Relaxe de Jean-François Noblet, défenseur de l’environnement, attaqué par M. Barbier

Publié le 7 juillet 2023

La Cour d’appel de Grenoble, par arrêt du 4 juillet 2023, relaxe Jean-François Noblet, défenseur de l’environnement, qui était attaqué par le président du Conseil départemental de l’Isère, M. Barbier, et son vice-président M. Mulyk, chasseurs.

Devant la Cour d’appel de Grenoble, Jean-François Noblet et son conseil, Maître Arnaud Adélise, ont soutenu notamment que M. Noblet au terme d’une enquête sérieuse, sur un sujet publiquement débattu et hors de toute motivation personnelle, a évoqué un fait juridique avéré, et a exprimé un avis sur une pratique surprenante de deux élus du département. Il ne s’agit là que d’une manifestation légitime de sa liberté d’expression.

Comme le rappelle pédagogiquement la Cour d’appel, il est constant en jurisprudence que la bonne foi doit être caractérisée à partir de quatre conditions cumulatives : un motif légitime d’information, une enquête sérieuse contradictoire, la prudence et l’objectivité des propos et l’absence d’animosité personnelle.

La Cour rappelle que M. Barbier et M. Mulyk ont porté plainte en diffamation contre Jean-François Noblet, pour les propos qu’il a tenu le 18 octobre 2021 en tant qu’invité de Radio France Isère, dans une chronique ayant trait à la réserve naturelle des hauts plateaux du Vercors :

« Curieusement la délibération du conseil départemental du 31 mai comprend une convention avec une association dénommé « La Diane de l’Isère » pas encore déclarée officiellement. Les élus ont donc voté sans avoir une information complète et transparente…

…En résumé, il s’agit d’ouvrir une chasse privée, réservée à une minorité de chasseurs sur une propriété que tous les contribuables ont financée. Cela ressemble étonnamment à une chasse présidentielle accessible à des invités dans un espace naturel à grande valeur scientifique et paysagère jusque-là totalement protégée…

D’une part on peut craindre que les chasseurs privilégiés, dans ce magnifique espace, demandent la possibilité de sortir des pistes et parking autorisés par le règlement de la réserve car ils seront loin d’un cadavre de cerf à transporter. Il est probable que des cabanes de berger et des refuges financés par la collectivité soient réquisitionnés pour loger des invités…

Pour ma part, je regrette qu’au moment où tout le monde constate la régression de la biodiversité, on ouvre une chasse royale dans une réserve naturelle renommée. On se plaindra ensuite des dégâts de loups sur les hauts plateaux alors qu’on le prive de nourriture. A moins que l’étape suivante consiste à demander leur tir ».

La Cour considère que les affirmations de M. Noblet, portées avec leurs insinuations, relayées par voie de presse, laissent entendre que le président de l’exécutif départemental et son vice-président auraient par leur attitude et à des fins personnelles trompé les élus de l’exécutif départemental, sans que ces derniers disposent d’une information complète et transparente, en ouvrant une chasse privée réservée à une minorité de chasseurs sur une propriété financée par les contribuables du fait de l’acquisition en son temps des parcelles concernées par le département, en réquisitionnant possiblement des cabanes de berger et des refuges financés par la collectivité pour y loger des invités, en favorisant ainsi une chasse royale dans une réserve naturelle renommée.

Dès lors l’ensemble de ces déclarations, aux termes desquelles M. Noblet insinue que M. Barbier et M. Mulyk ont dans l’exercice de leurs fonctions commis des manquements délibérés aux devoirs de leur charge et à la probité qu’implique leurs fonctions, propos largement diffusés par voies de radio et de presse, a eu pour conséquence, ainsi que les premiers juges l’ont exactement apprécié, de troubler leur position professionnelle, caractérisant ainsi l’atteinte portée à leur considération et à leur honneur, faits constitutifs d’une diffamation.

1) Cependant à la date à laquelle les propos litigieux ont été tenus et diffusés, M. Noblet, qui les assume, les justifie par sa volonté d’alerter les contribuables sur la reprise de la chasse dans la réserve naturelle des hauts plateaux du Vercors qu’il a contribué à créer en 1985 et sur laquelle aucune action de chasse n’a été exercé depuis vingt-huit ans.

Et à l’appui de la démonstration de sa bonne foi, il fait valoir en premier lieu un motif légitime d’information.

Les propos de l’intéressé se sont inscrits dans le cadre de ses activités de journaliste écrivain pour la Nature et l’Ecologie, d’ancien fonctionnaire en charge du domaine et de chroniqueur sur une radio publique.

Et il est justifié par le prévenu que la chasse dans un espace naturel sensible, fréquenté par de très nombreux randonneurs, est l’objet de préoccupations comme de contestations légitimes citoyennes et associatives, la question de la réintroduction de la pratique de la chasse étant dans ces conditions un sujet d’intérêt public qui avait toute sa place dans une émission d’information radiophonique.

