Projet de loi sur l’immigration dénoncé par les associations et les professionnels

Publié le 2 mars 2018

Le 21 février a été présenté en conseil des ministres un projet de loi relatif à une « immigration maîtrisée et un droit d’asile effectif ». Comme l’indique le communiqué du Conseil des ministres : « Ce projet de loi poursuit trois objectifs : la réduction des délais d’instruction de la demande d’asile ; le renforcement de la lutte contre l’immigration irrégulière ; l’amélioration de l’accueil des étrangers admis au séjour pour leurs compétences et leurs talents ». Il a été déposé à l’assemblée nationale dès le 21 février et mis en procédure accélérée.

Ce projet de loi est très critiqué par de très nombreuses associations, des juristes et le défenseur des droits.

Ce dernier estime dans un entretien au « Monde » (22/02/2018) que le texte présenté ne constitue pas la bonne approche du sujet et va réduire les droits des demandeurs d’asile.

Les organismes chargés d’examiner les demandes d’asile ont aussi réagi : la Cour Nationale du Droit d’Asile (CNDA) a entamé une grève contre ce projet le 13 février. Elle a été suivie peu après par des syndicats de l’OFPRA.

A Grenoble, les collectifs et associations œuvrant quotidiennement auprès des réfugiés et des migrants expriment aussi leurs inquiétudes face à ce projet de loi et aux pratiques préfectorales qui avant la loi expérimentent illégalement certaines de ses dispositions. L’ADES s’associe aux actions citoyennes prévues de mars à juin à l’occasion du débat parlementaire (manifestations, rassemblements, états généraux…)

Le Conseil d’Etat a décidé de rendre public son avis sur ce projet de loi, ce qui n’est pas habituel :

« … le Conseil d’État aurait souhaité trouver dans le contenu du texte, éclairé par l’exposé des motifs et l’étude d’impact, le reflet d’une stratégie publique fondée sur l’exacte mesure des défis à relever et sur des choix structurants orientant les services publics vers un exercice plus efficace de leur mission….

le Conseil d’État ne peut que regretter que le projet ne soit pas l’occasion d’une simplification drastique des dispositifs qui, au fil de la sédimentation des dispositions, se multiplient et se déclinent en variantes dont la portée, le régime ou les conditions diffèrent marginalement, sans que cette sophistication n’entraîne un surcroit d’efficacité… 

Le Conseil d’État insiste à nouveau sur la nécessité, dans ce domaine particulièrement sensible, de ne légiférer qu’au vu d’évaluations claires des dispositifs en vigueur, ce qui suppose d’assigner d’abord des objectifs précis et mesurables en termes d’efficacité, de coût et de praticabilité et de vérifier ensuite si ceux‑ci ont été atteints ou non… »

Le 21 février, l’autorité administrative indépendante, le CGLPL (Contrôleur général des lieux de privation de liberté) a fait le communiqué suivant :

« La Contrôleure générale des lieux de privation de liberté tient à exprimer ses vives inquiétudes pour les droits fondamentaux des personnes étrangères à l’issue de la présentation en conseil des ministres du « projet de loi pour une immigration maîtrisée et un droit d’asile effectif ».

Alors même que le CGLPL est régulièrement alerté sur une augmentation conséquente du nombre de placements en rétention administrative, notamment de familles avec enfants, ce projet marque un net recul des libertés et va à l’encontre des préconisations du contrôle général, en particulier sur la durée de la rétention et le respect des droits de la défense.

Il n’est jamais anodin d’enfermer des personnes, d’autant plus quand elles n’ont commis aucune infraction. Le Gouvernement ne semble pas en être suffisamment convaincu. Le CGLPL rappelle depuis plusieurs années que la durée de rétention de 45 jours est déjà inutilement longue au vu de l’objectif d’éloignement.

Les constats du CGLPL montrent que la rétention se déroule d’ores et déjà trop souvent dans des conditions attentatoires aux droits fondamentaux des personnes retenues : hygiène déplorable, locaux inadaptés, sécurisation de type carcéral, absence d’intimité, accès limité à l’air libre, prise en charge médicale aléatoire pour le somatique et inexistante pour le psychiatrique, moyens de communication insuffisants, absence quasi-totale d’activités.

L’allongement de la durée de la rétention de 45 à 90, voire 135 jours, ne pourra qu’aggraver ces effets délétères. Le CGLPL maintient au contraire sa recommandation de ramener cette durée à 32 jours.

En outre, ce projet de loi met en péril les droits de la défense, augmentant l’inégalité des moyens entre les personnes étrangères et l’administration. Dans ce domaine l’exercice des recours légaux est complexe : technicité de la matière, obstacle de la langue, brièveté des délais pour agir, précarité, angoisse liée à l’éloignement et à l’enfermement. Les modifications procédurales proposées ne feront qu’accroître ces difficultés.

