Exclusif : une interview de l’adjoint aux finances de Grenoble

Publié le 22 avril 2016

Hakim SabriLe 4 avril 2014, le conseil municipal désignait le maire et ses adjoints. Hakim Sabri a été nommé 2ème adjoint en charge des finances. Entre 2008 et 2014 il était conseiller municipal d’opposition dans le groupe « Ecologie et Solidarité » et durant ces 6 années il a présenté chaque année un budget alternatif au budget de la majorité gauche-droite qui, à peine réélue, augmentait le taux des impôts locaux de 9 % après avoir promis de ne pas le faire !

Hakim Sabri connaissait donc la situation financière de la ville, mais il ne s’attendait pas à la trouver dans une situation aussi dégradée et a découvert quelques semaines après sa prise de fonction la décision du gouvernement de diminuer massivement les dotations de l’Etat aux collectivités qui sans réaction rapide de la part de cette nouvelle majorité aurait conduit la Ville vers une mise sous tutelle.

Deux ans après, voici l’analyse que porte l’adjoint sur les finances de la ville et son jugement sur ce qu’apportent les oppositions au débat public sur ces questions.

Pourquoi ne pas avoir anticipé la dégradation des finances lors de votre arrivée puisque vous avez suivi le sujet pendant six ans ?

« Les comptes administratifs qui décrivent la réalité des dépenses et des recettes ne sont connus qu’en juin de l’année suivante. La majorité précédente a voté un budget pour l’année 2014 en décembre 2013 sur la base du Compte administratif 2012 qui faisait apparaître de légères évolutions mais présentait une situation financière très bonne. Le vote de ce budget 2014 était très optimiste et surtout dissimulait une augmentation très importante de frais de personnels et dès notre arrivée nous avons constaté qu’il manquait plus de 7 M€ pour payer les salaires des agents. Cela a contribué à dégrader fortement l’épargne brute (différence entre recettes et dépenses de fonctionnement), épargne brute déjà bien mise à mal sur l’exercice 2013.

Avec moins d’épargne brute, il nous a fallu emprunter pour équilibrer les dépenses d’investissements qui étaient essentiellement des engagements pris par l’ancienne majorité. »

schema-budget-municipal Pourquoi parler de mise sous tutelle ?

« Le budget d’une collectivité doit répondre à de règles très strictes contrairement à celui de l’Etat (règles codifiées dans le code général des collectivités locales aux articles L. 1612-4 et 2321-2). Il y a deux règles essentielles à respecter sous peine d’être signalé à la CRC (Chambre Régionale des Comptes) et en cas de non-respect de ces règles c’est le préfet qui prend les décisions à la place du conseil municipal et qui décide d’un budget par une diminution des dépenses ou une augmentation des impôts.

La première règle c’est qu’en fonctionnement vous devez toujours avoir une épargne brute représentant environ 7 % des recettes (c’est le montant nécessaire aux financements des amortissements, en clair : la somme qui doit permettre à la Ville de compenser la vétusté et permettre le remplacement de son patrimoine), cette épargne brute correspond à la différence entre recettes et dépenses de fonctionnement. La dotation aux amortissements est une dépense obligatoire de la commune.

En décembre 2015, grâce de fortes économies, nous avons voté au Budget Prévisionnel une épargne brute à 20,5 M€ alors que le minimum doit être d’au moins 18M€ pour respecter la première règle.

La deuxième règle c’est que vous ne pouvez rembourser chaque année le capital des emprunts que par des ressources propres d’investissement. On n’a pas le droit d’utiliser les subventions ou d’emprunter pour rembourser la dette comme le fait l’Etat. Les ressources propres sont limitées à l’épargne brute, le remboursement de la TVA sur les investissements passés et les ventes du patrimoine de la ville (différence entre cessions et acquisitions).

Si nous n’avions pas réagi immédiatement, la pente sur laquelle glissaient les finances nous amenait dès la fin de l’année 2015 à violer la première règle et donc à faire l’objet d’un signalement à la CRC et peut-être d’une intervention du préfet. »

Les baisses des dotations de l’Etat ont quelles conséquences pour la ville ?

