Ecole d’Uriage : « l’hôpital qui se moque de la charité ! »

Publié le 30 mars 2018

Dans le journal du Conseil Départemental de l’Isère (Isère-Mag de mars-avril 2018), dans la partie réservée aux expressions des groupes politiques (où la majorité de droite se taille la part du lion), on trouve une réponse à l’article que nous avions consacré à la critique d’un article du journal du CD38 précédent à propos de l’Ecole d’Uriage durant la dernière guerre, intitulée « Ecole d’Uriage, ne pas instrumentaliser l’Histoire ».

La droite s’y présente comme la détentrice d’une axiologie (philosophie des valeurs) de neutralité par rapport à l’Histoire. Cela ne manque pas de sel ! On a dû faire mouche : le Front National a annoncé son soutien à un candidat LR lors de la récente élection législative partielle de Mayotte.

Étrange sur la forme, cette tribune l’est également sur le fond, car elle use d’une fort curieuse rhétorique ! En quoi le fait que certains des stagiaires soient devenus des résistants après avoir participé à l’école des cadres d’Uriage change-t-il l’analyse historique de ses objectifs initiaux ? Les « chevaliers d’Uriage » n’étaient pas des boy-scouts ! Ces jeunes gens aspiraient à devenir les cadres du nouvel Etat français, avant que le contexte n’évolue, notamment après les échecs d’Hitler devant Moscou puis à Stalingrad, qui annihileront toute chance de victoire du IIIème Reich ; ils ont adhéré au projet pétainiste de Révolution nationale, en faisant l’impasse sur son antisémitisme, son antirépublicanisme et la collaboration avec le nazisme.

On y lit aussi l’assertion selon laquelle « l’Histoire appartiendrait aux historiens, pas aux politiques », ce qui relève d’une conception réactionnaire visant à réserver le monopole du débat historique à quelques sachants. Or, dans notre République, les enjeux d’Histoire et de mémoire relèvent bien du débat démocratique, comme le démontre l’adoption par l’Assemblée nationale de lois mémorielles ; enjeux qu’il faut affronter, même lorsqu’ils sont sensibles, et dont l’historien doit être un acteur ; un acteur certes compétent et informé, mais un parmi beaucoup d’autres.

En matière d’« instrumentalisation de l’Histoire », les élu-es des organisations politiques qui ont signé cette tribune font preuve d’une grande amnésie : c’est l’hôpital qui se moque de la charité ! Faut-il rappeler à ces ex-fervents soutiens du président Sarkozy quel usage ce dernier a fait de l’Histoire avec le retour du bon vieux roman national et son goût pour l’Histoire bling-bling ? Au pouvoir la droite a mené une politique mémorielle qui a recouru à l’instrumentalisation de personnages historiques, de droite comme de gauche, appartenant à un patrimoine commun, et dans lequel le pouvoir politique puisait sans réserve.

L’historien Nicolas Offenstadt a analysé l’exemple emblématique de Guy Môquet, dont la mémoire a été instrumentalisée au cours de l’année 2007, mais dont l’engagement communiste en fidélité à son père, tout comme la défaite de 1940, ont été occultés pour en faire simplement « un héros mort pour la France ».

Avec raison l’historien Lucien Febvre affirmait qu’« Une histoire qui sert est une histoire serve. » On serait tenté de retourner l’argument de « l’instrumentalisation de l’Histoire » au président du conseil départemental Barbier, qui dans ses interventions publiques évoque les « racines chrétiennes » de la France (ainsi, le 9/1/16 à l’occasion de la cérémonie en mémoire du gendarme Offner, devant les associations représentatives des mouvements de Résistance), en parfaite contradiction avec les « principes forts » que cette tribune entend rappeler.

Contre cette vision étriquée de notre Histoire, Patrick Boucheron (professeur au Collège de France) et un collectif d’historiens ont publié une Histoire mondiale de la France [éd. du Seuil, 2017], afin de « mobiliser une conception pluraliste de l’histoire contre l’étrécissement identitaire qui domine aujourd’hui le débat public » et par refus de céder l’objet « histoire de France » aux crispations réactionnaires.

Une façon pour ces historiens de lutter contre les idées du FN qui en deux décennies est parvenu à imposer la notion d’identité à la classe politique et à l’intelligentsia, et aussi de refuser l’obsession identitaire, qui dans la bouche des politiques est devenue l’agent opérateur de ce grand rapprochement idéologique entre la droite et l’extrême-droite.

Jérôme Soldeville

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