Mieux vaut PRÉVENIR qu’avoir à GUÉRIR

Publié le 3 avril 2020

Depuis 3 semaines on ne parle que de prévention pour éviter l’hospitalisation. Depuis de nombreuses années on a fait disparaitre les grandes politiques de prévention santé issues du Conseil National de la Résistance (CNR), comme la Protection maternelle et infantile (PMI).

En France, la prévention santé est une notion très tendance depuis 3 semaines. Quelle sera sa durée de vie sur le long terme ? Une fois la crise passée, la prévention santé risque encore d’être reléguée au 3ème ou 4ème plan. Une politique de prévention doit, suivant les thématiques, soit s’adresser au « grand public » Comme les campagnes anti « le tabac et/ou l’alcool qui tuent », et dont le prix n’arrête ni le fumeur ni l’alcoolique (mais on porte toujours attention à la grogne ou la colère des alcooliers), mais aussi à des publics particuliers.   La grossesse et la petite enfance sont des moments particuliers de la vie ou les concerné.e.s sont très réceptif.ve.s aux différents messages de prévention. Pourtant, on assiste à la disparition progressive de la Protection maternelle et infantile, grand service public de la prévention santé, mis en place par le CNR en 1945, alors qu’il est considéré dans le reste du monde, comme une réussite française.

Le rapport de Mme Michèle Peyron, députée qui a remis son travail au Premier ministre, en mars 2019, « Pour sauver la PMI, agissons maintenant ! », décrit l’inquiétude de ce service public qui a fait ses preuves.

Une mise en œuvre auprès des jeunes enfants et des femmes avait été promue par des ordonnances de novembre 1945, avec la création de la PMI. L’action de ce service public a permis d’améliorer considérablement la baisse de la mortalité maternelle et infantile en association de la construction de nouveaux logements, faisant disparaître progressivement les bidonvilles et offrant des conditions de salubrité dans les logements, qui ont entraîné une amélioration globale de la santé de toute la population, y compris les plus démunis. Le plein emploi, le versement de différentes allocations, dont les prestations familiales, puis l’aide au logement, la sécurité sociale, ont largement contribué à l’élévation du niveau de vie et du niveau de santé, créant ainsi, ce que l’on a appelé les classes moyennes qui ont connu « l’ascenseur social ». En 1983 les lois de décentralisation ont confié cette mission aux départements avec l’aide financière nécessaire. Mais pour ces missions comme pour beaucoup d’autres, les financements d’Etat ont diminué, ou plus exactement, d’autres missions se sont rajoutées :  les modes de garde : l’agrément d’assistantes maternelles pour l’accueil à domicile, l’agrément et la surveillance des structures d’accueil du jeune enfant sous toutes leurs formes.

Grâce à ce travail de prévention précoce et une amélioration du niveau de vie, on avait observé une baisse considérable de la mortalité infantile. D’autres actions de prévention ont été ajoutées, la planification familiale, le suivi des femmes enceintes par des sages-femmes de PMI, les consultations et les examens obligatoires durant les 2 premières années de vie, les vaccinations obligatoires,  les visites à domicile d’infirmières puéricultrices, les questions du handicap, des mineurs en danger, l’agrément et le contrôle des modes d’accueil, les aides à domicile en soutien aux jeunes parents et des bilans de santé entre 3 et 6 ans dans les écoles maternelles, le travail collégial entre les services sociaux et les professions médicales et paramédicales ont significativement amélioré le bon état de santé des jeunes enfants et de leurs parents en pré et postnatal.

A partir de 1940, et jusqu’à la fin des années 90, des centres sociaux étaient systématiquement créés dans tous les secteurs urbains et ruraux ; ils pouvaient accueillir des équipes pluridisciplinaires, des secteurs de l’éducation populaire, du social et du médico-social. Des actions de prévention santé globales étaient fortement développées sur toute la France, secteurs urbains et ruraux, comme un bien commun offert à tous, sans distinction de classe sociale.

Nous constatons que depuis l’an 2000, l’action de ce service public de la petite enfance connaît un déclin progressif. La santé des populations s’est améliorée, mais aussi la rareté du nombre de médecins ; ces deux facteurs ont entraîné la disparition annoncée de cette politique qui était considérée mondialement comme « une réussite française ». Et si la France reste en Europe championne de la natalité, le taux de mortalité infantile en France stagne depuis 20 ans et reste loin derrière celui de l’Irlande.