2) M. Noblet justifie d’une enquête sérieuse contradictoire qui se fonde au préalable sur la délibération du 28 mai 2021 du conseil départemental et son annexe n°15 dont il ressort que pour cette séance de vote, l’exécutif a soumis une demande, listée parmi d’autres, « de valider et d’autoriser la signature de la convention de partenariat pour la régulation des populations de cerfs sur la propriété départementale de la RNN entre l’association La Diane de l’Isère, en cours de constitution, et le département, telle que jointe en annexe 15 » , l’annexe 15 constituant un projet de convention entre le département et une association dite « l’Amicale de chasse, la Diane de l’Isère » dont le siège et le nom du Président n’étaient pas renseignés, les statuts de l’association n’ayant pas été transmis aux élus à ce moment là puisque déposés plus tard le 17 juin 2021.

Or M. Noblet objective que le projet visé dans l’annexe 15 transmis aux élus au mois de mai 2021 ne correspond pas à la convention qui finalement a été signée de la main du Président du département en date du 30 juin 2021 en ce que cette nouvelle convention a été signée entre le Président du département et M. XX pour le compte d’une association dénommée « l’Amicale des agents du département chasseurs de l’Isère » qui a été déclarée en préfecture le 19 juin 2021. Poursuivant ses investigations M. Noblet établit que cette association « l’amicale des agents du département chasseurs de l’Isère » avait procédé à son assemblée générale constitutive dès le 27 mai 2021 en présence du Vice-Président du département M. Mulyk et qu’en conséquence son existence matérielle est antérieure à la délibération du 28 mai précitée. En outre les statuts de l’association prévoient que les Président et Vice-Président du département sont membres de droit du Conseil d’administration tandis que l’article 4 des statuts précise que le président du département est le seul juge pour rejeter une candidature à l’adhésion de l’association.

Au titre de son enquête, M. Noblet s’étonne aussi qu’en 2020 1e conseil départemental de l’Isère n’ait pas demandé l’attribution d’un quota de chasse au cerf sur sa propriété, que l’association l’Amicale des agents du département de l’Isère n’a pas plus sollicité l’attribution d’un plan de chasse pour la campagne 2020/2021 alors que le répertoire des actes officiels de la fédération départementale des chasseurs de l’Isère (FDCl), publié le 03 juillet 2020 et produit aux débats, met en lumière qu’un quota de prélèvement de têtes de grand gibier a été accordé, par la dite fédération, à la CP La Grande Cabane – Le Jas Neuf, détentrice du droit de chasse sur les communes de Gresse-en-Vercors et Chichilianne pour la campagne 2020/2021. Ce quota de chasse a dès lors été accordé à un organisme privé dont M. Noblet souligne que l’existence légale n’est pas prouvée et sur une cabane dont la gestion échet au département, le conseil départemental gérant et entretenant au moins six cabanes sur sa propriété dont la Grande Cabane et le Jas Neuf.

Cette décision de la FDCI est intervenue sur le fondement de l’arrêté ministériel du 11/02/2020 relatif à la mise en oeuvre du plan de chasse et au marquage du gibier et à l’arrêté préfectoral n°38 2020-05-05-002 fixant les quotas du plan de chasse grand gibier pour la campagne cynégétique 2020/2021.

Il résulte de ces énonciations que l’ensemble des éléments factuels rassemblés par M. Noblet fondent valablement les affirmations, au conditionnel, qu’il a porté à la connaissance du public lors de l’émission radiophonique litigieuse, sur la base d’une analyse des possibilités réelles, rendues probables par l’étude des textes et des faits précis, au regard de leur chronologie, de certaines confusions, pouvant faire craindre une volonté de privatiser le droit de chasse au sein de la réserve naturelle en l’absence d’informations claires, précises et complètes apportées en temps utile aux élus à l’occasion de la délibération du mois de mai.

3) M. Noblet justifie de l’absence d’animosité personnelle. Il ne résulte d’aucun élément du dossier et des débats qu’il ait entendu nuire aux président et vice-président du conseil départemental en s’exprimant sur son analyse des délibérations publiques, objet de sa chronique radiophonique.

4) Si l’emploi des termes « chasse présidentielle », « chasse royale » « chasse privée réservée à une minorité de chasseurs privilégiés » avec probable réquisition de « cabanes de berger et de refuges financés par a collectivité », présente un caractère attentatoire à la probité des plaignants, la vivacité des propos, certes caricaturaux, d’un homme engagé en faveur de l’environnement, dans ce contexte de débat d’intérêt public, fondés sur une base factuelle suffisante et animés par un motif légitime d’information sur un sujet sensible, sans animosité personnelle à l’endroit de Messieurs Barbier et Mulyk, et sans excéder les limites de la liberté d’expression, est insuffisant à caractériser à lui-seul, compte tenu de l’expression interrogative et de la recherche d’objectivité dans ses propos par M. Noblet, l’infraction de diffamation.

Et la Cour d’appel conclut :

II ressort de l’ensemble de ces développements que la bonne foi de M. Noblet est ainsi caractérisée, aux termes des propos litigieux, par la légitimité du but poursuivi, l’absence d’animosité personnelle, la prudence et la mesure dans l’expression sur la base d’éléments d’enquête préalable sérieux.

Dès lors que le bénéfice de la bonne foi est accordé à Jean-François Noblet, l’infraction de diffamation ne peut être retenue contre lui dans les propos tenus le 18 octobre 2021.

En conséquence M. Noblet est relaxé des fins de la poursuite.

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