Encore un projet d’une loi scélérate : la loi ASAP

Publié le 9 octobre 2020

Le projet de loi « d’accélération et de simplification de l’action publique (ASAP) » est en cours d’adoption au parlement. Ce projet contient des évolutions inacceptables concernant une diminution dangereuse de l’encadrement des marchés publics, le droit d’accès aux documents administratifs, et pour faciliter l’implantation d’installations classées pour la protection de l’environnement (ICPE), au détriment du débat public, il rabote le périmètre de l’enquête publique en permettant au préfet de lui préférer une consultation en ligne de 30 jours, pour tout projet nécessitant une demande d’autorisation sans évaluation environnementale.

Le Conseil d’Etat avait tiré le signal d’alarme dès le 30 janvier 2020 dans son avis sur le projet de loi Asap« La possibilité laissée à une autorité administrative d’opter entre plusieurs options de participation du public ne peut être envisagée que si le législateur a défini avec suffisamment de précisions les cas et les critères encadrant cette possibilité ». Le gouvernement n’a pas jugé bon d’apporter cette précision au texte, ce qui entraine une grande fragilité juridique de cette partie de la loi.

La Commission Nationale des Commissaires Enquêteurs (CNCE) a réagi fortement par un communiqué du 5 octobre intitulé : « Les limites de l’illusion démocratique ! ». Les associations ANTICOR et Transparency International France appellent les députés à rejeter les nouvelles dispositions mettant en cause la transparence dans les marchés publics et l’accès aux documents administratifs.

« Au cours de la deuxième séance à l’Assemblée nationale vendredi soir – 2 octobre – le Gouvernement a demandé à ce qu’il soit procédé à une seconde délibération de l’article 25 du projet de loi ASAP : c’est ainsi qu’un amendement rétablissant cet article a été adopté…

Or ce vendredi 2 octobre est intervenu un véritable coup de tonnerre puisqu’en toute fin de séance et selon une procédure plutôt inhabituelle, Agnès Pannier-Runacher, ministre déléguée chargée de l’Industrie, considérant que les débats préalables au vote de l’article 25 ne lui « paraissaient pas avoir permis d’éclairer la question… » a demandé un nouveau vote sans débat sur la suppression de cet article prétextant, entre autres, que les députés avaient été insuffisamment informés, qu’au contraire la consultation par voie électronique par le préfet aurait lieu sur 1 mois alors que l’enquête publique n’aurait duré que 15 jours, etc. et a fait rétablir l’article 25… avec seulement 25 députés présents dans l’hémicycle ! Comment ne pas s’indigner d’un tel procédé et des arguments avancés, illustrant la méconnaissance totale de cette procédure de proximité qu’est l’enquête publique ?! C’est faire peu de cas de la représentation nationale, de la démocratie en général et du rôle du parlement en particulier. Non, madame la ministre ce n’est pas la réduction des délais qui est en cause, mais le fait que l’on remplace une enquête publique menée par ce tiers indépendant qu’est le commissaire enquêteur par un préfet, lequel, quelles que soient ses compétences mais bien en représentant de l’État, décidera d’un projet sans l’obligation du rendre compte et sans donner un avis motivé expliquant ses choix ! C’est bafouer le principe même de la participation du public, élément incontournable de l’élaboration de la décision publique…

Quoi qu’il en soit, la CNCE est lasse de conduire cette lutte permanente visant à faire reconnaître les vertus de l’enquête publique et la place qu’elle occupe dans le dialogue environnemental. Elle n’en reste pas moins déterminée à la poursuivre et à mobiliser les citoyens. Alors, mesdames et messieurs les parlementaires de la majorité, un peu de courage, ne faites pas passer la volonté de l’exécutif avant vos convictions profondes et cessez de détricoter lentement mais sûrement ce dernier fleuron de la démocratie participative de proximité qu’est l’enquête publique ! Ou alors que le gouvernement aille jusqu’au bout de son raisonnement et supprime carrément dans les textes tout recours à l’enquête publique, cette procédure qu’il juge passéiste et qui pourtant continue à privilégier le dialogue et l’humain dans ses rapports avec les citoyens ! Organiser un Grand Débat National, réunir des Assemblées Citoyennes… lui permet de se donner bonne conscience pour au final chercher par tous moyens à faire de la dématérialisation la procédure de droit commun de la participation citoyenne et faire fi du développement durable dans toutes ses composantes. Cette illusion démocratique devient vraiment criante ! »

