Radiation d’un commissaire enquêteur pour avoir trop bien informé le public durant des enquêtes publiques !

Publié le 18 janvier 2019

Trop souvent les enquêtes publiques ne répondent pas à l’exigence de la loi qui précise « le commissaire enquêteur ou la commission d’enquête conduit l’enquête de manière à permettre au public de disposer d’une information complète sur le projet, plan ou programme, et de participer effectivement au processus de décision » (L 123-13 du code de l’environnement). Le dernier exemple caricatural est le comportement de la commission d’enquête sur l’autorisation environnementale pour l’élargissement de l’A 480 qui s’est contentée de relayer les positions du maitre d’ouvrage, en n’oubliant pas le cas du commissaire enquêteur sur le permis de construire du projet Neyrpic à Saint Martin d’Hères, qui a été rappelé à l’ordre par le tribunal administratif pour reprendre sa copie !

Mais lorsque le commissaire exige de l’administration et du maitre d’ouvrage le maximum d’informations il est sanctionné par une radiation demandée par le préfet de l’Isère.

Le 6 décembre 2018, M. Gabriel Ullmann, commissaire enquêteur (depuis plus de 20 ans), est radié à la demande du préfet de la liste d’aptitude aux fonctions de commissaires enquêteurs, par la commission départementale chargée d’établir la liste des commissaires enquêteurs du département de l’Isère.

Le débat national est-il crédible, quand dans le même temps des représentants de l’Etat (tels les préfets) n’hésitent pas à faire radier les commissaires-enquêteurs qui donnent toute la place à la démocratie participative lors des enquêtes publiques ?

Chaque année, on compte entre 6 000 et 8000 enquêtes publiques, soit en moyenne presque deux enquêtes par semaine et par département. Les enquêtes, qui visent de gros projets de proximité, constituent un facteur essentiel de la démocratie locale.

Or, en fait l’administration n’accepte pas parfois que le commissaire-enquêteur exerce pleinement la fonction confiée par la loi, car cela remettrait trop en cause ses déficiences d’instruction des dossiers soumis à enquête et pourrait être une entrave à la réalisation des projets, quels que soient leur qualité et leurs impacts.

Ainsi, dans le cadre d’un très gros projet de ZAC industrielle de 250 ha dans le nord-Isère, dont de nombreuses activités Seveso, à proximité immédiate de riverains, en partie en zone inondable et dans des zones naturelles patrimoniales (pelouses sèches en bord de Rhône), M. Ullmann a présidé la commission d’enquête (projet Inspira) du 30 avril au 13 juin 2018. Les conclusions défavorables unanimes de la commission ont été rendues le 27 juillet (voir : ici).

Dès le début d’enquête, le 6 mai, le président du département M. Jean-Pierre Barbier demandait l’éviction de M. Ullmann de la commission. Le président du tribunal administratif de Grenoble lui répondait par la négative de façon circonstanciée le 16 mai. Le préfet prenait alors aussitôt le relais de M. Barbier, en faisant constituer un dossier en radiation dès le 1er juin.

La commission d’aptitude des commissaires-enquêteurs décide de la radiation le 6 décembre.

L’atteinte commise à l’indépendance des commissaires-enquêteurs, mais aussi aux tribunaux administratifs, qu’on bafoue ainsi est très grave. De même que l’atteinte à la liberté d’expression (radiation pour de simples articles sur la régression du droit de l’environnement parus dans une revue en ligne Actu-Environnement.com).

De surcroît, et c’est tout aussi grave : les conflits d’intérêts dans ce dossier sont majeurs au sein de la commission de radiation (dont la composition manque d’impartialité). En effet, outre le préfet (qui sollicite la radiation) qui a une influence directe sur 4 des 9 sièges de la commission on y trouve aussi M. Christian Coigné qui est :

  1. PDG d’Isère-Aménagement, maître d’ouvrage d’Inspira, filiale d’ELEGIA dont le PDG est M. Barbier (qui avait demandé l’éviction de la commission d’enquête)
  2. Vice-Président du département 38, dont le président est le même M. Barbier
  3. Président du CAUE 38, dont… un de ses salariés, nommé par le préfet, siège aussi à la commission de radiation. De plus, les revenus du CAUE dépendent de la part départementale de la taxe d’aménagement votée chaque année par le département.

Par ailleurs, M. Coigné est vice-président de l’association des maires de l’Isère…et cette association est représentée es qualité dans la commission de radiation par un maire.

Mais c’est cette même commission qui exige chaque année des Commissaires enquêteurs de justifier l’absence de conflits d’intérêts, etc…

La boucle est bouclée quand Isère Aménagement fait initialement un recours contre les vacations du président de l’enquête concernant son projet… suivi de peu par la décision de la commission de radiation qui considère alors, le 6 décembre, que M. Ullmann doit être radié parce que notamment, vu ses investigations pour la complète information du public, cela se traduirait par un coût trop élevé pour  les maîtres d’ouvrage. Et cela, alors même que le dossier de saisine du préfet ne comporte aucun grief à ce sujet et que le code de l’environnement impose : « La commission doit, au préalable, informer l’intéressé des griefs qui lui sont faits et le mettre à même de présenter ses observations » (R.123-41).

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