Des risques d’atteintes aux droits et libertés qui fragilisent la démocratie

Publié le 21 avril 2023

La Défenseure des droits publie le 14 avril 2023 un avis qui critique sévèrement des atteintes aux droits et libertés notamment certaines mises en cause de la liberté d’association et la stigmatisation inquiétante de la Ligue des droits de l’Homme (LDH). La Défenseure des droits rappelle qu’elle peut être saisie par une personne physique ou une personne morale, comme une association, ayant fait l’objet d’une mesure défavorable pour s’assurer, au moyen de ses pouvoirs d’instruction, que les règles de droit et les procédures ont bien été respectées.

« Dans une démocratie représentative, le suffrage universel permet à tous les citoyens d’élire des représentants chargés d’exprimer la volonté générale.

Au-delà du système représentatif, la démocratie repose également sur des droits et libertés, tels que les libertés d’expression, de réunion, de manifestation et d’association, qui permettent notamment à ceux qui sont éloignés de la vie politique ou qui n’ont pas le droit de vote d’influencer la prise de décision collective.

Toute atteinte portée contre les droits et libertés, qui constituent l’un des piliers de la démocratie, peut conduire à fragiliser l’édifice.

Protégée par la Constitution et la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’Homme et des libertés fondamentales, la liberté d’association est un des principes fondamentaux d’une société démocratique. A l’instar de la liberté de communication, de réunion et de manifestation, elle permet l’expression dans l’espace public de la pluralité des opinions et des intérêts collectifs au sein de la société.

Les associations permettent à la société de rendre visible des problèmes ignorés par les institutions. En particulier, de nombreuses d’entre elles se sont structurées pour défendre et rendre audibles celles et ceux dont la voix est généralement trop faible pour être entendue.

Depuis plusieurs années, le Défenseur des droits dénonce un affaiblissement de cette liberté qui se manifeste de différentes manières, plus ou moins insidieuses.

Depuis 2016, l’institution déplore l’existence de pratiques d’intimidation des forces de l’ordre à l’encontre des associations de défense des plus précaires présentes sur le terrain lors des opérations d’expulsion des campements d’exilés[1]. Le projet de loi pour contrôler l’immigration, améliorer l’intégration comporte d’ailleurs, dans sa version issue du Sénat, un article 17 dont l’adoption aurait autorisé la fouille des véhicules des particuliers lorsqu’il existe « une ou plusieurs raisons plausibles de soupçonner que celui-ci transporte une personne ayant commis ou tenté de commettre une infraction relative à l’entrée et au séjour des étrangers en France ». Les critères particulièrement vagues pour mettre en œuvre une telle fouille auraient permis aux forces de l’ordre de fouiller systématiquement les personnes soupçonnées d’être des membres d’associations d’aides aux exilés.

A l’occasion de l’adoption de la loi confortant le respect des principes de la République, le Défenseur des droits a également dénoncé la restriction de la liberté d’association que constitue le conditionnement de l’attribution de subventions à la signature d’un « contrat d’engagement républicain ». Ce contrat n’exige plus seulement des associations qu’elles ne commettent pas d’infraction, mais aussi qu’elles s’engagent positivement et explicitement, dans leurs finalités comme dans leur organisation, sur des principes qui sont ceux de la puissance publique. Un tel renversement dénature en partie le statut des associations, qui ne sont pas des acteurs publics, et autorise un contrôle très poussé de l’État sur les actions des associations[2]. Sur ce fondement, dans le département de la Vienne, le Préfet a sollicité le rappel des subventions versées à l’association ALTERNATIBA Poitiers affectées à l’organisation d’un festival, pour le motif que s’y serait tenu un atelier relatif à la désobéissance civile.

Enfin, il faut rappeler que cette même loi a facilité la dissolution d’associations en permettant de leur attribuer la responsabilité d’agissements commis par un de leurs membres agissant en cette qualité, si elles en ont connaissance et se sont abstenues de les faire cesser. Ce dispositif fait peser une obligation de contrôle des membres de ses membres particulièrement lourdes pour une association petite et peu structurée[3].

La Cour européenne des droits de l’homme estime que la stigmatisation d’associations par les autorités publiques, combinée à la menace de mesures de contrôles et de sanctions, peut porter atteinte à la liberté d’association[4]. Ces phénomènes réduisent la marge de manœuvre des associations en les intimidant, les exposent à des difficultés financières et humaines et peuvent provoquer leur dissolution.

La Ligue des droits de l’Homme, constituée en défense du capitaine Dreyfus, et qui depuis sa reconstitution après sa dissolution par le régime de Vichy a agi en faveur des droits des femmes, des peuples colonisés, des exilés ou des personnes les plus précaires, a fait l’objet d’une telle stigmatisation par des responsables politiques.

En premier lieu, la légitimité des recours formés par la Ligue des droits de l’Homme dans le cadre des manifestations à Sainte-Soline et notamment le recours formé contre l’arrêté préfectoral qui empêchait les transports d’armes en considérant que la définition retenue par l’arrêté de la notion d’arme était trop vague a été contestée car menaçant la sécurité publique. Outre le fait que dans un État de droit toute décision publique doit pouvoir être contestée devant des juridictions, estimer qu’une association de défense des libertés publiques menace la sécurité revient à la faire basculer dans le champ des associations contre lesquelles des mesures coercitives peuvent être déclenchées.

En second lieu, une suspension des subventions accordées par l’État et par les collectivités territoriales à la Ligue des droits de l’Homme a été évoquée. Ce faisant, une telle mention valide implicitement l’idée selon laquelle la Ligue des droits de l’Homme pourrait remettre en cause gravement l’État au point de pouvoir justifier la suppression de subventions, notamment par des collectivités locales.

En outre, les subventions publiques accordées à la Ligue représentent 29% de son budget : un retrait de ces subventions pourrait conduire à une réduction substantielle de son activité.

Par conséquent, le Défenseur des droits constate, à travers les réclamations qu’il reçoit, une intensification des risques d’atteintes à la liberté d’association. Une telle évolution est hautement problématique dans un État démocratique.

Le Défenseur des droits peut être saisi par une personne physique ou une personne morale, comme une association, ayant fait l’objet d’une mesure défavorable pour s’assurer, au moyen de ses pouvoirs d’instruction, que les règles de droit et les procédures ont bien été respectées.

[1] Les droits fondamentaux des étrangers en France, 2016.

[2] Avis n°21-01.

[3] Idem.

[4] Cour EDH, 14 juin 2022, Ecodefence and others v. Russia, req. n°998813 et autres. »

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