L’Observatoire des inégalités vient de publier l’édition 2022-2023 du rapport sur la pauvreté en France. Il dresse un état des lieux complet et consacre un dossier à la grande pauvreté.
Sur le site de l’observatoire, le 6 décembre, trois articles présentent ce rapport ;
- La France de ceux qui n’ont rien, un point de vue d’Anne Brunner et Louis Maurin auteurs de la publication du rapport
- L’essentiel des données sur la pauvreté en France : Combien y a-t-il de pauvres et comment ce nombre évolue-t-il ? Qui sont les personnes qui vivent sous le seuil de pauvreté ? Où habitent-elles ? Les chiffres-clés et le résumé du Rapport sur la pauvreté en France.
- Hausse des prix : quel impact sur la pauvreté ? La hausse des prix réduit le budget des ménages les plus pauvres. L’indexation des prestations sociales comme le salaire minimum auront un rôle essentiel préserver les niveaux de vie des populations les moins favorisées. Une analyse de Louis Maurin extraite du Rapport sur la pauvreté en France.
« Qui va payer l’addition de l’inflation ?
En moyenne, l’Insee prévoit une hausse des prix de l’ordre de 5 % pour 2022, du jamais vu depuis 40 ans. Tous ceux dont les revenus ne sont pas augmentés vont donc perdre, en moyenne, 5 % de pouvoir d’achat. Avec le même revenu, ils pourront acheter moins de biens et de services. Les pauvres vont-ils devenir de plus en plus pauvres ? Les analyses ne manquent pas après des décennies de stabilité des prix, mais les conclusions sont souvent très confuses.
Pour comprendre le phénomène et son impact sur la pauvreté, il faudrait d’abord savoir si la poussée des prix sera durable ou pas. Personne ne peut dire combien de temps continuera la hausse des prix. Une stabilisation du contexte international et un ralentissement de l’économie mondiale pourraient faire revenir l’inflation à un régime normal. C’est possible, mais peu probable. La hausse des prix peut ralentir. En revanche, on voit mal comment les prix pourraient redescendre : le « + 5 % » est un acquis.
Une baisse du coût de l’énergie à long terme n’est d’ailleurs même pas souhaitable pour les générations futures. Si l’on veut préserver l’environnement, il faut payer plus cher nos déplacements et notre chauffage et réduire nos consommations. Un raisonnement très éloigné des difficultés concrètes des personnes à bas revenus contraintes, par exemple, de prendre leur voiture pour aller travailler. Il n’empêche que dans les décennies qui viennent, le problème se posera.
Ensuite, tout est question d’ajustement : tous ceux dont les ressources sont indexées sur les prix sont en principe protégés. C’est le cas, par exemple, des allocataires des minima sociaux, des retraités, ou des smicards. À condition que leurs prestations et salaires soient revalorisés régulièrement. Si ce n’est pas le cas, alors la situation sera grave. Les plus pauvres deviendraient encore plus pauvres.
Parmi les protégés face à l’inflation, il faut ajouter les plus aisés, pour qui la consommation représente une part plus faible de leurs revenus, comparée aux plus modestes, et pour qui la hausse des prix a donc un plus faible impact. Ils disposent de leur propre bouclier à la banque. Le taux d’épargne atteint presque 30 % de leurs revenus pour les 20 % les plus riches, alors qu’il est proche de zéro pour les plus pauvres. Au pire, avec l’inflation, les plus aisés mettront moins d’argent de côté chaque année, mais ils n’auront pas à se priver.
Le problème de l’inflation se pose pour plusieurs catégories. D’abord pour celles dont les très bas revenus ne suivront pas la hausse des prix. Par exemple, les personnes qui ne vivent que de soutiens d’associations caritatives ou d’amis, qui travaillent à temps partiel dans des entreprises qui n’ont pas les moyens d’augmenter les salaires ou dont les patrons préfèrent engranger les dividendes de l’inflation en augmentant leurs profits.
Ensuite, pour ceux dont le mode de consommation est éloigné du « panier moyen » qui sert à établir l’indice des prix. L’Insee prévoit une hausse de 23,1 % des prix de l’énergie en 2022 et de 9,7 % du poste « transports ». Tous ceux qui doivent faire face à des dépenses de carburant importantes pour aller travailler et, surtout, ceux dont le logement est mal isolé et difficile à chauffer sans dépenser une fortune, vont subir de lourdes pertes de pouvoir d’achat même si leurs revenus augmentent autant que la moyenne des prix. Il faut noter au passage que les personnes qui vivent dans un logement social risquent de voir leurs charges locatives augmenter plus fortement que les autres car les bailleurs ne disposent pas du même bouclier tarifaire sur les prix de l’énergie que les particuliers. Tout dépendra de la manière dont les bailleurs sociaux répercuteront ces hausses de prix dans les charges des locataires.
L’impact de l’inflation sur la population et sur la pauvreté reste complexe à évaluer, tant se conjuguent de paramètres. Si le smic et les prestations sociales suivent la hausse des prix, le taux de pauvreté pourrait peu évoluer en 2022, alors que certaines catégories de population, pas nécessairement les plus pauvres, pourraient subir d’importantes pertes de pouvoir d’achat.
Comme les crises économiques, le chômage et bien d’autres phénomènes, l’inflation ne pèse pas de la même façon sur tous. Protéger l’ensemble de la population, par exemple en réduisant les prix des carburants à la pompe ou en subventionnant les tarifs de l’énergie, revient à favoriser la consommation des catégories aisées parce qu’elles se déplacent plus et chauffent des logements plus grands notamment. L’argent ainsi perdu devrait plutôt être économisé pour soutenir ceux qui en ont vraiment besoin 2. C’est-à-dire augmentées en fonction de l’inflation. »
Mots-clefs : france, inégalités, précarité, social