Dans ce cadre, la généralisation du recours à la visioconférence pour les audiences, sans le consentement des intéressés, est inacceptable. Outre des difficultés techniques souvent constatées, la visioconférence entraîne une déshumanisation des débats et nuit considérablement à la qualité des échanges. Le CGLPL rappelle ses recommandations antérieures, aux termes desquelles l’usage de ce moyen doit rester exceptionnel, et en aucun cas constituer une commodité pour l’administration. Elle doit en tout état de cause être soumise à l’accord de la personne concernée. »

Sur la politique vis-à-vis des migrants des gouvernements français, Amnesty International, dans son rapport 2017/2018 sur « les droits humains dans le monde » consacre quelques pages à la France (page 204) où il est notamment question de l’atteinte aux droits des migrants :

« DROITS DES PERSONNES RÉFUGIÉES OU MIGRANTES Entre janvier et juillet, la préfecture des Alpes-Maritimes a intercepté 28 000 réfugiés et migrants qui avaient traversé la frontière depuis l’Italie. Les autorités ont renvoyé 95 % d’entre eux en Italie, y compris des mineurs non accompagnés, sans respecter leur droit de demander l’asile en France. Entre janvier et août, les autorités ont placé plus de 1 600 ressortissants afghans dans des centres de rétention en attendant de les transférer dans d’autres pays européens au titre du Règlement Dublin III, qui régit l’attribution des responsabilités en matière d’examen des demandes d’asile au sein de l’UE, ou de les renvoyer en Afghanistan. Selon des organisations de la société civile, au cours de cette période, les autorités auraient envoyé environ 300 Afghans dans d’autres pays de l’UE et en auraient expulsé au moins 10 vers l’Afghanistan. La France avait renvoyé 640 personnes en Afghanistan en 2016. Étant donné l’instabilité en matière de sécurité et la situation des droits humains, tous les renvois forcés vers ce pays constituaient une violation du principe de « non-refoulement », selon lequel les États doivent s’abstenir de renvoyer des gens dans un pays où ils risquent de subir des violations des droits humains. Les autorités ont instauré des mesures punitives contre les centaines de migrants et de réfugiés qui sont retournés à Calais après le démantèlement du camp informel surnommé « la Jungle », en novembre 2016. Les opérations policières d’interpellation et de fouille ont été renforcées, suscitant des inquiétudes liées au profilage ethnique. En mars, la mairie a interdit aux organisations humanitaires de distribuer des repas aux migrants et aux demandeurs d’asile dans certains lieux de la ville. À la fin du mois, un tribunal a estimé que cette interdiction constituait un traitement inhumain et dégradant et a ordonné la suspension de l’exécution des arrêtés municipaux concernés. La municipalité a refusé d’appliquer pleinement ce jugement et n’a autorisé la distribution que d’un repas par jour. En juin, le Défenseur des droits s’est dit préoccupé par les violations des droits humains subies par les migrants et les demandeurs d’asile à Calais et a enjoint aux autorités de veiller au respect des droits sociaux et économiques de ces personnes, en particulier en ce qui concerne l’accès à l’eau et à un hébergement adapté, et de leur permettre de demander l’asile en France. Des personnes ont cette année encore été poursuivies en justice et condamnées pour avoir aidé des migrants et des réfugiés à entrer ou à rester de façon irrégulière sur le territoire français, par exemple en leur fournissant un abri ou de quoi se nourrir. En août, Cédric Herrou, un agriculteur vivant près de la frontière franco-italienne, a été condamné en appel à quatre mois de prison avec sursis pour avoir aidé des migrants et des réfugiés à passer la frontière et pour les avoir hébergés.

DISCRIMINATION Une loi étendant aux campements informels le moratoire hivernal sur les expulsions est entrée en vigueur en janvier. Les autorités ont cette année encore expulsé de force des personnes qui vivaient dans des campements informels, dont beaucoup de migrants roms. Selon des organisations de la société civile, 2 689 personnes ont ainsi été expulsées au cours des six premiers mois de l’année. Le 14 mars, la Cour de justice de l’Union européenne n’a pas fait respecter le droit des musulmanes de ne pas subir de discrimination en estimant qu’un employeur privé français n’avait pas enfreint le droit européen en matière de non-discrimination lorsqu’il avait licencié une employée portant le voile.

RESPONSABILITÉ DES ENTREPRISES Une loi imposant un « devoir de vigilance » aux grandes entreprises est entrée en vigueur en mars. Ce texte exigeait des entreprises françaises qu’elles établissent et mettent en œuvre un « plan de vigilance » visant à prévenir les atteintes graves aux droits humains et à l’environnement résultant directement ou indirectement de leurs activités et de celles des sociétés qu’elles contrôlent, de leurs fournisseurs et de leurs sous-traitants. En cas d’atteintes aux droits humains provoquées par un manquement de la part des entreprises au regard de cette nouvelle loi, les victimes étaient désormais habilitées à demander réparation devant les tribunaux français.

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