Anticor et Transparency International tirent le signal d’alarme :

« Des dérogations inquiétantes aux règles des marchés publics

S’il n’est pas modifié avant son adoption, le projet de loi introduira ainsi un « motif d’intérêt général » permettant de justifier la conclusion d’un marché public sans aucun appel d’offre préalable, quel que soit son montant. Un élu local ou un agent public pourrait ainsi conclure un contrat de plusieurs millions d’euros avec l’entreprise de son choix sans mise en concurrence préalable, s’il estime que le délai nécessaire à cette procédure serait « manifestement contraire à un motif d’intérêt général ». Le Code de la commande publique inclut pourtant déjà une palette de situations justifiant de passer outre cette procédure essentielle pour éviter le risque de favoritisme et le potentiel surcoût pour la communauté (urgence impérieuse, première procédure infructueuse, etc.). L’ajout de cette référence – très large – à « l’intérêt général », qui devra être précisée par décret en Conseil d’Etat, pourrait faciliter la signature de contrats opaques avec une dimension clientéliste ou même d’enrichissement personnel et pourrait exposer également des acheteurs publics de bonne foi à une condamnation pour favoritisme en cas de lecture restrictive de la notion d’intérêt général par un juge.

Deuxièmement, un autre article du projet de loi prévoit d’introduire un régime dérogatoire complet au régime de la commande publique ordinaire, pour des motifs de circonstance exceptionnelles (guerre, pandémie, catastrophe naturelle crise économique majeure…). Les conséquences juridiques d’un tel régime dérogatoire sont impossibles à évaluer compte tenu du délai restreint d’examen du projet de loi, et il nous semble donc nécessaire de ne pas adopter à la va-vite une modification d’une telle ampleur sans bien en mesurer au préalable les conséquences potentielles.

Nouvelle source d’insécurité juridique pour les lanceurs d’alertes

Enfin, le droit à l’information sera restreint concernant « les risques majeurs auxquels elle est soumise dans certaines zones du territoire et sur les mesures de sauvegarde qui la concernent » (Articles 25 Bis A et 25 bis D). L’article vise plus particulièrement les aménagements réalisés par le Ministère de la Défense. Parmi les restrictions à ce droit introduites par le projet de loi ASAP certaines risquent de créer une insécurité juridique évidente pour les lanceurs d’alerte. Il s’agit notamment des éléments dont la divulgation serait « de nature à faciliter des actes susceptibles de porter atteinte à la santé, la sécurité et la salubrité publique ». Cette mention risque de justifier de nombreux refus d’accès à des documents par l’administration, et elle pourrait mettre en danger la protection des lanceurs d’alerte qui choisissent de divulguer des informations sur des menaces à l’intérêt général…

Transparency International France et Anticor appellent donc les députés à voter en faveur des amendements qui suppriment ces dispositions dangereuses introduites par le Gouvernement.

Mise à jour : Parmi ces mesures, une modification du code de la commande publique, de façon à exclure de son champ d’application, « comme le permet le droit de l’Union européenne », les marchés de services ayant pour objet la représentation légale d’un client par un avocat et les prestations de conseil juridique s’y attachant. L’article 46 du projet de loi « ASAP » a ainsi pour objet d’assurer une « transposition stricte » des articles 10 de la directive 2014/24/UE et 21 de la directive 2014/25/UE du 26 février 2014. Et donc d’exclure du champ du droit des marchés publics, les marchés de services ayant pour objet la représentation légale d’un client par un avocat et les prestations de conseil juridique s’y attachant. »

Voir aussi l’article de Médiapart : « Illisible, le projet de loi d’accélération et de simplification de l’action publique (ASAP) se révèle être une somme d’intérêts privés pour mettre en pièces l’action de l’État. Le recul est inquiétant, notamment sur le code des marchés publics, l’environnement et l’accès aux données publiques. »

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