La déficience de l’État face au quotidien banal d’une association d’hébergement en centre-ville

Publié le 11 décembre 2015

odtiLe président-directeur de l’ODTI (Observatoire sur les Discriminations et les Territoires Interculturels) vient d’adresser une lettre ouverte au préfet de l’Isère pour décrire la situation de la vie quotidienne d’une association chargée d’une mission de service public qu’elle ne va plus pouvoir assumer si l’Etat continue de faire tout et son contraire. L’ODTI est une résidence sociale et un Centre d’Hébergement et de Réinsertion Sociale (CHRS) ayant pour mission d’assurer l’accueil, le logement, l’accompagnement et l’insertion sociale de personnes migrantes, une mission de service public déléguée par l’Etat. Premier paradoxe, l’administration décide de lui confier des migrants et ensuite place ces mêmes migrants dans une situation administrative (OQTF Obligation de quitter le territoire français) ce qui les prive de ressources, de toutes aides publiques et de tous droits sociaux, y compris ceux de rester dans le CHRS. Seul l’Etat, en mobilisant ses forces de l’ordre a le droit d’exécuter de telles décisions mais comme il est généralement dans l’incapacité de le faire, il laisse toutes les difficultés et tous les risques à la charge de l’association et de ses personnels. Deuxième paradoxe, l’Etat s’en prend donc à des personnes avec qui l’ODTI a bâti de longue date des projets d’intégration ce qui va les rejeter dans la jungle métropolitaine, mais laisse libres comme l’air, les dealers et des mafieux qui occupent nuit et jour les locaux de l’ODTI et qui mettent en coupe réglée le quartier Très-Cloîtres depuis des années. Mieux vaut s’en prendre aux illégaux inoffensifs qu’aux illégaux nuisibles et transformer ainsi ces illégaux inoffensifs en illégaux nuisibles. Pour survivre et être tranquilles, ces personnes placées en OQTF n’ont qu’à se transformer… en dealers.

Conséquence de tout cela, l’ODTI qui était en train de sortir d’un redressement judiciaire par ses propres moyens, après une très importante restructuration est menacé dans son existence même par des décisions administratives ubuesques.

Voici des extraits de la lettre au Préfet de l’Isère :

« Vous laissez les dealers et les malfaisants, libres comme l’air…

Depuis des années, dans le quartier Très-Cloîtres, un important marché de la drogue au détail s’est installé sur la place Edmond Arnaud.  Pas étonnant que ce marché existe en cet endroit urbain remarquable, à proximité de la première entrée du tram dans le centre de Grenoble en provenance du campus. C’est le rôle dévolu à ce quartier depuis des siècles d’être le sas d’entrée dans la ville.  Ce marché existe, il faut bien que les commerçants et leurs familles vivent grâce à des produits qui, interdits à la vente et à la consommation, circulent désormais partout librement, dans toutes les classes de la société et permettent à certains de beaux investissements commerciaux immobiliers et mobiliers. Ce business permet aussi l’achat des armes utilisées pour sécuriser les activités, étendre le domaine de chalandise, sa diversification (alcool, prostitution) et, accessoirement, de soutenir quelques menées subversives qui sont de moins en moins accessoires et exceptionnelles…

… et faites plutôt la chasse aux sans-papiers qui ne menacent personne !  C’est plus facile… apparemment !

Depuis quelques mois, la préfecture a plutôt décidé de s’en prendre à d’autres situations illégales, apparemment plus faciles à gérer, précisément à ces personnes que les administrations, il y a peu nous avaient demandé d’accueillir en CHRS et à qui vous enjoignez maintenant de quitter le territoire français (OQTF). Mesures radicales sans doute ? Faudrait-il que ces OQTF soient exécutables et qu’elles soient exécutées. En fait qu’importe si elles ne le sont pas, comme la récemment souligné le premier président de la Cour des comptes, un bon connaisseur de la réalité grenobloise pour avoir été longtemps président de la Métro, qui a pris un référé n° S 201509777 1 publié récemment avec la réponse du gouvernement. Qu’importe en effet ! L’important est de faire preuve d’autoritarisme (signer un papier administratif), de le faire savoir, sans bien mesurer d’ailleurs les conséquences sociales et financières, souvent perverses de tels actes.

