
Que s’est-il passé lors de la préparation budgétaire fin 2023 pour élaborer le budget 2024, puis dans les premiers mois de l’exécution du budget 2024 par les gouvernements Macron, Borne, Attal, Le Maire et tous les autres ministres macronistes ?
On commence à peine à tout comprendre et la commission d’enquête mise en place s’avère nécessaire pour lever le voile sur des erreurs monumentales (volontaires ou non) dont on ne connait pas les responsables. Il y a pour le moins de gros mensonges.
Le budget 2025 de M. Barnier propose 353,2 Md€ (milliards d’euros) de recettes fiscales (impôts et taxes) alors que le gouvernement précédent proposait 345,1 Md€ pour 2024, soit une augmentation de seulement 8 Md€ c’est à dire 2,3 % d’augmentation. On est loin d’un matraquage fiscal, cette augmentation correspondant à peu près à l’inflation. Si on fait confiance au budget 2024, la politique financière de 2025 devrait ressembler comme deux gouttes d’eau à celle de 2024 !
Pour l’instant, il y a clairement un mensonge sur le budget initial de 2024, voté fin 2023, qui annonçait un équilibre financier totalement fallacieux, donc un budget insincère.
En comparant les lois de finances initiales (LFI) de l’Etat pour 2024 et 2025, ce qui frappe c’est la très grande continuité des prévisions, notamment en fonctionnement ; pour l’investissement c’est l’augmentation des remboursements en capital des emprunts passés qui fait la légère différence. Or on sait qu’il n’y a pas continuité puisqu’il va y avoir une forte augmentation des impôts et des taxes en 2025 et des coups de rabot dans les dépenses.
Il y a un gros loup car la prévision actuelle des recettes fiscales à fin 2024 est estimée à 26 milliards d’euros moins élevée que prévue et Barnier prévoit pour 2025 une augmentation de 35 M€ de recettes fiscales et de taxes supplémentaires, loin des 20 milliards annoncés. Les très hauts revenus et les grandes entreprises vont être pour une part impactés mais le reste va toucher tout le monde et surtout les plus pauvres et les classes moyennes. La droite ne peut pas faire des réformes fiscales justes en préservant toujours les plus riches, socle de son électorat.
En milliards d’euros | Réel 2023 | LFI 2024 | Révisé 2024 | Ecart 2024 / 2023 | PLFI 2025 | Ecart 2025 /2024 |
Recettes fiscales nettes | 322,9 | 348,5 | 322,5 | -26 | 357,6 | 35,1 |
Pour l’ensemble des budgets de l’Etat et de la sécurité sociale, le premier président de la Cour des comptes affirme le 10 octobre devant les députés : « Entre ce que vous avez voté et ce qui sera en principe réalisé, il y a 1,7 point de PIB (produit intérieur brut) et 52 milliards d’euros. Je crois qu’on peut dire que c’est absolument considérable et totalement inédit ».
Le budget 2024 était mensonger et ne respectait pas la loi qui exige sincérité et équilibre. Qui est responsable ?
Le tableau ci-dessous est extrait de la page 284 du projet de loi de finances 2025 et des pages 312 et 313 de celui de 2024. Les chiffres sont en milliards d’euros (Md€)
I. Section de fonctionnement Md€ | LFI 2024 | LFI 2025 | LFI 2024 | LFI 2025 | ||
Charges | 470,9 | 477,9 | Produits | 470,9 | 477,9 | |
Dépenses de fonctionnement | 67,7 | 67,8 | Produits de gestion courante (recettes non fiscales) | 21,6 | 19,4 | |
Dépenses de fonctionnement autres que celles de personnel | 32,1 | 32,5 | ||||
Subventions pour charges de services publics | 35,6 | 35,3 | ||||
Charges de personnel | 153,5 | 157,1 | Impôts et taxes (recettes fiscales) | 345,1 | 353,2 | |
Rémunérations d’activité | 90 | 90,7 | ||||
Cotisations et contributions sociales | 62,3 | 65,1 | ||||
Prestations sociales et allocations diverses | 1,2 | 1,3 | ||||
Autres charges de gestion courante | 138,1 | 137,4 | Autres produits courants | -5 | -1,4 | |
Pouvoirs publics | 1,1 | 1,2 | Solde des budgets annexes et comptes spéciaux | -5 | -1,4 | |
Interventions | 135,1 | 135,3 | ||||
Appels en garantie | 1,9 | 1,0 | ||||
Charges financières : charge nette de la dette | 52,2 | 54,9 | Produits financiers | 1 | 1,2 | |
Intérêt des prêts du Trésor | 1 | 1,2 | ||||
Charges exceptionnelles | Produits exceptionnels | |||||
Dotations aux amortissements et provisions | Reprise sur amortissements et provisions | |||||
Reversements sur recettes | 59,3 | 60,7 | ||||
Prélèvement au profit de l’Union européenne | 21,6 | 23,3 | ||||
Prélèvements au profit des collectivités territoriales (hors FCTVA) | 37,7 | 37,3 | ||||
Bénéfice de la section de fonctionnement | Déficit de la section de fonctionnement | 108,1 | 105,6 | |||
II. Section d’investissement Md€ | ||||||
Emplois | 299,9 | 314,1 | Ressources | 299,9 | 314,1 | |
Insuffisance d’autofinancement | 108,1 | 105,6 | Capacité d’autofinancement | |||
Dépenses d’investissement | 28,8 | 30,3 | Cessions d’immobilisations financières | 0,2 | 0,9 | |
Dépenses d’opérations financières | 170,8 | 183,0 | Ressources de financement | 299,7 | 313,2 | |
Remboursements d’emprunts et autres charges de trésorerie | 162,9 | 175,9 | Émission de dette à moyen terme et long terme nettes des rachats | 285 | 300,0 | |
Opérations financières (CAS PFE) | 0,2 | 0,9 | Autres ressources de financement | 14,7 | 13,2 | |
Opérations financières (hors CAS PFE) | 7,7 | 6,2 | ||||
Neutralisation des opérations sans impact en trésorerie | -7,7 | -4,8 | ||||
Solde général | -144,5 | -142,1 |
Concernant l’Etat, les dépenses de fonctionnement sont assez bien contrôlées durant leur exécution puisque le budget fixe des autorisations à dépenser. On ne peut pas déraper sauf à faire une loi rectificative ; par contre les recettes, essentiellement les impôts et les taxes sont plus difficiles à estimer car elles dépendent beaucoup de la conjoncture et de la capacité de Bercy à les collecter. Le gouvernement agit par une loi rectificative en cours d’année si les entrées de recettes sont inférieures à la prévision.
