Le procès concernant les conditions d’organisation de « La Fête des Tuiles » va se tenir prochainement

Publié le 23 septembre 2022

Le 26 et 27 septembre, à Valence va se tenir un procès où le maire et 4 anciens agents de la ville de Grenoble sont appelés par la justice pour « délit d’octroi d’avantage injustifié » (ou favoritisme) concernant la passation de deux marchés publics avec l’association Fusées, sans publicité ni mise en concurrence. Deux responsables de Fusées sont poursuivis pour avoir obtenu ces marchés.

Ce délit est contesté par les mis en cause puisqu’à l’époque la ville a décidé de passer le marché en respectant le code des marchés publics qui autorise d’utiliser une procédure sans publicité préalable ni mise en concurrence dans certains cas, notamment lors de l’achat d’une création artistique unique et originale.

Le point de départ administratif se situe au moment où le conseil municipal délibère le 26 mai 2015, en autorisant le maire à signer des marchés publics à deux associations : Fusées et Afric’Impact qui vont créer chacune un spectacle participatif original pour l’occasion (« Révolution en cours » et le « Défilé des Tuiles ») pour la première édition de cette fête, le 7 juin 2015. Les services de la Ville ont piloté et organisé la fête elle-même (logistique, voirie, sécurité, communication, etc.).

Cette décision sera contestée par des opposants notoires à la nouvelle municipalité, puis plus tard par l’ancien maire corrompu de retour aux affaires, avec comme argument principal que le marché de Fusées aurait été obtenu irrégulièrement car un de ses responsables (Pascal Auclair) avait été membre du comité de soutien de la liste « Une ville pour tous » menée par Eric Piolle en 2014. Cette dénonciation à la chambre régionale des comptes sera reprise et transmise au procureur de la République.

Pour celles et ceux qui ont suivi la genèse de la création de la Fête des Tuiles dès l’été 2014, la réalité est beaucoup plus simple : il s’agissait d’inventer de toutes pièces une Fête originale sur le thème historique de la journée des Tuiles survenue le 7 juin 1788 dans le centre-ville de Grenoble, un des évènements précurseurs de la Révolution de 1789.

L’engagement électoral n°18 de la nouvelle majorité proposait de « créer une fête de la Journée des Tuiles, afin d’associer toute la population et de créer un évènement festif, populaire et fédérateur, une fête de la journée des tuiles sera organisée en concertation avec le milieu éducatif, associatif et culturel : une fête pour la démocratie du monde entier, dont le thème sera fixé chaque année par les créateurs.

Contrairement à ce qui est avancé pour mettre en cause la ville, personne n’avait une solution à proposer ou à vendre, d’où la nécessité de trouver une solution originale à inventer avec les concours de nombreux citoyens et réseaux locaux.

Dans le code des marchés publics (en application en 2015), il était prévu, dans certains cas, de pouvoir passer un marché sans publicité ni mise en concurrence. Comme le rappelle la chambre régionale des comptes, le fondement juridique du marché de la Fête des Tuiles est l’article 28-II du code des marchés publics, qui disposait que : « le pouvoir adjudicateur peut décider que le marché sera passé sans publicité ni mise en concurrence préalables dans les situations décrites au II de l’article 35 ou lorsque ces formalités sont impossibles ou manifestement inutiles en raison notamment de l’objet du marché, de son montant ou du faible degré de concurrence dans le secteur considéré ».

Le marché en cause a trait à l’achat d’une réalisation artistique exclusive à l’association Fusées (et une autre à l’association Afric’impact), ce qui justifie l’absence de publicité et de mise en concurrence.

L’article 35-II-8ème du code des marchés publics permettait en effet de conclure un marché sans publicité préalable ni mise en concurrence pour « les marchés et les accords-cadres qui ne peuvent être confiés qu’à un opérateur économique déterminé pour des raisons techniques, artistiques ou tenant à la protection de droits d’exclusivité ».

La question est donc de savoir si ces articles du code s’appliquent aux marchés acceptés par la délibération du 26 mai 2015.

La question aurait dû être tranchée plutôt par la justice administrative que judiciaire.

Aucune requête n’a été en effet engagée pour annulation de la délibération et des marchés devant le juge administratif qui ne l’a donc jamais contesté.

Sollicité par un opposant notoire, le préfet de l’Isère a opéré un contrôle de légalité de la délibération du 26 mai 2015 et a demandé le 11 août 2015, des précisions à la ville qui lui a répondu que les marchés avaient été passés sans publicité ni mise en concurrence en appliquant le code des marchés publics (article 28 alinéa 5). Les services du préfet n’ont rien trouvé à redire et il n’y a pas eu de déféré préfectoral contre la délibération.

De plus, aucun autre prestataire n’a contesté les marchés passés avec les associations Fusées et Afric’Impact, le marché pour cette dernière n’a pas été mis en cause alors que la situation était la même que pour Fusées.

