
La chambre a contrôlé la région Auvergne-Rhône-Alpes pour les exercices 2016 et suivants, dans le cadre d’une enquête régionale sur la communication externe des collectivités locales.
Le rapport revient notamment sur l’organisation du « Dîner des sommets » en juin 2022, un repas fastueux organisé aux frais de la région avec une centaine d’invités, qui fait l’objet d’une enquête du parquet national financier. Le travail de la CRC a débuté le 21 septembre 2023, les entretiens avec la région se sont terminés le 14 mars 2024, les observations provisoires ont été arrêtées le 9 avril et les observations définitives le 17 juillet 2024.
Le rapport a été présenté le 10 octobre 2024 à l’assemblée plénière du Conseil régional mais avec un débat limité à quelques minutes par le nouveau président de la Région ! Il est sévère envers les dépenses de communication de la région et de son ancien président. Il est souhaitable que la justice soit saisie, vu les nombreuses irrégularités révélées. La CRC indique notamment que « le conseil régional ne connaît donc pas le montant des dépenses de communication de la collectivité, ce à quoi il doit être remédié… La région acquiert également des places pour des évènements sportifs (1 M€ par an). Elle n’a pu répondre à la demande de la chambre afin de justifier de l’intérêt régional des places destinées à des personnalités, dites « VIP… En matière de gestion des ressources humaines, la chambre relève le recours irrégulier à des agents contractuels, ainsi qu’une porosité entre le cabinet du président et les fonctions de communication. L’ancienne directrice de la communication a par ailleurs bénéficié d’un dernier contrat de travail dont l’intérêt n’est pas manifeste et a perçu des indemnités irrégulières. »
Voici la synthèse de ce rapport et les 9 recommandations qui devront être suivies par le conseil régional qui devra transmettre à la CRC sous un an, l’état de leur prise en compte.
Une stratégie de communication centrée sur la notion de visibilité régionale
A la suite de la fusion des régions Auvergne et Rhône-Alpes en 2015, la nouvelle région créée a développé une stratégie de communication, sous l’impulsion de son nouveau président, visant à faire connaître et à rendre « visible » la collectivité en tant que « marque », ce qui a d’abord nécessité la création d’une nouvelle identité graphique. Cette stratégie de « visibilité » est encore aujourd’hui au cœur de la politique de communication de la région. Elle se traduit par d’importantes campagnes de communication sur tous supports, des affichages systématisés sur les bâtiments et équipements dont elle dispose, des demandes de contreparties publicitaires dès lors que la région finance une autre collectivité locale ou un évènement.
En matière d’attractivité et de promotion du territoire, la communication de la région est plus limitée, car elle s’appuie pour cela sur deux opérateurs qu’elle finance : les agences Auvergne-Rhône-Alpes Entreprises et Auvergne-Rhône-Alpes Tourisme.
Si la politique de communication de la région est structurée et que ses objectifs sont clairs, elle n’est pas formalisée à ce jour. Elle gagnerait à être présentée pour information au conseil régional, qui à l’heure actuelle dispose de peu d’éléments à son sujet.
De plus, malgré l’importance des moyens mis en œuvre pour répondre à l’objectif de « visibilité » régionale, la région n’a jamais procédé à une quelconque évaluation des résultats obtenus au regard de cet objectif.
Une stratégie de communication qui s’articule également autour de la personne du président du conseil régional
Un axe important de la politique de communication de la région est de mettre en avant la personne de son président, ce que la région assume car elle estime que l’incarnation de l’action de la région à travers son président est un élément utile pour identifier la collectivité. Cependant la chambre estime que l’amalgame entre le président du conseil régional et la collectivité régionale peut mener à engager des dépenses qui ne sont pas uniquement motivées par des logiques de communication institutionnelle.
Ainsi, une collaboratrice de cabinet gère tous les réseaux sociaux du président du conseil régional, que ce soit pour des sujets régionaux ou des sujets de politique nationale.
De la même manière, la région achète des sondages et des études d’opinion (0,35 M€ sur la période), qui apportent des informations pertinentes sur la perception des sondés quant à l’action de la région ou sa communication. Toutefois elle paie également des études assez largement centrées sur la personne du président de région et à connotation politique auxquelles il doit être mis fin car situées hors du champ de l’information institutionnelle.
