes, mais aussi aux étranger-es et combattants d’Afrique et d’Asie qui ont contribué à la libération de notre territoire. Conférences sur les tirailleurs sénégalais il y a quelques semaines, projection hier en plein air du film de Rachid Bouchareb Indigènes.

80 ans après les faits, nous ne pouvons plus ignorer les multiples facettes de cette histoire commune.

Et pourtant, 80 ans plus tard, notre société continue à désigner des boucs émissaires et à opposer des populations. Cette année, les actes antisémites ont triplé. C’est un tocsin qui doit raisonner en nous toustes et nous faire lever pour résister.

Certains se maquillent comme s’étaient maquillés les nazis en 1936 pour accueillir le monde pour les Jeux Olympiques de Berlin. Mais les masques se craquellent ici et là.

80 ans plus tard, en 2024, dans la première circonscription de Caen, qui accueille un mémorial dédié à la Seconde Guerre Mondiale, dans un département où le débarquement américain a laissé une trace durable, une candidate aux législatives ayant réuni assez de suffrages pour se maintenir au deuxième tour postait publiquement une photographie où elle portait une casquette nazie. Cette candidate d’un parti politique héritier d’une formation fondée par des collaborationnistes et des sympathisants du nazisme.

De même, nous devons voir le danger létal dans les discriminations que subissent un grand nombre de personnes en France, de tout âge, pour leur couleur de peau ou leur religion réelle ou supposée. Certains partis et médias pratiquent l’amalgame et l’instrumentalisation. Nourrissent le terreau qui peut conduire au pire. Stéréotypes, préjugés, peur ou rejet de l’autre, mis en avant d’intérêts artificiels mais irréconciliables, jalousies et frustrations. Dans une société injuste et inégalitaire, nous ne sommes à l’abri de rien.

En 2014, j’ai choisi pour le mur de mon bureau un très beau tableau de Suzanne Roger, plein de couleurs et de gens qui dansent. Son titre est une alerte : Suzanne Roger l’a appelé le 14 juillet 1939. Ne pas oublier que nous ne sommes pas à l’abri parce que nous ne sommes ni pires ni meilleurs que les femmes et les hommes d’alors. C’est au quotidien qu’il nous faut cultiver ce que nous chérissons, la liberté, l’égalité et la fraternité.

Les déstabilisations, sociales, économiques, politiques, morales, culturelles, l’émergence d’une minorité qui prône le pire et d’une majorité passive, la domination des questions identitaires et la fragilisation de nos institutions, les rumeurs et le complotisme, certains médias ouvertement au service du pire, l’engrenage des atteintes aux droits et aux libertés, vous voyons tout cela. Nous pouvons suivre ce vent mauvais, ou nous inscrire dans la majorité passive. Ou nous unir, comme le peuple français l’a fait en juin, pour dévier de ce chemin de malheur et porter l’espérance de vies dignes pour toutes et tous.

Il y a 80 ans, des troupes, notamment de soldats américains et africains, débarquaient en Provence. Nous commémorerons tout à l’heure le rôle des troupes américaines devant les plaques du Premier bataillon de choc et du colonel Johnson et je salue la présence de Debra Stark, vice-maire de Phoenix et de sa délégation. Ce débarquement en Provence, qui a conduit à la libération de notre territoire, nous en avons une mémoire plus parcellaire que le débarquement en Normandie et pour autant il était un moment d’histoire important.

Notre société a la responsabilité de se souvenir. Au nom de celles et ceux qui ont résisté, en mémoire de celles et ceux qui sont morts du fait des politiques nazies et de la collaboration. En mémoire de celles et ceux dont les noms ornent désormais nos rues et nos places.

Je vous propose de faire une petite incursion aux Etats-Unis, en janvier 2021. L’investiture de Joseph Biden incarnait alors l’alternance et l’espoir retrouvé, après quatre ans d’une présidence qui a organisé la maltraitance des plus vulnérables et la régression du droit. Une jeune poète afro-américaine, Amanda Gorman, a récité alors un poème, the Hill We Climb, la colline que nous grimpons, qui évoquait à la fois l’espoir, et la responsabilité qui attendait le peuple américain.

En fait de collines, de Grenoble, nous voyons des montagnes. Ce paysage majestueux nous renvoie au surnom de notre ville, désignée « capitale des maquis » en raison des foyers de résistance qui l’entouraient. Ces massifs nous rappellent le chemin à parcourir, ensemble, jour après jour, pour que les multiples facettes de la Résistance et de la Libération de Grenoble continuent à nous accompagner, à guider notre action collective.

Comme à la Libération, il nous appartient de reconstruire, de réconcilier et de guérir. Il nous appartient, à toutes et tous, de trouver la voie du dialogue, du compromis et de la rencontre, comme l’ont fait les générations précédentes, celles qui ont construit le Conseil national de la Résistance et le Programme des Jours Heureux, celles et ceux qui ont construit une Europe libre et en paix, celles et ceux qui ont amorcé la reconstruction de la France d’après-guerre. C’est une mobilisation toujours nécessaire, toujours impérieuse envers la bête immonde. Ce combat contre la bête immonde ne masque pas la montagne magnifique que nous devons gravir ensemble.

Le mot d’ordre des 80 ans de la Libération à Grenoble est résister transmettre.

Je vous invite, avec gravité et avec joie et enthousiasme, toutes et tous, de tous âges à vous rendre aux événements programmés en 2024, afin de nous imprégner de cette mémoire et de pouvoir la transmettre autour de nous. Ainsi, nous aurons les outils pour gravir, chaque jour, avec nous, cette montagne, pour que notre société soit un lieu de dialogue, de liberté, et de respect de la dignité de chaque être humain. Il ne tient qu’à nous de transmettre ce courage collectif et de l’entretenir, jour après jour… »

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