« Les oppositions minimisent en permanence l’impact de ces baisses sur les équilibres financiers. Elles calculent la baisse annuelle (environ 6 M€) par rapport à l’ensemble des recettes. Or vu les règles budgétaires décrites il faut comparer ces baisses à l’épargne brute que vous devez conserver pour être dans la légalité.

Donc les baisses successives imposent des économies immédiates et en 2017 il nous aura fallu absorber une baisse de recettes d’au moins 20 M€ sur trois ans.

Le budget municipal est dominé par les dépenses de personnel (plus de 50 %) et les deux autres postes de dépenses qui sont :

  • les subventions versées par la ville aux associations et établissements publics
  • les dépenses de fonctionnement des services.

Les dépenses de personnel -à personnel constant- évoluent chaque année d’environ 1,5 à 2% soit au moins 2 M€ par an. La première décision prise a été de maitriser cette augmentation, en regardant chaque année comment éviter le remplacement systématique des départs à la retraite, en favorisant la mobilité et les départs volontaires en ne reconduisant pas certains contrats arrivant à leur terme. Mais cela ne permet pas de faire des économies, simplement de garder cette masse salariale à niveau constant d’où l’obligation de diminuer les subventions et les dépenses de fonctionnement de la mairie.

En 2015, l’arrêt de la gestion du Palais des Sports par l’association a permis de faire d’importantes économies, la suppression de la subvention aux Musiciens du Louvre qui avaient la capacité de l’absorber a permis d’atténuer la diminution des subventions aux autres associations (à noter que nous avons continué à mettre à leur disposition la salle Olivier MESSIAEN et à payer les fluides).

En 2016 il faut encore diminuer les dépenses de 6 M€, toujours sur les subventions et le poste de fonctionnement de la Mairie, mais cet exercice a des répercussions et nous sommes malheureusement à la limite de ce qu’il est possible de faire…

La baisse de l’épargne brute diminue les recettes d’investissement, il nous a donc fallu supprimer de nombreux investissements qui seraient pourtant très utiles, notamment dans l’entretien du patrimoine. Mais malheureusement le poids des décisions prises avant notre élection est important et nous avons dans ce domaine donné priorité aux investissements dans les nouvelles écoles car l’équipe sortante n’avait pas prévu l’augmentation très importante des effectifs scolaires à tel point que nous sommes obligés d’aménager en urgence des salles de classes dans des modulaires.

Tout cela se traduit par une diminution importante de l’intervention de la ville même si nous faisons en sorte que pour l’instant cela ne se ressente pas trop pour les habitants. »

Mais ne faudrait-il pas augmenter la dette pour sauvegarder des investissements utiles ?

« La ville de Grenoble est la plus endettée des grandes villes. C’est vrai qu’avec les taux d’intérêts historiquement bas, il est intéressant d’emprunter car le crédit actuellement ne coûte pas cher. Mais rappelez-vous la 2ème règle budgétaire où il faut rembourser le capital des emprunts par des ressources propres.

Or les ressources propres ont une tendance à diminuer et il ne faut pas que le remboursement en capital augmente trop sinon alerte auprès du Préfet et la chambre régionale des comptes. La prudence veut donc que nous soyons très vigilants sur l’évolution de la dette. »

Mais alors pourquoi ne pas augmenter les impôts locaux ?

« Grenoble est la grande ville qui a les impôts les plus élevés, nous détenons le record du taux de taxe foncière sur le bâti. De plus, les impôts locaux sont très injustes et fondés sur les valeurs locatives qui datent de 1970. Par exemple, la valeur locative d’un mètre carré est la même Place Victor Hugo, qu’à Mistral !

Et c’est l’Etat qui fixe cette base. Le Conseil municipal ne vote que les taux. La Taxe Foncière elle n’est pas calculée en fonction des revenus et il y a très peu d’exonérations.

La Taxe d’Habitation est variable, en fonction des revenus, grâce au système des dégrèvements expliqué sur l’avis de taxe d’habitation mais ces dégrèvements ne s’appliquent qu’aux bas revenus et la majorité des classes moyennes n’y a pas accès.