En termes de réceptions, au-delà des évènements traditionnels comme les vœux du président (0,4 M€ en 2024), la chambre relève que la tenue des « diners des sommets » en 2022 (0,18 M€) ou l’organisation de repas d’affaires du président du conseil régional à Paris, avec des personnalités médiatiques ou politiques, constituent des dépenses de communication et de relations publiques dont il reviendrait au conseil régional d’apprécier l’intérêt pour la collectivité publique.
Certaines autres pratiques de communication semblent liées à une stratégie qui relève d’un ciblage particulier des destinataires. Il en est ainsi des achats d’espaces dans des supports dits « communautaires » pouvant comporter un éditorial du président du conseil régional, ou encore de la concentration des contrats de contreparties d’images sur le territoire de la Haute-Loire (28 % du financement de ces contrats alors que la population de ce département ne représente que 2,8 % de celle de la région), sachant que ces financements ne font l’objet d’aucune information du conseil régional.
Des dépenses de communication en hausse durant la période
Conséquence de la définition d’une nouvelle politique de communication structurée et systématisée, faisant suite à la fusion des régions Auvergne et Rhône-Alpes, les dépenses engagées par la région en matière de communication ont connu une hausse importante entre 2018 et 2020. Leur progression a ensuite continué en valeur absolue pour atteindre 36 M€ en 2023 mais se sont stabilisées si l’on considère leurs poids dans le budget total de la région, restant dans tous les cas, inférieures à 1 % de ce dernier. En euros par habitant, elles s’établissent à 4,45 € en 2023 contre 2,82 € en 2018 (+ 58 %). Dans le même temps, le budget total de la région a augmenté de 17,5 %, compte tenu notamment de transferts de compétences.
Malgré leur importance, ces dépenses sont mal identifiées par la région, qui ne dispose pas d’un système de comptabilité analytique qui permette de les isoler. Le budget de la seule direction de la communication ne peut servir à les évaluer. Il est en effet cinq fois inférieur aux dépenses totales de communication de la région, qui sont largement portées par d’autres directions. Ainsi, en lecture directe le budget de la communication apparait bien plus modeste qu’il ne l’est en réalité et le conseil régional ne connaît donc pas le montant des dépenses de communication de la collectivité, ce à quoi il doit être remédié.
Une utilisation de tous les vecteurs de communication existants avec certaines pratiques contestables
La communication de la région passe d’abord par des vecteurs papiers traditionnels. Le magazine régional est diffusé à trois millions d’exemplaires pour un coût de l’ordre de 3 M€ par an, relativement maîtrisé. Les publicités dans la presse écrite représentent 2 M€ par an durant la période, principalement dans la presse régionale.
La région communique également par des lettres signées du président, adressées à certains habitants du territoire. Dans un cas, le coût de diffusion de ces lettres (317 000 €) a été plus élevé que la mesure dont il était fait la promotion (prise en charge d’un hélicoptère de secours pour le CHU de Clermont-Ferrand en 2020).
La communication numérique de la région est très développée. Elle est active sur tous les réseaux sociaux existants où elle dépense 0,3 M€ par an de publicité. Elle fait en outre appel à des prestations d’influence (création de contenus sponsorisés) depuis 2021, pour un peu plus de 0,2 M€, qui présentent de bons résultats.
La région finance des télévisions locales pour 0,8 M€ par an. La chambre note à ce propos que les relations avec ces dernières sont peu transparentes, les obligations desdites télévisions n’étant pas explicites. Certaines éléments recueillis montrent que la neutralité des médias, dans le cadre des financements régionaux, n’est pas assurée. Plus ponctuellement, la région finance des émissions de télévision à portée nationale (0,6 M€ durant la période).
Un élément important de la politique de « visibilité » de la région est de rendre obligatoire des contreparties publicitaires dès lors que la région attribue une subvention à un équipement ou un évènement (panneaux d’entrée de ville, plaques régionales). Cette stratégie est très formalisée, avec des obligations extrêmement détaillées et des contrôles réalisés par des agents faisant fonction de « référents visibilité » ou des agents du « service d’action territoriale ». Les coûts de ces contreparties de visibilité est pris en charge par la région (avec une moyenne de 1,1 M€ par an sur la période).
