
L’enquête publique a mobilisé de nombreux moyens à la disposition des prérogatives de la commission d’enquête présidée par Gabriel Ullmann et s’est achevé sur des conclusions très défavorables étayées sur 400 pages.
Ce qui en fait, à plus d’un titre, une enquête publique historique. L’enquête, qui a duré 47 jours, du 6 janvier au 21 février 2025, a porté sur l’intégralité de la demande d’autorisation environnementale d’EDF-Renouvelables, comprenant une demande de dérogation à l’interdiction de la destruction des espèces protégées et de leurs habitats. Rappelons qu’EDF-renouvelables vient par ailleurs d’être lourdement condamnée, ainsi que son ancien PDG, par le tribunal correctionnel de Montpellier, le 7 avril 2025, pour de graves manquements délictueux, conduisant à des centaines de mortalité d’oiseaux et de chauves-souris, pour son parc éolien d’Aumelas (Hérault).
La commission d’enquête a recensé 148 contributions du public.
Toutes les sensibilités se sont exprimées, depuis des avis très favorables jusqu’à des avis fermement opposés au projet. Les avis défavorables ont été largement plus nombreux de la part du public et quasi unanimes de la part des associations qui ont contribué à l’enquête ; il en fut de même pour la majorité des communes consultées par la préfecture qui se sont exprimées.
La commission a pris connaissance des avis rendus par les Services préfectoraux et par le Conseil National de la Protection de la Nature, quasi unanimement défavorables, que ce soit au titre du paysage ou de la biodiversité. Quant à l’Autorité environnementale (MRAe), elle recommandait « au maître d’ouvrage de la ressaisir sur la base d’une étude d’impact complétée, témoignant d’une démarche d’évitement plus approfondie, avant toute présentation au public et délivrance d’une autorisation ».
L’analyse approfondie sur les chiroptères et les oiseaux de l’expert Christian Kerbiriou, désigné par le Président du Tribunal Administratif, à la demande du président de la commission, s’est montrée également très critique sur cette partie du dossier d’enquête.
La méthode poursuivie par la commission pour l’examen du projet d’EDF Renouvelables s’est inscrite dans les recommandations du Guide de la Compagnie Nationale des Commissaires Enquêteurs sur les projets d’éoliennes : « L’avis du commissaire enquêteur dans le cadre d’une enquête publique environnementale, contrairement aux enquêtes publiques préalables à une DUP, n’est pas censé être motivé par les « avantages » du projet, mais par l’absence d’inconvénient notable. C’est l’appréciation du caractère notable ou non des inconvénients du projet qui doit motiver son avis »[1].
D’une façon générale, la commission relève que le dossier d’enquête sous-évalue régulièrement les enjeux, minimise les impacts et majore l’efficacité de ses mesures. Ce qui a été de nature à nuire à la bonne et complète information du public, mais aussi à la recevabilité du dossier pour sa mise à l’enquête. Cela concerne notamment, pour les deux types d’enjeux très forts relevés :
- Paysage et commodités de voisinage
La commission d’enquête considère que le maître d’ouvrage a présenté une analyse paysagère partielle, à son avantage, principalement en ce qui concerne la saturation du paysage par les éoliennes. Sa présentation du sujet est même apparue problématique à des habitants parmi les premiers concernés, mais aussi à la commission. La suppression de deux éoliennes, annoncée dans le mémoire en réponse à la commission et confirmée par courriel, atténue la saturation notamment depuis l’ouest de la zone. Néanmoins, la réactualisation de l’étude d’impact aurait été nécessaire pour conforter le nombre d’éoliennes à supprimer. La commission regrette ainsi que le scénario comprenant la suppression de la ligne d’éoliennes E01 à E05 n’ait pas été examiné par le maître d’ouvrage, comme le préconisaient tant la DREAL que l’Unité Départementale de l’Architecture et du Patrimoine de l’Isère dirigée par l’Architecte des Bâtiments de France (UDAP 38).