Pour se prononcer en connaissance de cause sur l’application des articles du code des marchés publics à ce cas particulier, il faut revenir à la préparation de cette Fête qui était inscrite dans le programme de la liste « une ville pour tous » menée par Eric Piolle (engagement n°18).

La nouvelle majorité municipale s’est installée en avril 2014, dans un contexte financier très difficile laissé par l’ancienne majorité. Le lancement de la préparation de la Fête des Tuiles a débuté rapidement puisque dès le mois de juin 2014, les idées des Grenoblois ont été largement sollicitées par différents moyens, dont des urnes mises à disposition à la mairie et dans plusieurs lieux publics (Maisons des habitants), pour proposer des idées de réalisation de cette Fête des Tuiles. Il y a eu de nombreuses propositions, mais pas de projet global.

A l’automne, à partir des premiers retours d’habitants, plusieurs réunions avec des compagnies artistiques ont été organisées à la mairie pour leur demander d’inventer des spectacles participatifs afin de donner une coloration nouvelle à cette première édition de la Fête des Tuiles.

La ville a confié une mission de préfiguration du projet de spectacle structurant à deux personnalités du milieu culturel grenoblois, chargés de consulter leurs réseaux et de construire ces offres. De nombreuses réunions et des ateliers de projets ont eu lieu entre septembre et Noël 2014 pour essayer de faire converger les idées.

Deux scénarios ont émergé début 2015 : l’association Fusées (avec Pascal Auclair) a présenté son projet de spectacle « Révolution en cours » qui se déroulerait Cours Jean Jaurès et cours de la Libération ; le deuxième projet était proposé par Gilles Rousselot pour une fête déambulatoire entre la Bastille et la place de Verdun : des animations, du théâtre invisible, des artistes de rue, des rues « habillées ».

C’est autour de la proposition originale de Fusées (« Révolution en Cours ») et des apports des ateliers participatifs que le projet a été finalisé fin janvier 2015 par les élu-es, en grande partie pour le caractère très « citoyen » du projet et l’intérêt de redonner vie au cours Jean-Jaurès – Libération, comme un trait d’union entre le nord et le sud de la ville et début de la voie vers Vizille (où ont eu lieu les États généraux de 1788).

Le 7 juin 2015 la Fête des Tuiles a été une vraie réussite populaire, sur « les Cours », soulignée par les médias, qui ont relevé que plus de 80 000 personnes avaient participé à cette première édition, marquée par un gros orage en fin de journée ; ce qui a annulé certaines animations (banquet, concerts).

Et comme l’indique la ville dans sa réponse aux observations définitives de la chambre régionale des comptes (1er juin 2018) qui mettaient en cause l’utilisation de cet article du code des marchés publics :

« La Ville de Grenoble rappelle que la construction et la réalisation de la Fête des Tuiles, nouvel évènement populaire de la Ville de Grenoble dont la 1ère édition a eu lieu en Juin 2015, nécessitait d’allier la connaissance du milieu associatif et culturel grenoblois, la médiation et mobilisation d’un savoir-faire en matière d’association du public à la création artistique ainsi que la création artistique elle-même.

Considérant que ce projet, associant création artistique et participation citoyenne, n’entrait pas dans la définition de la prestation d’organisation d’événement mais bien dans la création artistique, la Ville de Grenoble a choisi d’appliquer la procédure d’achat adaptée, c’est-à-dire celle de l’art 35-II-8°. Cependant, elle a malgré tout tenu à mettre en place une procédure qui a permis à plusieurs projets d’émerger et d’aboutir au choix final.

 Cette particularité explique la divergence de qualification juridique du marché vis-à-vis des critères fixés par le code des marchés publics. Mais elle ne constitue pas une volonté de contournement des règles des marchés publics ayant pour finalité de favoriser un candidat en particulier. Le projet « fête des Tuiles » n’est pas un évènement culturel classique mais bien un projet qui a fait l’objet, de la part du maître d’ouvrage, la Ville de Grenoble :

  • D’une définition initiale du besoin ;
  • D’un appel public à projet ;
  • D’une phase de médiation culturelle (co-construction citoyenne et participative) assistée par des acteurs du milieu culturel grenoblois ;
  • De plusieurs propositions artistiques traduisant les résultats de la médiation culturelle ;
  • D’une sélection du projet sur des critères culturels et géographiques ;
  • D’une négociation sur le prix du projet dans un cadre budgétaire contraint et défini ; »
  • Puis d’une passation du marché en la forme adaptée. »

Ainsi, la Fête des Tuiles a été organisée en respectant le code des marchés publics.

Cette réalisation était insupportable aux yeux de certains opposants politiques à la municipalité élue en 2014.

Souhaitons que la justice prenne ses distances avec les polémiques politiciennes qui ont pollué la réalisation de cette fête populaire et reste sur la stricte application de la loi.

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