La séparation des pouvoirs existe-t-elle encore dans notre société ?

Publié le 17 avril 2020

Notre Constitution est fondée sur l’absolue séparation des pouvoirs exécutifs, législatifs et judiciaire. En effet l’article 16 de la Déclaration des Droits de l’Homme et du Citoyen déclare : « Toute Société dans laquelle la garantie des Droits n’est pas assurée, ni la séparation des Pouvoirs déterminée, n’a point de Constitution ».

De nombreux juristes s’inquiètent de voir une justice se plier beaucoup trop aux demandes de l’exécutif. Deux articles sont intéressants à ce sujet, l’un dans Libération l’autre dans Médiapart.

Le 13 avril 2020, dans Libération, un collectif de juristes et d’universitaires a écrit une tribune intitulée « L’Urgence des libertés » :

Au demeurant, cette loi soulève trois questions constitutionnelles. La première est celle de la durée de mise à l’écart du Parlement ; la deuxième est l’étendue des compétences transférées à l’exécutif : exercice des libertés, enseignement, régime de propriété, procédure pénale, droit du travail, régime électoral, c’est tout le domaine législatif posé à l’article 34 de la Constitution qui est «donné» au Premier ministre ; la troisième question est celle de la place extra-ordinaire accordée au comité de scientifiques : alors que les mesures prises et à prendre sont de nature à porter atteinte aux libertés, il aurait été logique de prévoir la consultation préalable du Conseil constitutionnel (comme le prévoit le pourtant très critiqué article 16 !) ou de la Commission nationale consultative des droits de l’homme, institution créée en 1947 à l’initiative de René Cassin et placée auprès du Premier ministre.

L’état d’urgence ne peut être un état vide de droit où s’exercerait seule la violence pure du souverain. En France comme à l’étranger. Protéger le corps social n’est pas seulement une question sanitaire. C’est aussi une question juridique car ce qui fait un corps social c’est l’adhésion des individus à un même patrimoine de droits et libertés. En 2015, après Charlie, les citoyens ont fait corps en se rassemblant sur la liberté d’expression. En 2020, chaque soir à 20 heures, ils font corps en reconnaissant et exprimant par leurs applaudissements le principe de fraternité. Oublier ces droits ou y porter atteinte, c’est dissoudre le corps social en une simple juxtaposition d’individus : «Il n’y pas de société, il n’y a que des individus», disait Margaret Thatcher, ouvrant ainsi le cycle du néolibéralisme.

La santé du corps social impose que toutes les mesures attentatoires aux droits et libertés garantis par la Constitution soient abolies à la fin de l’état d’urgence. Et peut-être aussi, comme après chaque grand choc existentiel, de reconstituer le corps social sur la base d’un principe oublié et pourtant inscrit à l’article 1er de la Déclaration de 1789 : celui de l’utilité commune – et non comme aujourd’hui des intérêts privés ou des héritages – pour fonder les distinctions sociales. »

Le Conseil d’Etat est mis en cause par le professeur de droit public à l’Université Panthéon-Sorbonne, Paul Cassia qui lance un brulot le 11 avril, sur le site de Médiapart intitulé : « Le Conseil d’Etat et l’état d’urgence sanitaire : bas les masques ! ». Il dénonce successivement « les insuffisances inhérentes aux procédures de référé d’urgence, le conservatisme structurel du Conseil d’Etat tenant à sa dualité fonctionnelle, la confusion des genres entre le contrôleur et le contrôlé, la présomption de crédibilité accordée à l’exécutif. »

Il termine son article ainsi : « Le Conseil d’Etat est-il prêt à prendre le risque, devant l’Histoire, que le bilan catastrophique de l’(in)action gouvernementale face à la pandémie soit aussi le sien ? »

Voici le début de l’article :

« En cette période d’état d’urgence sanitaire, le Conseil d’Etat est un organe de labellisation juridictionnelle des décisions prises par le Premier ministre, lui-même membre de cette institution.

En période dite de catastrophe sanitaire, le gouvernement doit être en capacité de faire usage de prérogatives de police administrative temporairement plus contraignantes. Mais alors, dans un régime respectueux d’une séparation des pouvoirs dont même une pandémie ne devrait pas modifier les équilibres, cette situation particulière n’est tolérable qu’à condition que les contrepouvoirs élèvent d’autant leurs standards de contrôle de l’exécutif.

Or, depuis que le 22 mars il a voté les lois organique et ordinaire d’urgence pour faire face à l’épidémie de covid-19, le Parlement – qui même non confiné n’a jamais brillé par sa fonction de contrôle de l’exécutif à l’exception du Sénat au moment de l’affaire Benalla – est moribond. Le Parlement a en outre accepté à la fois de déclarer, par l’article 4 de la loi ordinaire n° 2020-290 du 23 mars 2020, l’état d’urgence sanitaire pour une période de deux mois, et de ne pas exercer sur cette période l’ersatz de « contrôle » parlementaire qui est prévu à l’article 2 de cette loi (article L. 3131-13 du Code de la santé publique) lorsque cet état d’urgence est décrété par le Conseil des ministres (l’article 4 de la loi est pris « par dérogation aux dispositions de l’article L. 3131-13 du Code de la santé publique »).

Le Conseil d’Etat, en revanche, directement compétent pour connaître des recours dirigés contre les principaux actes de l’état d’urgence sanitaire que sont la quarantaine d’ordonnances de l’article 38 de la Constitution prises en Conseil des ministres sur le fondement de la loi du 23 mars 2020, les décrets du Premier ministre et les arrêtés du ministre de la Santé, est saisi avec une fréquence inégalée : près de 100 requêtes relatives à l’état d’urgence sanitaire, essentiellement formées au titre de la voie de recours du référé-liberté, ont été introduites entre le 18 mars et le 10 avril 2020, là où chaque année cette institution rend une trentaine d’ordonnances de référé-liberté. Ce nombre est appelé à augmenter avec les appels (ou recours en cassation) formés devant le Conseil d’Etat contre les décisions prises par les juges des référés des tribunaux administratifs relativement à des arrêtés préfectoraux ou municipaux aggravant – de manière souvent loufoque – la rigueur de l’état d’urgence sanitaire.

Par parallélisme des pouvoirs et puisque des contraintes plus considérables que jamais momifient nos libertés du quotidien, il aurait été bienvenu et même rassurant que soit exercé un contrôle juridictionnel de l’action ou de l’inaction de l’exécutif plus approfondi qu’en période normale. Or, il ressort des premières ordonnances rendues en référé que le Conseil d’Etat continue à juger comme à l’accoutumée, c’est-à-dire, par effet de ciseaux en cette période exceptionnelle, de manière beaucoup trop laxiste et dégradée en faveur de l’exécutif (v. Claire Saunier, « La position délicate du juge des référés face à la crise sanitaire », blog.juspoliticum.com, 11 avril 2020 : le Conseil d’Etat statuant en référé « a fait preuve d’une certaine déférence à l’égard du Gouvernement »). Il est significatif à cet égard que toutes les demandes en référé ont été rejetées par le Conseil d’Etat à la date du 10 avril 2020 (y compris les questions prioritaires de constitutionnalité soulevées en référé contre la loi du 23 mars 2020), seule la première d’entre elles, celle tranchée le 22 mars 2020, ayant conduit à donner une « satisfaction partielle » au Syndicat Jeunes médecins requérant qui demandait… le renforcement du confinement !… »

Pour lire la suite voir ici.

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