Des conséquences tout d’abord pour les personnes visées par ces OQTF. Celles-ci ont fait de gros efforts pour survivre dans leur périple migratoire et nous, associations avons fait de lourds investissements pour aider à leur insertion dans la société française. Qu’à cela ne tienne ! Nions ces efforts ! Quel gaspillage de ressources dans une métropole qui doit pourtant l’essentiel de sa richesse aux migrants. Tout ce travail a été fait en pure perte. Ces personnes se voient priver, du jour au lendemain, de tout accès au travail et à tous les droits sociaux. Ils se voient ainsi plongés dans une plus grande illégalité et précarité, si tant est que c’était encore possible (la jungle métropolitaine leur est ouverte). Généralement ces mesures frappent des personnes qui, titulaire jusque-là d’un titre de séjour provisoire ou d’un récépissé de demande, nous avaient été confiées (notamment au sein du centre d’hébergement et de réinsertion sociale, CHRS), des personnes qui devraient se retrouver alors privées automatiquement de cette possibilité d’accès à nos services. Bien sûr, ce ne peut être le cas !

Normalement l’OQTF devenue exécutoire, devrait être exécutée par les forces de l’ordre requises par vous-même, Monsieur le préfet, qui l’avez prononcé. Or, il n’en est rien ! Dans la plupart des cas, injonction est faite par les services étatiques aux responsables des centres d’hébergement d’appliquer la décision en signifiant aux personnes concernées la fin de leur contrat d’hébergement, que l’on soit en période hivernale ou non, et cela sous peine de voir les subsides qu’ils reçoivent diminuer d’autant. Bien évidemment les responsables de ces centres n’ont ni le droit, ni les moyens de mettre ces personnes à la rue…

Non seulement ces mesures administratives vont à l’encontre des conventions signées avec l’Etat mais comme vous n’allez pas au bout de votre logique administrative en ne saisissant pas les forces de l’ordre (il en est aussi ainsi en matière d’expulsion locative), vous occasionnez un trouble à l’ordre public et beaucoup d’insécurité. Notre métier n’est pas d’être des supplétifs de l’Etat et de ses forces de police. Nous ne disposons pas de la violence légitime pour agir à leur place.

Ces OQTF signifient aussi pour notre association des pertes de ressources importantes car les personnes accueillies bénéficient à l’ODTI d’appartements conventionnés. Leur placement en OQTF nous interdit de recevoir désormais l’APL (aide personnalisée au logement versée par la CAF) et comme ils continuent d’occuper le logement puisque ni l’OQTF, ni la demande d’expulsion n’est exécutée par les forces de l’ordre, c’est une perte sèche pour les finances de l’association. Nous ne pouvons pas mettre ce logement encore occupé à la disposition d’une autre personne qui serait « en règle ». Impossible, non plus de nous assurer contre ce risque financier qui est clairement imputable aux inconséquences de l’Etat. Je viens d’en faire part par courrier au premier président de la Cour des comptes. 

Et pendant ce temps-là…

Alors que les associations sont de plus en plus mises en première ligne pour faire le travail qui normalement incombe aux autorités publiques, elles sont dans le même temps privées de certaines de leurs ressources, celles dont nous avons parlé ci-dessus, mais aussi les différentes formes de subventions nécessaires à leurs activités. Ainsi la subvention que nous recevons de l’Etat pour le CHRS n’a jamais été réévaluée depuis 10 ans. Pire, elle n’a fait que baisser au cours des dernières années. S’ajoute à cela le fait que, pour les autres subventions que nous recevons, les autorités publiques ne sont pas de bons payeurs en retardant à l’extrême leur versement annuel… Par ailleurs, elles profitent de cette notification en toute dernière extrémité pour réduire considérablement leurs subsides sans plus aucune possibilité pour ces associations d’ajuster leurs dépenses aux ressources… A nous, encore une fois d’éponger les déficits que les autorités publiques ont ainsi générées. Pour la première fois, en 8 ans de redressement judiciaire, l’association ODTI qui rembourse ses dettes rubis sur l’ongle, sous le contrôle d’un administrateur judiciaire sous peine de liquidation si elle ne le fait pas, va se trouver en perte financière à la fin de l’exercice 2015… »

Mots-clefs : , ,

Le commentaires sont fermés.