Les sociétés concessionnaires des autoroutes se portent très bien…

Publié le 18 janvier 2019

D’après le décret de mise en concession d’août 2015, l’élargissement et la mise à niveau de l’autoroute A480 entre St-Egrève et Claix, incluant les études relatives à l’échangeur du Rondeau, l’AREA doit investir 360 M€ TTC (valeur juillet 2012). La totalité des études du Rondeau se montent à 3 M€ partagé entre les collectivités, l’Etat et l’AREA.

Or les investissements d’AREA pour l’élargissement de l’A480 sont estimés à 265 M€ TTC (valeur mars 2016) dont seulement 214 M€ TTC de travaux. L’indice des travaux publics n’a pas évolué entre juillet 2012 et mars 2016.

Il y a donc un écart de presque 100 M€ entre les investissements prévus dans le décret et la réalité et ce ne sont pas les travaux annexes sur certains échangeurs, une passerelle piétons cycles qui doivent être partagés avec la Métro qui coûteront à AREA ces 100 M€.

Au vu de ces chiffres, on ne peut pas s’empêcher de penser que le contrat entre l’AREA et l’Etat est très avantageux pour AREA.

Globalement les Sociétés concessionnaires des autoroutes (SCA) se débrouillent toujours très bien avec l’Etat dans lequel elle trouve des alliés hauts placés.

Voir par exemple le très bon article de Médiapart sur les relations entre l’Etat et les sociétés concessionnaires des autoroutes (dont AREA et l’A 480), dont voici quelques extraits :

« En pleine révolte des « gilets jaunes », la ministre des transports s’active beaucoup pour déminer la bombe des nouvelles hausses de tarifs des autoroutes prévues le 1er février. Une pure gesticulation politique. Mediapart révèle l’intégralité de l’accord de 2015 signé par Emmanuel Macron, alors ministre de l’économie, et Ségolène Royal, ministre de l’écologie, avec les sociétés concessionnaires des autoroutes. Une capitulation volontaire de l’État abandonnant tout intérêt public au profit des concessionnaires privés, qui se voient garantir une rente perpétuelle.

C’est la privatisation qui ne passe pas. Et plus le temps s’écoule, plus l’indignation de l’opinion publique grandit : jamais l’État n’aurait dû privatiser les autoroutes, selon une grande majorité des citoyens. Avec le mouvement des « gilets jaunes », le dossier est devenu hautement explosif. Depuis le début du mouvement, les péages des autoroutes sont la cible régulière des manifestants. Dans de nombreux cahiers de doléances, le retour au contrôle public de l’État ou, en tout cas, le reversement aux finances publiques de l’essentiel des recettes apportées par les autoroutes figurent parmi les premières mesures demandées.

Au même moment, les sociétés concessionnaires autoroutières (SCA) doivent annoncer, comme chaque année, de nouvelles hausses des péages le 1er février. Alors le gouvernement tente de déminer le sujet. Depuis la fin de l’année 2018, la ministre des transports, Élisabeth Borne, s’active…

Pour la ministre des transports, il ne peut s’agir que de mesures d’accompagnement, de gestes consentis par les sociétés autoroutières. Il est impossible de remettre en cause les hausses prévues. « Les contrats sont très bien faits, très précis », a justifié la ministre des transports à la fin de l’année, comme si elle venait de les découvrir.

La ministre connaît bien pourtant le dossier. Elle sait que l’État est pieds et poings liés face aux sociétés d’autoroutes : elle a assisté en personne à leur élaboration. « La renégociation des contrats entre l’État et les sociétés d’autoroutes en 2015 s’est faite sous l’égide d’Alexis Kohler et d’Élisabeth Borne [respectivement directeur de cabinet d’Emmanuel Macron, alors ministre de l’économie, et directrice de cabinet de Ségolène Royal, alors ministre de l’environnement – ndlr] », rappelle un témoin de l’époque.

Sous leur direction, un protocole d’accord a été conclu avec les sept sociétés concessionnaires autoroutières historiques…

Cet accord est jusqu’alors resté secret. En dépit des demandes déposées par Raymond Avrillier, ancien élu écologiste de Grenoble, et du jugement du tribunal d’administratif imposant au ministère des finances et en particulier à Emmanuel Macron de le lui communiquer, l’État s’est refusé à le rendre public. L’affaire est désormais dans les mains du Conseil d’État. En décembre, deux ans après avoir été saisi, les magistrats du Conseil d’État ont demandé communication de cet accord afin d’en prendre connaissance et d’examiner s’il était ou non communicable…

Mediapart a eu accès à la totalité de cet accord secret… À la lecture de ce document de 20 pages, on comprend mieux la résistance de l’État à le rendre public : « C’est une capitulation complète de l’État face aux SCA. L’État s’est volontairement lié les mains et se retrouve en situation de ne rien pouvoir imposer aux concessionnaires autoroutiers », résume un connaisseur du dossier….

Mais au-delà des tarifs et des durées de concession, c’est surtout la bienveillance de l’État à l’égard des sociétés concessionnaires qui frappe dans cet accord. L’État s’engage à compenser tout, la moindre modification de la fiscalité générale, des obligations nouvelles qui pourraient leur être imposées, des changements qui pourraient survenir. Rarement les intérêts publics ont été si malmenés. Pour les SCA, c’est l’assurance d’une rente perpétuelle et sans risque.

