L’indépendance de l’Autorité environnementale régionale en question

Publié le 1 février 2019

Le système français d’expertise et d’évaluation sur les projets impactant l’environnement souffrait depuis de longues années d’un déficit d’indépendance. L’autorité environnementale régionale était organisée dans les mêmes lieux et avec les mêmes équipes que l’administration d’Etat décentralisée qui était maître d’ouvrage des grands projets, ce qui mettait en cause l’indépendance de l’évaluation. Cela a été revu en 2016, mais le système mis en place est loin d’être optimum et un cas précis, parmi d’autres, montre que cette indépendance est encore loin d’être assurée.

Il s’agit du dossier « Inspira » concernant la ZAC de la zone Industrialo-portuaire de Salaise-sur-Sanne et Sablon en Isère. Suite à l’avis défavorable donné à l’unanimité, par la commission d’enquête sur ce dossier, notre attention a été attirée par le contenu de l’avis du 20 février 2018, de la Mission Régionale de l’autorité environnementale (MRAe) AURA sur ce projet. Elle indique en introduction : « La DREAL a préparé et mis en forme toutes les informations nécessaires pour que la MRAe puisse rendre son avis. » Et elle conclut très (trop) positivement : « Le projet prend en compte les enjeux environnementaux de manière complète et proportionnée, restituant une démarche d’intégration de l’environnement dans le projet qui apparaît adaptée à sa nature et à son ampleur. Les enjeux les plus forts ont été bien pris en compte, et les mesures proposées pour les thématiques liées au risque inondation et au milieu naturel sont pertinentes.

L’ensemble des impacts du projet au stade de l’aménagement de la zone sont identifiés et font l’objet de mesures globalement adaptées à la nature de ces impacts. Les enjeux liés aux prélèvements en eau, ainsi qu’aux déplacements et à la qualité de l’air, sont identifiés de manière satisfaisante avec un état initial complet qui permet de bien appréhender les sensibilités du territoire. »

De son côté, la commission d’enquête  avait rendu un avis le 27 juillet 2018 totalement défavorable en détaillant, sur 40 pages de conclusions, que le projet est desservi par une « déficience d’états des lieux dans plusieurs domaines », un « manque de mesures concrètes », « le report constant à des études ultérieures malgré des urgences chroniques (ressources en eau de nappe, voiries congestionnées, surexposition à des pollutions et des nuisances) » et notamment « l’insuffisance rédhibitoire de réelles mesures compensatoires à la destruction d’habitats naturels remarquables, voire patrimoniaux pour certains ». Et de conclure : « Pour toutes ces raisons, détaillées dans les présentes conclusions pour chacune des autorisations sollicitées, la commission émet unanimement un avis défavorable au projet dans son ensemble et considère que le dossier doit être entièrement repris sur la base d’un projet mieux dimensionné, bien mieux compensé, et bien plus protecteur des tiers.

En résumé, c’est « trop gros, trop tôt ».

Cette conclusion a valu au président de la commission d’enquête d’être radié de la liste des commissaires enquêteurs de l’Isère ! (Voir article précédent à ce sujet)

Malgré cela le préfet a pris plusieurs arrêtés d’autorisation, dont la Déclaration d’Utilité publique, du projet Inspira le 18 décembre 2018.

Nous avons appris que l’avis de la MRAe relatif au projet Inspira a été en fait largement conçu, rédigé et défendu par le service instructeur de la DREAL !

Contrairement à ses obligations et au droit, la MRAe avait même tenu à féliciter et à remercier le service instructeur de la DREAL pour son projet d’avis que la MRAe signera de son nom :  “Tout d’abord, bravo et merci pour ce projet d’avis dont la très grande qualité est remarquée et saluée par tous les membres de la MRAe qui en ont été destinataires. Votre production, bien dans l’esprit d’une démarche d’évaluation environnementale, témoigne en outre d’une grande expertise et connaissance du dossier”.

Une telle pratique viole les termes mêmes de la convention passée avec la DREAL en 2016.

En effet, la convention exclut que les services instructeurs de la DREAL préparent les avis des MRAe comme cela est clairement explicité dans la synthèse 2017 de l’activité de l’autorité environnementale et des MRAe : « La fonction des autorités environnementales est celle d’experts indépendants qui doivent attester de la bonne prise en compte des enjeux environnementaux par les porteurs de projets ou de plans/programmes et les autorités décisionnelles. Leur crédibilité nécessite donc l’absence de tout lien avec ces derniers.

C’est ce qui a conduit à mettre en place des instances dédiées dotées de règles de fonctionnement spécifiques préservant leur autonomie de jugement et d’expression vis-à-vis de tous ceux qui ont contribué à l’élaboration du projet ou du plan/programme, ainsi que vis-à-vis des services de l’État chargés de leur instruction… Ces règles sont guidées par plusieurs principes communs : indépendance des avis rendus par les MRAe et respect du principe de séparation fonctionnelle vis-à-vis des organismes qui préparent, approuvent les projets, plans, schémas, programmes et autres documents de planification soumis à leur avis ; transparence des différentes étapes d’élaboration des avis et des décisions ».

Souhaitons que ce cas gravissime entraine une évolution vers une indépendance totale des MRAe, il en va de la santé de notre démocratie.

Un rappel de l’évolution des règles concernant l’indépendance de l’évaluation environnementale dans les grands projets portant atteinte à l’environnement :

La justice européenne (arrêt « Seaport » du 20 octobre 2011) a jugé que l’autorité en charge de l’évaluation environnementale d’un plan ou programme impactant l’environnement doit être séparée de manière fonctionnelle de l’autorité en charge de la décision et que l’autorité environnementale peut être une entité administrative interne à l’autorité décisionnaire à la condition d’une autonomie qui suppose une séparation matérielle. Le Conseil d’Etat le 26 juin 2015 a annulé le décret organisant l’autorité environnementale en suivant l’arrêt Seaport. Pour lui, une même autorité peut être chargée d’élaborer un plan ou programme et être chargée de la consultation en matière environnementale toutefois, au sein de l’autorité exerçant comme autorité environnementale, il convient qu' »une séparation fonctionnelle soit organisée de manière à ce qu’une entité administrative, interne à celle-ci, dispose d’une autonomie réelle, impliquant notamment qu’elle soit pourvue de moyens administratifs et humains qui lui sont propres, et soit ainsi en mesure de remplir les missions confiées aux autorités de consultation par ces dispositions« 

Un nouveau décret (n°2016-5 19 du 28 avril 2016) a réformé en ce sens l’autorité environnementale régionale, ainsi chaque mission régionale (MRAe) bénéficiera de l’appui d’agents du service régional chargé de l’environnement qui instruiront les dossiers et seront alors placés sous l’autorité fonctionnelle du président de la mission régionale. Ceci signifie que des agents de la DREAL seront mis à disposition de la MRAe, sous l’autorité fonctionnelle du président de la mission, donc travailleront en toute indépendance par rapport à leur service habituel pour la MRAe.

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