La petite musique sur le doute sur l’efficacité et les bienfaits de la prévention précoce se sont installés, en raison notamment d’une baisse significative de la dépense nationale en direction de cette politique nationale, maintenant confiée aux départements. Ce qui a entraîné une inégalité de traitement entre les départements, selon les choix politiques de chaque conseil départemental. L’Etat continue de faire appliquer les lois, mais sans exigences précises sur les moyens mis en œuvre et la qualité des services rendus. Le code de la santé publique qui régit le service de PMI a institué des normes minimales pour les différents intervenants, la majorité des Départements sont en deçà de ces normes, sans qu’aucune sanction ne soit appliquée : ainsi en PMI, le nombre de médecins a chuté de 8 % entre 2010 et 2015. … « La PMI ne couvre plus que 12% des besoins en consultations pour les 0 à 6 ans et 1/3 des enfants de moyenne section ne bénéficie pas du dépistage gratuit prévu dans le cadre du bilan de santé en école maternelle » Geneviève Avenard, défenseuse des enfants, indique « l’abandon de pans entiers des actions de prévention primaire. Le nombre d’enfants vus en consultation a chuté de 45 % entre 1995 et 2016, avec une situation très inégale selon les territoires (1) ». Ces mesures sont des « coûts de fonctionnement », ce qui est devenu progressivement un « signe de mauvaise gestion de l’argent public », surtout qu’il s’agissait de postes de fonctionnaires. Cette notion de postes semble causer des allergies aux décideurs politiques, au nom de la seule gestion comptable de l’argent public et non pas de l’investissement humain que cela représente.  Le rapport de Michèle Peyron, précise que « la PMI est victime d’une négligence institutionnelle collective ».

 Le travail avec les centres sociaux avec la présence de conseillères en économie sociale et familiale qui offraient des temps d’animation sur l’équilibre alimentaire, la confection de repas équilibrés en joignant à cela les équilibres budgétaires des ménages modestes.  Ces actions ont disparu ou alors   existent encore, mais à faible fréquence. Aussi depuis quelques années on observe le développement d’autres pathologies chez les enfants : les caries dentaires et l’obésité véritables fléaux liés à l’alimentation avec leurs corollaires de troubles sur la santé physique et psychique des enfants, qui peuvent hypothéquer leur santé d’adultes. 

Et pour faire bonne mesure, la pédopsychiatrie n’est pas en reste, avec une baisse de consultations dans les centres médico-psychologiques, le nombre de pédopsychiatres ayant nettement diminué, 9 mois d’attente sont souvent nécessaires pour obtenir un rendez-vous de consultation avec un pédopsychiatre, ce qui enlève toute possibilité d’agir précocement et efficacement auprès des enfants et leurs familles. Et que dire du mal être d’adolescents et de l’inquiétude des familles qui ont des difficultés à gérer ce moment de passage vers l’âge adulte, sans aucune aide extérieure possible. Ce sont aussi toutes ces situations qui creusent l’écart entre les familles modestes et les catégories sociales plus aisées, qui ont les moyens d’obtenir des consultations dans le secteur privé.

Des mesures nécessaires et indispensables de protection de l’enfance ont été mises en œuvre depuis quelques années, principalement à la suite de révélations de scandales de maltraitances d’enfants. Ce qui entraîne maintenant un ciblage des populations vulnérables en négligeant la prévention précoce systématique de la PMI. Cette prévention précoce systématique, a probablement évité des passages à l’acte de maltraitance, mais aussi permis un dépistage précoce de pathologies physiques ou mentales, évitant ainsi des hospitalisations et privilégiant une prise en charge efficace pour éviter l’aggravation.

La PMI n’est plus en mesure d’assurer ce travail sur le long cours. Les médecins et les personnels paramédicaux disent souvent qu’ils sont surtout inondés d’instructions de « situations préoccupantes », en répondant aux signalements sur les numéros d’urgence. Le traitement dans l’urgence de ces situations fait que la prévention est presque rendue impossible. « En 2010 le collectif Pas de 0 de Conduite a organisé les « Etats généreux de l’enfance » rappelant qu’une prévention prévenante soutient l’enfant en souffrance et sa famille, au lieu de les présenter comme une menace sociale. Cette prévention fruit d’un savoir-faire multiple et non codifié, s’est forgée dans la confiance et le respect des personnes. Elle se fait de façon discrète, mais efficace, sans stigmatiser ni enfermer les enfants et leurs familles dans des grilles d’évaluation, des diagnostics prédictifs ou des protocoles déshumanisés, mais plutôt en les soutenant par une aide médico-psycho-sociale et éducative, explique la médecin et anthropologue Marie Laure Cadart (1) ».

