La justice frappe Deliveroo pour travail dissimulé

Publié le 6 mai 2022

Le combat contre l’ubérisation de la société peut porter ses fruits. Le tribunal judiciaire de Paris a infligé, le 19 avril, à des anciens cadres de Dileveroo des peines de prison avec sursis (12 mois pour deux dirigeants, 4 mois pour un troisième) et l’entreprise est condamnée à payer 375 000 € d’amende pour travail dissimulé ; la relation qu’entretenait Deliveroo avec ses livreurs établit un lien de subordination permanente, constitutif du délit de travail dissimulé.

Les 120 livreurs concernés par ce jugement seront indemnisés entre 1000 et 5000 € chacun.

La société Deliveroo a été condamnée à verser 50 000 euros de dommages et intérêts à chacune des cinq organisations syndicales de salariés (CGT, Union Solidaires, SUD-Commerces et services, SUD-Commerces et services Ile-de-France et Syndicat national des transports légers) qui s’étaient portées parties civiles pour « préjudice moral ».

Deliveroo a fait savoir qu’elle envisageait de faire appel.

Ci-dessous des extraits d’un article d’Alternatives économiques, du 29 avril, intitulé : « Deliveroo au pénal, tout un symbole ! »

« Et si cette fois-ci, c’était la bonne ? La première condamnation d’une plate-forme de livraison au pénal enfonce-t-elle le dernier clou dans le cercueil de cette économie très attaquée ? Ce serait porter un peu vite le coup de grâce. Cette nouvelle décision de justice vient néanmoins fissurer encore un peu plus un modèle assis sur l’indépendance fictive des travailleurs…

Au-delà des décisions au civil dont la finalité est de réparer financièrement les préjudices subis, il met sur la place publique la culpabilité des dirigeants.

Le pouvoir de sanction déterminant

Les multiples injonctions faites aux coursiers – porter une tenue siglée, respecter « les dix commandements du biker », devoir créer un statut d’auto-entrepreneur, ne pas pouvoir modifier son emploi du temps, être géolocalisé à des fins de contrôle, etc. – prouvent que la plate-forme se comporte en réalité en employeur libre d’exercer son pouvoir de sanction. Tout retard ou manquement peut conduire à une retenue sur le prix des courses.

Sur d’autres plates-formes, le refus d’un « shift » peut entraîner une déconnexion temporaire de la plate-forme, qui peut être très longue en fonction du système de notation mis en place.

Le tribunal correctionnel abonde ainsi dans le sens des arrêts précédemment rendus. Il y a d’abord eu une première déflagration en 2018 lorsque la Cour de cassation a reconnu un lien de subordination entre un coursier et Take Eat Easy. Puis, cette même Cour a requalifié deux ans plus tard la prestation d’un chauffeur Uber en contrat de travail. Tout simplement parce que le conducteur qui se connecte à l’appli n’a pas le pouvoir de se constituer sa propre clientèle, de fixer librement ses tarifs ni de déterminer les conditions d’exécution de sa prestation de transport.

Les plates-formes ne rendent pas pour autant les armes. Deliveroo argue que les faits incriminés se sont déroulés entre 2015 et 2017. Et force est de constater qu’à chaque décision de justice, les plates-formes s’adaptent. Elles font tout pour ne plus avoir l’air d’imposer des consignes aux livreurs. Et comptent sur une législation française accommodante avec cette économie 2.0.

Mais l’accumulation de contentieux commence à peser, en France et à l’étranger. Des lois sont votées, comme en Espagne où est reconnu à ces travailleurs le statut de salarié.

Nous l’avons mentionné dans ces colonnes, un projet de directive européenne devrait déboucher sur une présomption de salariat. Cela signifie qu’à terme, les travailleurs des plates-formes qui voudront rester indépendants le pourront, mais que tous les autres seront considérés comme des salariés par défaut. Avec toute la protection sociale en matière de santé, chômage, congés payés, etc. qui accompagne ce statut. De quoi inciter les plates-formes à proposer plus de droits et à cesser de confondre flexibilité et précarité.

Rien n’est bien sûr facile. Faute d’avoir trouvé la clé de la rentabilité, la plate-forme Just Eat qui emploie ses livreurs a annoncé en avril dernier un plan de licenciements. Mais, d’autres sociétés, plus petites, sous forme de coopératives de livreurs à vélo, fonctionnent mieux. Elles font des émules chez les VTC. Fin mars, le conseil départemental de Seine-Saint-Denis a acté sa participation financière dans une future coopérative qui devrait réunir 500 chauffeurs de VTC d’Ile-de-France. L’anti-modèle Uber. »

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