Gratuité des transports collectifs : pas à tout prix, conclut un rapport sénatorial

Publié le 4 octobre 2019

Le 26 septembre, la mission sénatoriale, dont le rapporteur est Guillaume Gontard, sénateur de l’Isère, a rendu son rapport qui réfléchissait aux enjeux de la gratuité des transports collectifs. Après avoir interrogé l’ensemble des collectivités qui la pratiquent et d’autres qui l’ont envisagée mais écartée, elle en conclut que « La gratuité totale des transports collectifs ne constitue ni une fausse ni une bonne idée en soi ; tout dépend dans quel but elle est mise en œuvre. » La gratuité ne peut pas s’appliquer partout et doit surtout être envisagée dans le cadre d’une réflexion globale sur la politique de mobilité. Le rapport a été adopté à l’unanimité.

La mission a envoyé un questionnaire aux collectivités qui ont mis en pratique la gratuité et à celles qui l’ont envisagée ou écartée. Elle a également lancé une consultation en ligne qui a recueilli plus de 10.500 réponses en un mois ce qui montre l’intérêt des citoyens pour cette question.

A propos des grandes agglomérations dont celle de Grenoble, le rapport fait les constats suivants :

« Le réseau de la métropole de Lyon, géré par le Sytral, est ainsi de loin le plus fréquenté de tous les réseaux hors Île-de-France, avec 320 voyages par an et par habitant. À Bordeaux, 168 millions de voyages sont réalisés sur l’ensemble du réseau, soit 220 voyages par an et par habitant. La fréquentation du réseau rennais est également très significative, puisque 193 voyages sont réalisés par an et par habitant. Ce chiffre atteint 201 voyages par habitant et par an sur le territoire de la ville de Besançon. À Toulouse, 131,9 millions de déplacements ont été enregistrés en 2018.

Ces différents réseaux sont tous confrontés à une forte hausse de la demande qui leur est adressée par les usagers. Le trafic des transports en commun lyonnais a ainsi augmenté de + 30 % entre 2009 et 2016. Celui des transports en commun bordelais a crû de + 75 % entre 2009 et 2017 (+ 10,5 % entre 2017 et 2018). 

La part modale des transports en commun de ces différentes métropoles est élevée, puisqu’elle représente 14 % de l’ensemble des déplacements à Rennes et 17 % à Grenoble. En conséquence, les responsables des transports en commun grenoblois notent que « les principales lignes de tramway et bus sont proches de la saturation ». Le constat est similaire à Clermont-Ferrand ou à Bordeaux.

En lien direct avec cette forte demande, tous ces réseaux investissent pour accroître l’offre proposée aux usagers. À Rennes, le réseau est ainsi en cours d’extension avec la construction d’une deuxième ligne de métro qui sera mise en service au dernier trimestre 2020 et un redéploiement de l’offre de bus. À Bordeaux, une nouvelle ligne de tramway devrait être mise en service à la fin de l’année 2019 puis être étendue à l’horizon 2024.

Comme l’ont souligné Marylise Bessone et Émilie Lacroix, directrices associées du cabinet de conseil MBC MBO lors de leur audition, «  la gratuité peut être un déclencheur1 dans les réseaux de petite taille ou taille moyenne où l’offre ne se développe pas et où les citoyens se détournent des modes durables de déplacements au profit de la voiture particulière. […] La gratuité en revanche n’est pas une bonne idée dans des réseaux où l’offre est déjà développée2. […] La gratuité ne ferait qu’amplifier le phénomène de saturation en heures de pointe notamment et le report vers la voiture particulière et subtiliserait des ressources importantes pour le développement de l’offre de mobilités durables ».

2. Des recettes de billettique difficiles à compenser

Corollaire de la taille des réseaux de transports en commun mis en place par les métropoles françaises, les coûts d’exploitation atteignent des montants élevés

À Bordeaux, les coûts d’exploitation ont ainsi atteint 306,2 millions d’euros en 2018 et près de 243,9 millions d’euros à Toulouse.  Contrairement aux villes qui ont mis en place la gratuité, les recettes tarifaires des réseaux de ces métropoles fournies par les usagers représentent des sommes très conséquentes et une part significative de la couverture des dépenses de fonctionnement1.  À Toulouse, la part des usagers représente ainsi 97,3 millions d’euros, soit 38 % des dépenses de fonctionnement du réseau. À Bordeaux, les recettes tarifaires représentent 86,2 millions d’euros et permettent de couvrir 36 % des dépenses du réseau. Pour le Sytral à Lyon, la part des usagers représente 245 millions d’euros, soit 25 % des recettes du réseau. À Grenoble, la part des usagers est de 37,4 millions d’euros, soit 21,8 % des recettes de l’autorité organisatrice. À Rennes, la part des usagers s’établit à 39,8 millions d’euros, soit 18,4 % des recettes du réseau.  L’importance de ces recettes issues de la billettique et la volonté de continuer à développer l’offre proposée aux usagers sont les principales raisons mises en avant par ces différentes métropoles pour justifier leurs réticences à mettre en place la gratuité totale des transports collectifs.  Bordeaux Métropole explique ainsi dans sa réponse au questionnaire de la mission qu’« en dehors du basculement vers la tarification solidaire qui offrira un dispositif plus équitable, Bordeaux métropole n’envisage pas d’étendre la gratuité à un spectre plus large. Ceci pour permettre de continuer à financer la qualité du service et le fort développement nécessaire du réseau au travers de recettes – 81 millions d’euros – qui viennent en complément du versement transport ».  Les craintes sont similaires à Rennes, puisque la réponse au questionnaire explique qu’« adopter la gratuité pour tous les voyageurs reviendrait à faire supporter l’intégralité des coûts de production du service sur les seuls contribuables, donc à augmenter les impôts d’environ 39 millions d’euros ».  Par ailleurs, « la gratuité pourrait engendrer des effets néfastes pour le développement du réseau. Une fréquentation supplémentaire trop importante poserait des problèmes de capacité des bus, donc d’investissements supplémentaires à réaliser. Avec quels moyens ? ». Ces différentes raisons conduisent les métropoles qui ont répondu au questionnaire de la mission à écarter, du moins pour l’instant, la gratuité totale au profit de tarifs sociaux et solidaires parfois très développés…

Voici la liste des recommandations de la mission sénatoriale :

« Dépassionner le débat qui souffre trop souvent de positions de principe et d’idées préconçues.

Intégrer les territoires ruraux et péri-urbains dans la réflexion pour ne pas créer une sensation de rupture et de distorsion entre les territoires.

Créer un observatoire de la tarification des transports.

Penser la gratuité totale comme un outil d’une politique globale et veiller à sa soutenabilité à long terme.

Sortir de l’opposition entre gratuité et développement de l’offre de transports.

Revenir à un taux de TVA de 5,50 % pour les transports de voyageurs.

Poursuivre et élargir la réflexion sur les modes de financement de la mobilité écologique de demain.

Penser la mobilité à long terme, y compris la « dé-mobilité ».

Pour lire le rapport cliquez ici.

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