Compte tenu des analyses détaillées qui précèdent sur l’impact paysager, la commission considère notamment que les dispositions de l’article L. 515-44 du code de l’environnement ne sont pas satisfaites :
« La délivrance de l’autorisation d’exploiter est subordonnée au respect d’une distance d’éloignement entre les installations et les constructions à usage d’habitation (…) Elle est au minimum fixée à 500 mètres. (…). L’autorisation environnementale tient également compte, le cas échéant, du nombre d’installations terrestres de production d’électricité utilisant l’énergie mécanique du vent déjà existantes dans le territoire concerné, afin de prévenir les effets de saturation visuelle en vue de protéger les intérêts mentionnés à l’article L. 511-1. »
Si l’on cumule pour le proche voisinage concerné les effets sur le paysage, les lumières et le bruit, la commission est arrivée à la conclusion que le projet induirait forcément des incidences significatives sur la commodité de voisinage au titre de l’article L 511-1 du code de l’environnement.
- Dérogation espèces protégées, Natura 2000 et impacts cumulés
La commission est arrivée à la conclusion, confortée en cela par l’analyse approfondie de l’expert Kerbiriou que toute autorisation nuirait au maintien, dans un état de conservation favorable, des populations des espèces concernées de chiroptères et de rapaces, dont certaines sont déjà en déclin et même considérées comme menacées, dans leur aire de répartition naturelle. Et notamment celle qui se trouve au sein de la zone Natura 2000. Cela concerne tant les risques, réels et forts, de collision que de pertes d’habitats.
De plus, au regard des inventaires faune/flore à la fois anciens et lacunaires, des mesures ERC insuffisantes pour la préservation de la biodiversité, et notamment les mesures compensatoires inadaptées pour les chiroptères, et même dangereuses par leur pouvoir d’attraction à proximité d’éoliennes, de l’absence réelle de toute mesure en matière d’impacts cumulés, la commission considère que les dispositions de l’article L.163-1 du code de l’environnement ne peuvent pas être respectées. A savoir : « Les mesures de compensation des atteintes à la biodiversité visent un objectif d’absence de perte nette, voire de gain de biodiversité. Elles doivent se traduire par une obligation de résultats et être effectives pendant toute la durée des atteintes. Elles ne peuvent pas se substituer aux mesures d’évitement et de réduction. Si les atteintes liées au projet ne peuvent être ni évitées, ni réduites, ni compensées de façon satisfaisante, celui-ci n’est pas autorisé en l’état».
A l’examen de tous les faits, données et analyses abondantes qui précédent, la commission d’enquête considère également que les exigences des dispositions de l’article L.181-3 du code de l’environnement ne sont pas satisfaites pour assurer la prévention des inconvénients pour les intérêts mentionnés aux articles L. 511-1 du code de l’environnement, en ce qui concerne :
- tant la commodité du voisinage, que la santé, la protection de la nature, de l’environnement et des paysages ;
- le respect des objectifs de conservation du site Natura 2000 ;
- le respect des conditions, fixées au 4° du I de l’article L. 411-2, de délivrance de la dérogation aux interdictions édictées pour la conservation des espèces animales protégées et de leurs habitats.
La commission est arrivée à la conclusion que la démarche d’évitement n’a pas été menée à son terme et en toute objectivité par le maître d’ouvrage, ce qui l’aurait conduit inévitablement à ne pas porter son choix final sur ce site, avec des riverains aussi proches et en présence d’autres parcs éoliens, de surcroît dans un paysage rural remarquable, au sein d’un milieu naturel sensible et grande qualité, tout en ne tenant pas compte des impacts cumulés en termes de mortalités, déjà importantes, des parcs existants, auxquels s’ajouteront ceux du parc éolien, autorisé, de Dionay.
Aussi, après l’examen attentif de toutes les observations du public et des multiples échanges avec le maître d’ouvrage, des auditions de nombreux chercheurs, scientifiques et organismes œuvrant dans l’éolien, des avis des différents services, après l’étude très approfondie du dossier et de tous les documents en sa possession, de l’analyse éclairée de l’expert désigné par le Président du Tribunal Administratif de Grenoble, ainsi que de l’analyse minutieuse des réponses du maître d’ouvrage, après avoir procédé à trois reprises à la visite des lieux et avoir échangé avec des riverains, la commission d’enquête émet unanimement un avis défavorable au projet présenté au titre de l’autorisation environnementale.
[1] TRICOIRE Vinciane, CNCE, 2024. La participation du public aux projets d’éolien terrestre vue depuis l’enquête publique(54 pages).
Mots-clefs : edf, Energie, enquêtes publiques, environnement