Toujours dans cet objectif de « visibilité », les services directs à la population font l’objet d’une attention particulière. Ainsi, la politique de communication de la région au sein des lycées est très structurée (0,3 M€ par an). Il en est de même pour les moyens de transport. Ainsi, plus de 2 000 cars ont bénéficié d’un pelliculage aux couleurs de la région pour 3,5 M€, de même que les trains express régionaux (TER) pour 4,6 M€, ou encore les minibus offerts aux associations sportives pour 1,5 M€.
En termes de visibilité, la région achète également de nombreuses prestations de communication à l’occasion d’évènements sportifs et culturels ou auprès de clubs de sports (4,6 M€ par an en moyenne sur la période). En 2023, des dépenses de communication de 1,35 M€ ont été effectuées par la région au seul titre du passage du Tour de France. La région acquiert également des places pour des évènements sportifs (1 M€ par an). Elle n’a pu répondre à la demande de la chambre afin de justifier de l’intérêt régional des places destinées à des personnalités, dites « VIP ».
Une gestion des achats et des ressources humaines souffrant de carences
La gestion des achats de faibles montants (inférieurs à 40 000 € HT) est réalisée directement par la direction de la communication, laquelle devrait respecter les règles que la collectivité s’est fixées en la matière. Les délais de publicité qu’elle met en œuvre sont souvent trop courts pour qu’il puisse être considéré que la mise en concurrence est effective et régulièrement inférieurs à ce qu’exigent les procédures internes de la région. Le marché de conception et d’organisation des dîners des sommets en 2022 en est, de ce point de vue, une illustration topique, puisqu’il n’a été laissé qu’une semaine aux entreprises pour répondre. D’une manière générale, les consultations relatives aux marchés de communication souffrent d’une concurrence insuffisante, de nombreuses procédures de marchés, même parmi les plus onéreux, ne voyant qu’une offre être examinée.
La chambre a relevé que, dans le cadre d’une expérimentation sur le port de l’uniforme dans les lycées, la région a commandé les uniformes via son marché d’achat d’objets promotionnels, dont ce n’est pas l’objet, sauf à considérer que les uniformes scolaires portés par les lycéens soient avant tout des objets promotionnels pour la région. La chambre formule également des observations sur le fonctionnement des deux marchés d’achats « médias » avec un mandateur-payeur, qui permet indument à la région de contourner ses obligations de mise en concurrence.
En matière de gestion des ressources humaines, la chambre relève le recours irrégulier à des agents contractuels, ainsi qu’une porosité entre le cabinet du président et les fonctions de communication. L’ancienne directrice de la communication a par ailleurs bénéficié d’un dernier contrat de travail dont l’intérêt n’est pas manifeste et a perçu des indemnités irrégulières. »
Les recommandations de la CRC :
Recommandation n° 1. : Formaliser la politique de communication de la région et la présenter à l’assemblée délibérante.
Recommandation n° 2. : Procéder à une évaluation pour déterminer si l’objectif de « visibilité » de la politique de communication régionale est atteint.
Recommandation n° 3. : Mieux formaliser les relations de la région avec les télévisions locales, en complétant les conventions d’objectifs et de moyens par des obligations précises à leur charge et en affichant clairement la nature des publi-reportages diffusés.
Recommandation n° 4. : Rendre compte au conseil régional de l’attribution des contrats de contrepartie d’image (« CPI »).
Recommandation n° 5. : Mettre fin à l’achat d’études d’opinion à connotation politique.
Recommandation n° 6. : Rendre compte des repas d’affaires du président au conseil régional, ce dernier étant à même d’apprécier l’intérêt régional, et mentionner l’objet des repas et le nom des convives à l’appui des factures.
Recommandation n° 7. : Mettre fin à l’utilisation du marché de fourniture d’objets promotionnels pour acquérir des produits qui n’en sont pas, et réaliser une procédure de publicité et de mise en concurrence pour la fourniture des uniformes des lycéens.
Recommandation n° 8. : Veiller sans délai à ce que les marchés d’achats « médias » via un mandateur-payeur respectent les procédures du code de la commande publique
Recommandation n° 9. : Intégrer aux documents de présentation budgétaire une estimation des dépenses de communication de la région.
Mots-clefs : communication, comptes, Conseil régional, région