
C’est ce qui ressort du rapport d’une commission d’enquête sénatoriale sur l’utilisation des aides publiques aux grandes entreprises et à leurs sous-traitants.
Une constatation abrupte du rapport : l’administration est dans l’incapacité de savoir le montant des aides versées et surtout à qui et à quoi elles sont utilisées !
« L’équivalent d’environ 7 % du PIB s’évanouit dans la nature et personne ne sait vraiment où va l’argent. Bercy, pourtant tellement à cheval sur les dépenses publiques, ne semble pas vouloir en savoir plus. Le rapport montre le manque flagrant d’intérêt du ministre de l’Economie Eric Lombard pour le sujet et laisse pointer un gros sous-texte politique : se pencher sur ces chiffres, c’est questionner le comportement des entreprises dont le ministre se fait, jour après jour, le porte-parole des intérêts.
Après plusieurs mois de travail, la commission d’enquête sénatoriale aboutit à une estimation qu’elle qualifie de « prudente » de 211 milliards d’aides. Il s’agit d’un plancher, car c’est sans compter les aides des régions, du bloc communal et les aides européennes, difficiles à établir avec des chiffres solides. Les sénateurs demandent alors à l’Insee d’arrêter « une nomenclature consensuelle et robuste des aides aux entreprises et d’alimenter un tableau annuel ».
Cependant, on observe que le volume et le coût des aides publiques aux entreprises ne cessent de s’alourdir d’année en année, « de l’ordre de 15 milliards d’euros en 2001 – en ne retenant que celles versées par l’État et les collectivités territoriales, soit 1 % du PIB français -, le montant des aides publiques aux entreprises, quelle que soit leur taille, a grimpé à 223 milliards d’euros en 2019 si l’on retient le périmètre le plus large identifié par France Stratégie, soit 9,2 % du PIB. »
Les travaux de la commission mettent en lumière le cas des entreprises qui reçoivent des aides et procèdent en même temps à des plans sociaux à des distributions généreuses de dividendes, à des rachats d’actions, etc., des situations difficiles à comprendre et à admettre pour le contribuable.
La commission d’enquête sénatoriale a poursuivi trois objectifs principaux :
- établir le coût des aides publiques octroyées aux grandes entreprises, entendues comme celles employant plus de 1 000 salariés et réalisant un chiffre d’affaires net mondial d’au moins 450 millions d’euros par an, ainsi que le coût des aides versées à leurs sous-traitants ;
- déterminer si ces aides sont correctement suivies, contrôlées et évaluées, afin de garantir la bonne utilisation des deniers publics ;
- réfléchir aux contreparties qui pourraient être imposées en termes de protection de l’emploi, lorsque des aides publiques sont versées à de grandes entreprises qui procèdent simultanément à des fermetures de site, prononcent des licenciements ou délocalisent leurs activités.
Lorsqu’une entreprise demande des aides pour des projets a priori rentables, elle devra les rembourser si tout se passe bien. Et puisque certains cabinets sont devenus des chasseurs de primes d’aides publiques, il faudrait encadrer réglementairement leurs rémunérations ?
« Seraient tenues de rembourser les aides perçues, et ne pourraient plus y prétendre durant une durée suffisamment incitative, les entreprises ayant été condamnées de manière définitive en matière de fraude fiscale, de travail illégal, de discrimination systémique ou de police de l’environnement »,
Il en va de même pour les sociétés qui ne publient pas leurs comptes. Et autre proposition : exclure les aides reçues du résultat distribuable de l’entreprise dans l’hypothèse par exemple où elle réaliserait 10 millions de profits après avoir reçu 2 millions d’aides, elle ne pourrait distribuer au maximum que 8 millions à ses actionnaires.
Et systématiquement privilégier la mise en place de l’aide publique temporaire ou expérimentale, qui serait subordonnée au maintien ou la pérennisation, à l’issue d’une mesure d’évaluation.
En conclusion, la commission d’enquête a formulé 26 recommandations, structurées autour de quatre axes pour susciter :
- un « choc de transparence » des aides publiques aux entreprises, tant à l’égard du Parlement et des élus dans les entreprises, que des chercheurs et du public ;
- un « choc de rationalisation », afin de remettre les aides publiques aux entreprises sur leurs pieds et mettre en œuvre des règles de bon sens aux niveaux national, local et européen ;
- un « choc de responsabilisation » des entreprises, en renforçant la conditionnalité des aides pour éviter notamment les délocalisations et en encadrant le versement des dividendes ;
- un « choc d’évaluation » afin que celle-ci devienne enfin une « seconde nature » pour l’administration, au même titre que ses missions d’élaboration des normes et de contrôle. Dans ce cadre, le Haut-Commissariat à la stratégie et au plan (ex-France Stratégie) se verrait confier un rôle central en matière d’évaluation des aides publiques aux entreprises.
Mots-clefs : économie, parlement, public-privé, subventions