Un rapport au vitriol de la Cour des comptes, publié en 2013, a dénoncé les conditions désastreuses dans lesquelles se sont faites les privatisations des autoroutes pour les finances publiques : en à peine cinq ans, les sociétés autoroutières ont complétement remboursé, grâce aux dividendes versés, le coût d’acquisition des réseaux…

Comprenant que les dés sont pipés, Jean-Paul Chanteguet, président de commission du développement durable et président à ce titre du groupe de travail sur les autoroutes, décide en mars 2015 de démissionner de ce groupe. « Je refuse d’avaliser plus avant cette mise en scène et mets un terme à ma participation à ce groupe de travail, dont les travaux, consciencieusement organisés et orientés, ont eu pour objectif de montrer, que de rente il n’y avait pas et que l’idée de la résiliation était irréaliste, pour ne pas dire irresponsable », écrit-il. Dans une lettre envoyée au premier ministre Manuel Valls le 26 février et rendue publique en même temps, le député socialiste était encore plus précis : « Sur ce dossier comme sur d’autres précédents, le pouvoir exécutif, au travers de sa haute administration, dénie aux parlementaires toute légitimité à proposer des solutions réfléchies, documentées et innovantes. […] Je ne saurais pour ma part cautionner une démarche qui n’aurait pour ligne directrice la défense de l’intérêt général, c’est-à-dire celle de l’État et de ses usagers. »

Jean-Paul Chanteguet avait vu juste. Un mois plus tard, un accord secret est signé entre l’État et les sociétés autoroutières. Il inclut tout ce qui a été négocié dans le secret des mois auparavant : en contrepartie de 3,2 milliards d’euros de travaux supplémentaires sur 10 ans, les sociétés autoroutières voient leur contrat de concession étendu de deux à cinq ans, par le biais d’avenants. Le tout a été accepté sans problème par la Commission européenne : dès qu’il s’agit de privatiser des biens publics, tous les obstacles mystérieusement disparaissent, et même les règles de transparence ne sont plus obligatoires…

L’Autorité de régulation des activités ferroviaires et routières (Arafer), qui n’a pas été associée aux négociations et à la rédaction de l’accord, a évalué le dispositif par la suite. « La hausse supplémentaire des tarifs de péage qui résulte de la compensation du gel tarifaire en 2015 représente des recettes cumulées de l’ordre de 500 millions d’euros (courants) pour l’ensemble des sept sociétés, sur la durée restant à courir des concessions », écrit-elle dans son premier rapport

Avant même la réunion du 14 janvier au ministère des transports, les sociétés autoroutières ont fait savoir qu’elles étaient prêtes à faire un geste pour accompagner les hausses tarifaires prévues à partir du 1er février, comme le gouvernement le demande « pour prendre en compte les attentes des Français en matière de pouvoir d’achat ». « Nous sommes favorables au fait de trouver des formules montrant que nous ne sommes pas autistes, a déclaré 8 janvier Xavier Huillard, PDG de Vinci. Nous sommes prêts à imaginer des choses qui redonnent un peu d’air à ceux qui utilisent les autoroutes entre leur domicile et leur lieu de travail. » Un aménagement des formules d’abonnement pour les usagers pour les trajets quotidiens entre le domicile et le travail est justement la piste que privilégie la ministre des transports, en accompagnement des hausses de tarifs.

Mais comme le dit lui-même le PDG de Vinci, « le diable est dans les détails ». Et les détails risquent une fois encore de coûter fort cher à la collectivité publique. Car tout geste des SCA justifie compensation, comme le prévoit l’accord de 2015. Comme à chaque fois, elles exigent un morceau de chair supplémentaire du bien public.

Dans un premier temps, elles ont donc demandé une nouvelle extension de la durée des concessions autoroutières. Le ministère des transports ne semble pas trop partant pour l’instant pour cette formule. Il n’est pas sûr d’ailleurs que les sociétés autoroutières y tiennent tant que cela. Leur objectif est plutôt d’étendre leur emprise, de prendre de nouveaux domaines jusque-là publics pour les transformer en concessions privées. Et il y a des voies de circulation qui les intéressent particulièrement : les rocades, les périphériques, les autoroutes urbaines, tout ce qui constitue des passages obligés pour les usagers chaque jour. Justement, l’État a fait savoir qu’il n’avait plus les moyens d’entretenir ces voies de circulation. Quoi de mieux que de les concéder au privé pour en assurer l’entretien.

Mais en ces temps de révolte des gilets jaunes, difficile d’avancer frontalement. « Instaurer un abonnement travail-domicile est un moyen d’avancer vers les péages urbains. Les sociétés d’autoroutes auront mis en place leur système de tarification travail-domicile. Les usagers finiront par s’y habituer. En tout cas, c’est le pari du gouvernement. Après, il n’y aura plus qu’à transformer les dessertes urbaines en concessions privées et le tour sera joué », explique, plein de soupçon, un grand connaisseur du monde autoroutier. Ainsi le péage urbain, qui avait disparu par la porte lors de la présentation du grand plan de transition écologique par Emmanuel Macron fin novembre, pourrait revenir par la fenêtre par le biais des tarifs travail-domicile négociés avec les sociétés concessionnaires d’autoroutes. Au nom du pouvoir d’achat, de l’écologie et des gilets jaunes, bien sûr. »

Pour accéder à l’article de Mediapart, cliquez ici (intégralité réservée aux abonnés).

Et une vidéo du 16 janvier où la journaliste de Médiapart présente son analyse et rappelle les actions de R. Avrillier pour accéder au contrat secret (à partir de la 26ème minute) ici.

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