L’efficacité de la prévention précoce, se mesure sur le temps long. L’évaluation en est complexe. Les élu-es politiques, veulent souvent avoir les évaluations de leurs actions. Ils exigent des résultats immédiats et surtout quantifiables sur le court terme (entre deux mandats électoraux !), comme si tout devait s’apprécier comme une marchandise. Alors on procède à des dépistages ciblés, sur les familles en situation de grande précarité économique surtout, mais aussi sur des dépistages quantifiables et standardisés, utilisant des batteries de tests qui conduisent à classifier « toute la liste des dys », dyslexie, dysphasie, dyspraxie, les hyperactifs… au détriment de l’approche relationnelle qui exige c’est vrai, du temps et des professionnell.e.s qualifié.e.s 

La grande stratégie du plan de prévention contre la pauvreté d’Emmanuel Macron, était d’abord une volonté de « programmes expérimentaux fondés sur les neurosciences », dont le célèbre plan « Parler Bambin » décrié par un certain nombre de professionnell.e.s,  qui ont répondu  avec le slogan d’ironie grinçante « comment formater les bambins ? ». Comme si le simple fait d’apprendre des mots aux jeunes enfants était l’alpha et l’oméga de la lutte contre les inégalités de départ. Ce n’est plus de la prévention mais de la stigmatisation des pauvres, en mots.

Fort heureusement, à Grenoble, malgré les difficultés, la majorité a maintenu le Service Santé municipal qui assure en partenariat avec le conseil Départemental, des missions de Protection Maternelle et Infantile, notamment le dépistage des troubles sensoriels et autres difficultés des enfants scolarisés en maternelle. Des visites médicales plus complètes sont réservées aux situations complexes.

Le rapport de Mme Peyron explique clairement que « l’Etat s’est trop désengagé », et que, si nous manquons de vigilance, ce service public pourrait disparaître dans les 10 ans à venir : cette prévention globale dès le plus jeune âge et jusqu’à la majorité pour les enfants, inclut également leurs parents, tous bénéficient de cette action qui prend en compte l’individu dans sa globalité et non pas découpé en « parties atteintes qu’il faut traiter ». La prévention en santé est également une action d’éducation à la citoyenneté, au respect du corps de l’autre et de l’autre dans sa globalité. Les Anglosaxons, les Belges et les Suisses ont une culture beaucoup plus développée que la France à cette éducation populaire, qui tombe progressivement dans l’oubli en France, qui reste pourtant un bien commun essentiel.

Certaines métropoles ont fait le choix d’intégrer cette compétence de la prévention précoce et de l’action sociale dans leur collectivité. Nous formulons quelques propositions d’avenir, la Métropole a intégré la prévention spécialisée, ajoutons la compétence de l’action sociale, de la planification familiale et de la protection maternelle et infantile. Avec ces différentes compétences, nous pouvons réaliser une politique de prévention santé. En prévention précoce, on parle de vulnérabilité, les troubles psychologiques liés à la grossesse, les difficultés relationnelles parents-enfants, la maltraitance intra-familiale, concernent tous les milieux sociaux. Une autre suggestion : faire évoluer la gouvernance des services santé, en ajoutant des professions médicales et sociales, pas seulement comme technicien-es, mais aux postes de responsabilité globale.

Et enfin pour conclure, nous reprendrons une déclaration de l’ancien président du Conseil départemental de la Haute Marne qui en avait assez d’observer que les mots investissements recueillaient l’approbation de tous et que les dépenses sociales sont toujours trop élevées « Puisque le terme investissement est davantage accepté par les politiques, appelons les politiques d’action sociale et de prévention santé, investissement humain ». Le Monde diplomatique de février 2020 « Le Service public de la petite enfance, une réussite française en danger »

Mots-clefs : , , ,

Le commentaires sont fermés.