La Cour des comptes se penche sur l’opération Sentinelle

Publié le 16 septembre 2022

Le 12 septembre 2022, la Cour des comptes rend public ses observations définitives ainsi que la réponse du ministre de l’intérieur sur l’opération Sentinelle. Ce dernier ne partage pas la position de la Cour sur la proposition d’un transfert progressif de ces tâches à la police et/ou la gendarmerie.

Au lendemain des attentats de janvier 2015, pour faire face à la menace terroriste, le Président de la République a décidé d’activer l’opération Sentinelle, permettant de déployer jusqu’à 10 000 militaires pendant un mois sur le territoire national. De 2015 à 2021, ce sont près de 225 000 militaires qui ont été requis pour mettre en œuvre, sous commandement militaire, des mesures décidées par l’autorité civile, à la suite d’un dialogue civilo-militaire qui associe ministère des armées et ministère de l’intérieur. En 2017, la Cour avait déjà établi un premier rapport sur la mise en œuvre de l’opération Sentinelle, complété en 2020, par un examen des moyens affectés à la lutte anti-terroriste. Après sept années de reconduction, et une situation de la menace terroriste qui a évolué, ce rapport livre un bilan actualisé de l’opération Sentinelle et réfléchit au bon emploi des armées sur le territoire national.

« Après sept années de mise en œuvre, l’opération Sentinelle présente des caractéristiques qui peuvent être décrites sommairement en cinq points.

1. Une menace toujours forte mais qui a changé de nature.

En 2014 et 2015, la menace, exogène, se caractérisait par la projection d’attaques depuis le Levant. Mais depuis les revers de l’État islamique, la menace est devenue endogène, même si elle est parfois incarnée par des ressortissants étrangers réfugiés ou résidents illégaux. Depuis fin 2018, elle est portée par des individus inspirés par l’État islamique mais qui ne sont pas nécessairement affiliés à une organisation terroriste. Ainsi les forces militaires françaises déployées avec Sentinelle, depuis 2015, sur tout le territoire, mais qui ne disposent ni du renseignement intérieur, ni de pouvoirs de police, ni des armements appropriés en zone urbaine, peuvent ne pas paraître les mieux placées pour faire face à la nouvelle forme de menace. De fait, dans le cadre d’un dialogue civilo-militaire parvenu à maturité, entre les armées et les forces de sécurité intérieure, une réduction des effectifs militaires a eu lieu, portant sur la proportion de personnel déployé et non sur le volume global désigné qui reste le même. Le format a été adapté du fait d’une meilleure compréhension mutuelle de la logique d’effets et des différences de modes d’actions entre FSI et armées.

2. Une réponse délibérément militaire à la menace

En cas de crise majeure sur le sol national, une posture de protection du territoire national, déclinée en contrat opérationnel de protection, avait été définie en 2016. Revue à la baisse à partir de 2018, elle permet de déployer jusqu’à 10 000 militaires en trois échelons (3 000 + 4 000 + 3 000), pendant un mois, apportant ainsi un complément aux forces de sécurité intérieure lesquelles demeurent les intervenants de premier rang dans la lutte anti-terroriste (LAT). Cette contribution des armées obéit à des réquisitions de l’autorité civile qui conserve la maîtrise des mesures mises en œuvre alors que l’autorité militaire reste maître des moyens nécessaires pour atteindre l’effet demandé. En principe, il ne devrait être recouru aux armées que lorsque les moyens de l’autorité civile sont estimés indisponibles, inadaptés, inexistants ou insuffisants. En réalité, le recours aux armées n’a pas été un choix par défaut mais un choix délibéré. Les autorités politiques ont considéré que la réponse apportée aux attaques terroristes sur notre sol devait être une réponse militaire et massive. Il ne s’agissait pas de renforcer des forces de sécurité défaillantes mais de montrer qu’à des attaques aussi agressives, la France répondait avec ses soldats. Le choix a été de mettre « plus de kaki que de bleu dans la rue » et d’en mettre beaucoup. Si le résultat préventif est difficilement mesurable, l’effet recherché est quantifiable puisqu’il est celui d’un engagement militaire massif. Le coût complet de ce continuum sécurité-défense est évalué à 2 milliards d’€ depuis sept ans et à plus de 3 milliards d’€ si on l’augmente d’un ratio de 1,66 (365/220) pour tenir compte du fait que la solde des militaires est calculée pour 220 jours par an environ.

