La Cour des comptes européenne épingle le projet Lyon-Turin

Publié le 19 juin 2020

Le projet Lyon-Turin est épinglé par un rapport de la Cour des comptes européenne pour son retard, l’augmentation des coûts, son risque de non-rentabilité et son remboursement hypothétique du CO2 dépensé pour sa construction.

Le rapport s’intitule : « Rapport spécial Infrastructures de transport de l’UE : accélérer la mise en œuvre des mégaprojets pour générer l’effet de réseau dans les délais prévus ».

Concernant le projet très contesté de liaison ferroviaire Lyon-Turin, sa réalisation accuse un retard de 15 ans, et ses coûts ont beaucoup augmenté : de 4,4 milliards d’euros, à savoir 85% par rapport à l’estimation initiale. La Cour pointe des prévisions de trafic trop optimistes, les volumes de trafic réels s’écartent notablement de ceux prévus, et il existe un risque élevé de surestimation des effets positifs de la multi-modalité.

Dans un communiqué de la Cour des comptes on peut noter que : « les auditeurs ont également détecté des faiblesses dans les analyses coûts-avantages des États membres concernant ces investissements de plusieurs milliards d’euros : les prévisions de trafic pourraient s’avérer trop optimistes et certains projets risquent de ne pas être économiquement viables…

Les auditeurs ont en outre constaté que la Commission n’avait pas évalué de manière indépendante les spécifications de construction à la lumière des flux potentiels de trafic de passagers et de marchandises avant d’octroyer un financement de l’UE. »

Voici des extraits du rapport en ce qui concerne le projet Lyon-Turin

« Sur la ligne ferroviaire Lyon-Turin, les données les plus récentes de l’observatoire des trafics de marchandises dans la région alpine (2017) indiquent que moins de 3 millions de tonnes de marchandises sont transportées annuellement via la ligne conventionnelle existante. Or, selon les prévisions de trafic les plus récentes, ce chiffre devrait s’établir à 24 millions de tonnes en 2035, soit huit fois le flux de trafic actuel. Cette différence considérable peut s’expliquer par l’état inapproprié de la ligne conventionnelle existante et par le fait que le trafic peut emprunter d’autres cols alpins. Une fois achevée, la nouvelle liaison pourrait éventuellement absorber une partie du trafic actuel entre la France et l’Italie, qui s’élève au total à 44 millions de tonnes (trafics routier et ferroviaire combinés). Cependant, pour qu’un tel transfert se concrétise, certaines conditions devront être respectées, à savoir la résorption des goulets d’étranglement et la construction des liaisons manquantes au niveau du corridor, ainsi que l’amélioration des conditions de circulation multimodale afin d’assurer un trafic ferroviaire fluide et interopérable…

Après sept analyses coûts-avantages de la liaison Lyon-Turin menées conjointement, qui montraient des résultats favorables (par exemple, un bilan positif de 12 à 15 milliards d’euros en 2010), le ministère italien de l’infrastructure a décidé de réévaluer les mérites de cette ligne en 2018. Cette réévaluation n’a jamais été validée par la France, tandis que la Commission n’a pas été consultée. Ses auteurs ont conclu, sur la base d’une nouvelle analyse socioéconomique, que la valeur actualisée nette de l’investissement se situait entre 6,1 milliards et 6,9 milliards d’euros et que les coûts pour la société seraient, là aussi, beaucoup plus élevés que les avantages générés par la construction. Plusieurs contre-analyses ont été réalisées depuis lors. Elles ont mis en évidence des faiblesses dans la méthodologie utilisée pour l’analyse précédente et ont abouti à des chiffres différents dans la plupart des cas.

Pour quatre infrastructures de transport phares de notre échantillon (les liaisons Lyon-Turin, Seine-Escaut et du Fehmarn Belt, ainsi que l’autoroute A1 en Roumanie), notre évaluation de l’impact et des coûts associés aux exigences environnementales a été effectuée avec l’aide d’experts indépendants (de l’université de Lyon, ainsi que des chercheurs établis à Anvers, Milan, Bucarest et Berlin). Ceux-ci ont conclu que la coexistence d’exigences environnementales européennes, nationales, et parfois régionales, différentes compliquait et retardait la planification et la réalisation des infrastructures de transport phares, mais que les facteurs budgétaires restaient les plus contraignants…

De plus, l’évaluation des avantages environnementaux générés par les infrastructures de transport phares sur le plan des émissions de CO2 doit tenir compte aussi bien des effets négatifs de la construction que des effets positifs à long terme de l’exploitation de l’infrastructure une fois celle-ci achevée. En réalité, la construction de nouvelles grandes infrastructures de transport est une source importante d’émissions de CO2, tandis que les avantages environnementaux dépendent du volume du trafic effectivement transféré depuis d’autres modes de transport, plus polluants. Étant donné le caractère très modeste du transfert modal en Europe ces 20 dernières années, il existe un risque élevé de surestimation des effets positifs de la multimodalité de bon nombre des infrastructures de transport phares. Le gestionnaire d’infrastructure français a par exemple estimé en 2012 que la construction de la liaison transfrontalière Lyon-Turin, et de ses lignes d’accès, générerait 10 millions de tonnes d’émissions de CO2. Selon ses estimations, cette infrastructure de transport phare ne deviendra avantageuse du point de vue des émissions de CO2 que 25 ans après le début des travaux. Cependant, se fondant sur les mêmes prévisions de trafic, nos experts ont conclu que les émissions de CO2 ne seraient compensées que 25 ans après l’entrée en service de l’infrastructure. Cette prédiction dépend en outre des volumes de trafic : s’ils n’atteignent que la moitié du niveau prévu, il faudra 50 ans à partir de l’entrée en service de l’infrastructure avant que le CO2 émis par sa construction soit compensé. » 

Pour lire le rapport complet cliquer ici.

Le communiqué de presse du 16 juin 2020 de la Cour européenne est .

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