Depuis quelques années, le Haut conseil de finances publiques attire l’attention du gouvernement sur la façon beaucoup trop optimiste d’évaluer les évolutions macroéconomiques, et donc d’annoncer des prévisions de recettes trop favorables. Il ne faut pas faire peur aux électeurs surtout dans une année électorale.
Dès février 2024, Bercy a reconnu qu’il y avait moins de recettes fiscales et de taxes que prévu, d’où le décret qui annulait 10 milliards d’euros de dépenses. Mais il n’y a pas eu de loi rectificative qui aurait entraîné un débat parlementaire, car Macron s’occupait des élections européennes donc…pas de vagues. Puis arrive la décision de bloquer 16 M€ de dépenses car le déficit de l’Etat s’aggrave et les collectivités locales sont alors accusées de trop dépenser et de creuser le déficit global des finances publiques.
Mais sans loi rectificative, le gouvernement ne peut pas augmenter les impôts durant le reste de l’année pour compenser le déficit en train de se creuser. Le mensonge qui a démarré dès fin 2023, se poursuit jusqu’au 31 décembre 2024.
Politiquement on connait maintenant ce qui s’est passé dans le bureau de Macron : il savait que le budget 2024 était mensonger, mais il ne fallait pas l’admettre avant les élections européennes et les jeux olympiques, d’autant qu’il prévoyait une dissolution avant le débat budgétaire de fin d’année. Il pensait que vu les divergences à gauche et l’échec de la NUPES, la gauche se diviserait et qu’il obtiendrait alors une large majorité après la dissolution pour imposer une forte austérité budgétaire. D’où la rapidité de l’annonce de la dissolution pour empêcher les partis de se préparer correctement. Ce calcul ayant été totalement déjoué par la création du Nouveau Front Populaire et la mise en place du front républicain, il essaye de s’en sortir en choisissant Barnier qui ne peut pas faire l’entière lumière sur les mensonges des équipes gouvernementales précédentes puisqu’elles font partie de son gouvernement.
La mise en place d’une commission d’enquête par la commission des finances est donc une très bonne décision. Il n’est pas possible d’élaborer une loi de finance si on n’est pas au clair sur les réalités des recettes réelles.
Concernant l’apport des collectivités locales à l’effort national, la proposition de Barnier n’est pas recevable.
Un panorama des déficits des administrations publiques précise les trois grandes composantes des administrations publiques.
On distingue au sein de l’ensemble des administrations publiques (APU) :
- l’État et les organismes divers d’administration centrale (ODAC) : ces deux sous-secteurs réunis composent l’ensemble des administrations publiques centrales.
- les administrations publiques locales (APUL) qui incluent l’ensemble des collectivités territoriales mais aussi les organismes divers d’administration locale
- les administrations de sécurité sociale (ASSO) qui regroupent les ODASS et l’ensemble des régimes d’assurance sociale : régime général et régimes spéciaux de Sécurité sociale, régimes de retraite complémentaire ou assurance-chômage.
C’est l’Etat qui creuse systématiquement et en grande partie les déficits et il n’est pas correct d’en appeler aux collectivités territoriales, ni à la Sécurité sociale pour combler le déficit global des administrations publiques.
Si on fait une moyenne des déficits entre 2020 et 2023, une répartition correcte des 60 Md€ entre les différentes administrations publiques donnerait 54,4 Md€ pour l’Etat, seulement 1,5 Md€ pour les collectivités et 4,3 Md€ pour la Sécurité sociale. On est loin de la répartition proposée par Barnier : 40 Md€, 5 Md€ et 15 Md€. On pourrait même exclure l’année 2020 dans ce calcul (à cause du covid) qui diminuerait fortement le déficit de la sécurité sociale.
Voilà les données les plus récentes de l’INSEE fin mai 2024 sur les déficits de ces diverses administrations publiques : Le compte des administrations publiques en 2023 − Les comptes de la Nation en 2023 | Insee
En Md€ | 2020 | 2021 | 2022 | 2023 | Moyenne 2020-2023 | Répartition |
Etat et ODAC | -154,9 | -144,6 | -132,9 | -159,2 | -147,9 | 90,5% |
APUL | -3,9 | -0,9 | -1,1 | -9,9 | -4,0 | 2,4% |
ASSO | -48,3 | -19,7 | 8,2 | 13,2 | -11,7 | 7,1% |
Ensemble | -207,1 | -165,1 | -125,8 | -153,9 | -163,0 | 100,0% |
On comprend la position des associations d’élu-es qui sont vent debout contre cette ponction de 5 milliards d’euros sur les collectivités alors qu’elles font les deux tiers des investissements publics et que la ponction sur les recettes va diminuer fortement leur capacité d’investissement. La politique Barnier risque de mener à la récession.