3. Un risque à lever dans l’hypothèse d’engagement majeur des armées

En même temps, les sollicitations des forces de Sentinelle se multiplient. En 2022, la présidence française de l’Union européenne a donné lieu à la tenue d’environ 400 événements. En 2023, la France accueillera la Coupe du monde de rugby et en 2024 les Jeux olympiques. Parallèlement, doivent être poursuivies des tâches – qui sont parfois reportées – telles que l’aide civile et militaire due par la France aux forces alliées transitant ou stationnant sur son territoire. Dans ce contexte, il apparaît que les forces de Sentinelle seront employées pour des missions éloignées de leur cœur de métier. La doctrine d’emploi des forces terrestres a fait l’objet d’intenses débats, lourds de conséquences pour l’outil de défense français. Le contrat opérationnel de protection n’a pu être assuré qu’au prix de renoncements. Les conditions se sont améliorées, mais la préparation opérationnelle a été touchée dans la durée. La situation internationale actuelle conduit la France à intégrer le scénario d’un engagement majeur en coalition dans une opération de coercition de haute intensité. Si l’engagement majeur était déclenché, la montée en puissance de la force d’intervention nécessiterait une réduction conséquente des engagements au titre de Sentinelle.

4. Une posture de subsidiarité à rechercher dans les domaines relevant des compétences particulières des armées

Dans l’optique d’un meilleur emploi des forces, le critère quantitatif des effectifs militaires à mobiliser, n’est pas suffisant. Les compétences spécifiques de l’armée professionnelle sont nombreuses, notamment en moyens spécialisés et en capacités de niche comme celles des forces spéciales, de véhicules blindés et de moyens aéromobiles, de capacités du génie, de moyens de protection et d’intervention contre les risques nucléaires, radiologiques, biologiques et chimiques (NRBC), de lutte anti-drones, de mobilité 3D, de neutralisation, enlèvement, destruction d’explosifs (NEDEX), d’intervention anti-terroriste et de libération d’otages. Or, la plupart de ces moyens sont rarement sollicités dans un cadre où les armées seraient les seules à pouvoir les mettre en œuvre, ce qui devrait constituer le véritable critère de subsidiarité pour les réquisitionner. Le recours à Sentinelle, recentré sur des missions à forte technicité, de détection, d’observation et de renseignement en milieu naturel hostile ou inaccessible, peut être l’occasion valorisante de s’orienter vers une forme de désengagement progressif (Recommandation n°1).

5. Le transfert progressif aux forces de sécurité intérieure

Alors que les armées se concentrent sur l’hypothèse d’un engagement majeur en coalition dans une opération de coercition de haute intensité, la Cour estime qu’il n’est plus pertinent de poursuivre sans limite de temps une contribution à la tranquillité publique par un « affichage de militaires dans les rues ». Il appartient donc aux FSI de reprendre des secteurs d’activité qui leur reviennent en priorité et pour lesquels elles sont mieux équipées qu’en 2015 dans la mesure où les moyens humains et matériels ont été significativement renforcés pour leur permettre de faire face à la menace terroriste. Par ailleurs, une réflexion renouvelée sur le pilotage des différentes réserves opérationnelles (des ministères de l’intérieur et des armées) serait de nature à simplifier la mobilisation des différentes réserves pour des missions intérieures. (Recommandation n°2). »

Mots-clefs : , ,

Le commentaires sont fermés.