De plus notre majorité a promis lors des élections de ne pas augmenter les impôts, et cela avant que l’on connaisse les baisses des dotations de l’Etat, on aurait pu utiliser cette nouvelle donne pour expliquer que la situation avait changé et revenir sur notre engagement pris. Si nous avions fait cela nous aurions transmis directement la politique d’austérité sur la majorité des ménages grenoblois déjà bien atteinte par la politique économique du gouvernement et nous aurions contribué par cette facilité à discréditer l’action politique.

Nous nous sommes engagés à mettre en œuvre un « bouclier social » qui signifie que la politique municipale doit dans la mesure du possible protéger les citoyens des conséquences de l’austérité. Donc ne pas décider d’augmentation d’impôts injustes et déjà élevés. »

Mais comment s’en sortir ?

« Sans augmenter les taux des impôts la seule solution c’est de faire d’importantes économies de fonctionnement au sein de la collectivité, et que les efforts soient équitablement partagés par tous les acteurs dépendant de ce budget municipal. Après un premier travail permettant de réaliser la moindre économie là où c’était possible, il nous faut maintenant mettre en place une restructuration importante de nos politiques publiques exigée par la perte importante des recettes représentant près de 20 M€ sur 3 ans.

La création de la Métropole est une opportunité à saisir car certains équipements profitent non pas aux seuls Grenoblois mais à l’ensemble des habitants de la Métropole comme la MC2, le Musée et le Museum de Grenoble, Alpexpo, et pourtant Grenoble a conservé l’essentiel de ces charges. Il appartient donc à la DGF (dotation globale de fonctionnement) versée par l’Etat et la DSC (dotation de solidarité urbaine) de mieux prendre en compte ces charges de centralité.

En 2017, si le gouvernement poursuit dans la baisse drastique des dotations et qu’il ne compense pas les décisions qu’il a prises pour les agents municipaux (augmentation du point d’indice et amélioration du parcours professionnel carrières et rémunérations, ces deux décisions représentent près de 3,2 M€ de dépenses supplémentaires pour la Ville de Grenoble en année pleine et 1M€ dès l’année 2016), la situation demandera des décisions cruciales et inédites.

2017 sera une année noire et très difficile qui nous imposera de repenser totalement l’activité du service public communal. La majorité travaille d’ailleurs avec les services à un vaste plan de sauvegarde du service public qui sera annoncé dans quelques mois.

Tous les habitants, tous les personnels, toutes les associations doivent comprendre que les choix que nous faisons visent à sauvegarder au mieux la qualité des services pour tous et qu’à partir de 2018 et surtout 2019, si le gouvernement arrête de dégrader les finances locales, on devrait pouvoir retrouver une situation financière plus saine et du coup une relation plus apaisée avec tous. »

Et l’apport des oppositions sur ces questions ?

« Les oppositions s’opposent, mais sans proposer d’alternative. J’ai l’impression qu’elles n’ont toujours pas pris la mesure exacte de la situation. A longueur d’interview ou d’interventions au Conseil municipal elles critiquent les économies que nous faisons : baisses de subventions aux associations, insuffisance de services rendus (propreté, police municipale, CCAS…) mais sans jamais dire comment elles financeraient leurs propositions. Lorsque nous étions dans l’opposition, systématiquement nous faisions des propositions alternatives en proposant des amendements au budget, en proposant des économies précises pour éviter la hausse des impôts.

Actuellement rien de tel, les seuls propos sont pourquoi nous n’augmentons pas les impôts, d’ailleurs pour eux nous ne finirons pas le mandat sans les augmenter.

Si les oppositions veulent être constructives, il faudrait qu’elles sortent de la politique politicienne et se mettent au travail afin de présenter des propositions crédibles. Ce sera un peu plus complexe que les critiques stériles n’apportant rien ; nous attendons donc de leur part les solutions budgétaires alternatives à ce que nous faisons. 

Nous proposons depuis le début du mandat des formations budgétaires aux habitants pour les aider à mieux comprendre cette mécanique, il y a certainement des améliorations à apporter, nous allons donc nous y employer de façon à ce que tout citoyen intéressé puisse suivre les finances de leur Ville et comprendre les décisions prises. »

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