Une agriculture européenne sans pesticides chimiques en 2050, c’est possible

Publié le 31 mars 2023

L’Institut national de recherche pour l’agriculture, l’alimentation et l’environnement (INRAE) a participé à une recherche sur le thème d’une agriculture européenne sans pesticides chimiques à l’horizon 2050. Durant plus de 2 ans, avec plus d’une centaine d’experts, la prospective « Agriculture européenne sans pesticides chimiques à l’horizon 2050 » a exploré les chemins possibles pour concevoir une agriculture sans pesticides à l’échelle européenne.

Le 21 mars lors d’un colloque de restitution rassemblant près de 1 400 participants de 64 nationalités à Paris, avec témoignages de divers acteurs français et européens des mondes agricole, réglementaire et politique, de l’agriculture, de l’environnement et de l’alimentation, trois scénarii d’agriculture sans pesticide, les évolutions nécessaires du système agricole et alimentaire ont été présentées. Chaque scénario s’accompagne de trajectoires pour la transition européenne et régionale de l’ensemble du système alimentaire. Les scénarii répondent à la question : dans quelles conditions une agriculture sans pesticide serait-elle possible ? Quels seraient ses impacts sur la production, l’usage des terres, la balance commerciale et les émissions de gaz à effet de serre (GES) ? Les trois scénariossupposent un véritable bouleversement des pratiques agricoles et affectent fortement l’ensemble de la filière, en commençant par les consommateurs.

« Alors que les impacts négatifs des pesticides chimiques sur l’environnement et la santé humaine sont établis et bien documentés, les politiques européennes peinent à progresser vers l’objectif fixé de 50 % de réduction de l’usage des pesticides chimiques d’ici 2030. Face à ce constat, 144 experts, scientifiques et parties prenantes, ont travaillé pendant 2 ans à la production d’une prospective partant d’un changement de modèle : concevoir directement des systèmes agricoles et alimentaires sans aucun pesticide chimique à l’horizon 2050.

Les pesticides chimiques sont aujourd’hui essentiels pour les systèmes agricoles conventionnels. Réduire drastiquement leur utilisation jusqu’à les bannir complétement de l’agriculture est un problème épineux auquel il n’existe pas de solution simple. La présente prospective va plus loin en termes d’objectif et d’horizon, en s’interrogeant sur la faisabilité́ d’une protection des cultures efficace dans une agriculture sans pesticides chimiques en Europe en 2050 et sur les modalités d’une transition vers une telle agriculture.

Dans quelles conditions une telle transformation serait-elle possible ? Quels seraient ses impacts sur la production, l’usage des terres, la balance commerciale et les émissions de gaz à effet de serre (GES) ? Cette Prospective, menée dans le cadre du programme prioritaire de recherche (PPR) « Cultiver et protéger autrement » et en lien avec l’Alliance européenne de recherche « Towards a Chemical Pesticide-Free Agriculture », a pour but d’éclairer toutes ces questions et de proposer des trajectoires.

Elle propose 3 scénarios d’agriculture sans pesticides chimiques pour l’Europe en 2050, avec pour chacun une trajectoire de transition et l’illustration de ces scénarios et trajectoires dans 4 régions européennes, et l’évaluation quantitative de leurs impacts en Europe :

  • Scénario 1 : « Marché global » : des chaînes de valeur mondiales et européennes basées sur les technologies numériques et l’immunité des plantes pour un marché alimentaire zéro pesticide.
  • Scénario 2 : « Microbiomes sains » : des chaînes de valeur européennes basées sur les holobiontes des plantes, les microbiomes du sol et des aliments pour un régime sain.
  • Scénario 3 : « Paysages emboîtés » : des paysages complexes et diversifiés et des chaînes de valeur régionales pour un régime sain et durable.

Pour chaque scénario, les systèmes de culture sans pesticides reposent sur la diversification des cultures, le développement du biocontrôle, le choix de cultures et de variétés adaptées, l’apport du numérique et des agroéquipements, et enfin l’anticipation de l’arrivée de bioagresseurs par des dispositifs d’épidémiosurveillance.

Des impacts différenciés mesurés pour chaque scénario

Un des points clés de cette prospective est d’avoir quantifié les impacts de chaque scénario sur la production agricole, l’usage des terres, les émissions de GES et les échanges commerciaux, en se basant sur les résultats de simulations d’un modèle d’équilibre de biomasse à l’échelle européenne et mondiale.

En ce qui concerne la production agricole européenne, la production en calories varie de –5 % à +12 % selon les scénarios, avec un équilibre à trouver entre réduction de consommation de produits animaux et maintien des prairies. Sur la balance commerciale, globalement l’impact des scénarios 2 (Microbiomes sains) et 3 (Paysages emboîtés) donnent à l’Europe une marge de manœuvre pour assurer sa souveraineté alimentaire et être exportatrice. Les 3 scénarios permettent de réduire les émissions de GES de –8 % (scénario 1) à –20 % (scénario 2) et jusqu’à –37 % (scénario 3). Les 3 voies conduisent à augmenter le stock de carbone dans les sols et la biomasse pour contribuer à la neutralité carbone en 2050 pour le secteur agricole et agroalimentaire avec les scénarios 2 et 3.

Les clés de la réussite : des politiques publiques européennes cohérentes entre elles, la mobilisation de tous les acteurs de la chaîne de valeur et le partage du risque entre acteurs.

Une protection efficace des cultures sans pesticides chimiques repose sur plusieurs leviers qui doivent être associés : la diversification des cultures dans le temps et l’espace, le développement de produits de biocontrôle ou de bio-intrants, une sélection variétale adaptée, des agroéquipements et outils numériques, et des outils de suivi de la dynamique des bioagresseurs et de l’environnement. Les mécanismes de régulation biologique à l’échelle du sol, de la parcelle et du paysage doivent être privilégiés, de même que les actions prophylactiques.

Avec l’étude de cas concrets en Italie, Roumanie, Finlande et France pour établir des trajectoires de transition, il est ressorti que l’ensemble du système alimentaire doit être pris en compte dans cette reconception, en engageant tous les acteurs de la chaîne, du producteur au consommateur modifiant son régime alimentaire, en passant par les politiques publiques et réglementaires. En effet, la transition vers une agriculture sans pesticides chimiques nécessite un mix cohérent de politiques publiques européennes pour réduire l’usage des pesticides, soutenir la transition via une refonte de la Politique agricole commune (PAC) et des instruments économiques mobilisables, et créer des marchés sans pesticides chimiques via des accords commerciaux. Enfin, la transition doit notamment s’appuyer sur le partage du risque entre les acteurs dans la transformation de leurs systèmes de culture et celle des approvisionnements agricoles et de l’agroalimentaire.

Les scénarios proposés par la prospective doivent aider les décideurs et la communauté scientifique à identifier de nouvelles problématiques de recherche pour construire un futur système agricole et agroalimentaire européen sans pesticides chimiques d’ici 2050… »

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