Qui a ruiné Grenoble : la corruption (suite)

Publié le 28 octobre 2016

robinet-qui-couleLes Grenoblois ont payé cher, très cher le passage de la droite aux commandes de la mairie entre 1983 et 1995.

Le 18 avril 1995 conformément aux réquisitions du parquet, le juge d’instruction rend une ordonnance renvoyant tous les prévenus de l’affaire CARIGNON devant le tribunal correctionnel de Lyon. Dans son ordonnance de cent pages, le juge souligne notamment « l’extrême gravité du trouble causé à l’ordre public par le processus de corruption impliquant un élu (…) en monnayant un acte de la fonction qui lui a été confiée par le suffrage, la personne investie d’une parcelle de l’autorité publique contourne les règles de transparence et de concurrence, fondement de l’économie de marché, discrédite sa légitimité, sacrifie l’intérêt général au profit d’intérêts particuliers et trahit les devoirs de sa charge. » Devant les arguments de la défense il ajoute « qu’en contradiction avec les démentis sommaires et systématiques opposés par Alain CARIGNON à l’intégralité des faits qui lui étaient reprochés, les multiples charges résultant du dossier viennent administrer la preuve de la mauvaise foi et de la prévarication du maire de Grenoble. »

Voici quelques détails de l’instruction de ce dossier rappelant la genèse de l’opération de corruption qui va aboutir à la privatisation du service de l’eau et de l’assainissement qui va coûter très cher aux Grenoblois.

Le 2 octobre 1987, une note portant la référence « PY/JK », rédigée par Jean-Jacques PROMPSY (un des responsables de la Lyonnaise des Eaux) et intitulée « Ville de Grenoble » : « Le maire de Grenoble [Alain CARIGNON] souhaite déléguer la gestion de son service d’eau. Il lui faut pouvoir justifier de ce choix devant l’opinion publique. » Cette note de travail aborde les moyens juridiques permettant à la municipalité grenobloise de concéder le service des eaux. Le même jour, Jean-Jacques PROMPSY et Marc-Michel MERLIN dînent à la Cour des Loges à Lyon pour préparent le terrain pour le déjeuner du lendemain.

Le 3 octobre 1987, déjeuner au pavillon du conseil général de l’Isère entre Alain CARIGNON, Jean-Louis DUTARET, Patrick E…, Jérôme MONOD, Jean-Jacques PROMPSY, Marc-Michel MERLIN et Thierry F…. La discussion porte sur la délégation du service des eaux de Grenoble. Il est arrêté le principe d’une participation de 51 % pour la SDEI (groupe MERLIN) et 49 % pour la LYONNAISE DES EAUX dans la future filiale commune qui sera chargée de gérer le service, la société COGESE. Préalablement au déjeuner, Jérôme MONOD propose à Marc-Michel MERLIN, en échange de la participation de la LYONNAISE DES EAUX dans le marché grenoblois, un partenariat qui profiterait au groupe MERLIN. Jusque-là, Marc-Michel MERLIN pensait qu’il serait le seul à bénéficier de la délégation des eaux de Grenoble ,Alain CARIGNON ne lui ayant révélé que tardivement qu’il avait pris des engagements avec Jérôme MONOD.
Au cours de l’instruction, pour ne pas être accusés de corruption, Jérôme MONOD, Jean-Jacques PROMPSY et Alain CARIGNON déclareront que la décision de concéder le service des eaux de la ville de Grenoble à la société COGESE avait été prise après les élections municipales de mars 1989, et non lors de ce déjeuner dont ils n’avaient gardé aucun souvenir. Jean-Louis DUTARET situera le déjeuner en 1989. Alain CARIGNON affirmera n’avoir donné aucune directive pour que des négociations aient lieu postérieurement et qu’il ignorait tout de telles négociations… Pour Jérôme MONOD, le déjeuner ne comportait pas d’ordre du jour défini et une discussion sur la délégation des eaux de Grenoble lui semblait un thème ordinaire…
Les magistrats de la cour d’appel de Lyon du 09 juillet 1996 « [constateront], pour la déplorer, la très grande mauvaise foi de certains des participants [à ce] déjeuner qui, après en avoir nié l’existence, ont prétendu, contre l’évidence, qu’il n’avait pas pour objet la concession du service des eaux de la ville de Grenoble. »

Le 15 décembre 1987, au cours d’une réunion au ministère de l’environnement à Paris entre Alain CARIGNON alors Ministre , Jean-Louis DUTARET, Patrick E…, Jean-Jacques PROMPSY et Marc-Michel MERLIN, Alain CARIGNON estime plus opportun de reporter la délégation des eaux de Grenoble après les élections municipales de mars 1989. Marc-Michel MERLIN assure à Alain CARIGNON que « ses engagements seraient tenus. »

Le 24 avril 1989, petit déjeuner au domicile personnel de Jérôme MONOD où Alain CARIGNON annonce qu’il est prêt à accepter les propositions des groupes MERLIN et LYONNAISE DES EAUX.

Pendant les plaidoiries du jugement du tribunal correctionnel de Lyon du 16 novembre 1995, deux hypothèses seront émises. La première par l’avocat Richard ZELMATI (défense de Marc-Michel MERLIN) pour qui le corrupteur principal était Jérôme MONOD qui s’était servi de son client comme « d’un cheval de Troie » pour pénétrer Grenoble et obtenir le marché de l’eau ; et qu’il avait agi de même avec Alain CARIGNON. La seconde par le bâtonnier DANET (défense d’Alain CARIGNON) qui s’étonnera que Jérôme MONOD ne soit pas poursuivi pour le délit de corruption alors qu’il était présent au déjeuner du 03 octobre 1987. Le tribunal limitera le rôle de Jérôme MONOD à celui d’un témoin tout en s’interrogeant : « Jean-Jacques PROMPSY n’est-il que l’exécutant d’une politique de corruption définie à un autre niveau par la LYONNAISE DES EAUX ? Est-il le corrupteur unique au sein de la LYONNAISE DES EAUX ? »

La cour de cassation du 08 avril 1999 résumera l’affaire CARIGNON en un paragraphe : « La concession du service de l’eau de la ville de Grenoble a été attribuée par [le maire] Alain CARIGNON à la société COGESE (…) uniquement parce qu’elle était en mesure de [lui] procurer les dons et avantages personnels promis ; [par ailleurs] la chambre régionale des comptes [conclut en 1995 que] la commune a accepté de fournir au concessionnaire des moyens beaucoup plus importants que ceux employés auparavant et [qu’]elle a consenti à ce que les usagers supportent au bénéfice de la société COGESE des augmentations de tarifs programmées à l’avance et non justifiées dans les contrats conclus ; (…) les agissements des prévenus sont en lien avec [les] augmentations de tarifs. »

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