Le recours par l’État aux prestations intellectuelles de cabinets de conseil

Publié le 14 juillet 2023

La Cour des comptes revient sur les très nombreux marchés passés par le gouvernement aux cabinets de conseil entrainant la perte de compétences importantes des services de l’Etat et fragilise le contrôle public sur les politiques gouvernementales. De plus ça coûte très cher et dans de nombreux cas la prestation ne répond pas aux besoins. Cet appel aux cabinets de conseil s’est fortement accéléré sous Macron.

« Pour remplir leurs missions, l’État et ses établissements publics font appel, en appui de leurs propres services et pour des prestations en principe ponctuelles et à forte technicité, à des cabinets privés qu’ils mandatent dans le cadre de marchés publics. Pour près des trois quarts des 890 M€ versés à ce titre par l’État en 2021, les prestations externalisées concernent le domaine informatique. Les autres missions commandées, objets du présent rapport de la Cour, portent sur des prestations de conseil. Elles comportent, à la différence des précédentes, une dimension essentiellement intellectuelle prenant la forme de travaux d’études, de conception, d’accompagnement et d’aide à la mise en œuvre de projets. À la demande de la commission des finances du Sénat, la Cour avait consacré un rapport à ce sujet en 2015, dans lequel elle formulait des recommandations pour corriger un certain nombre de lacunes. Or, plusieurs constats dressés à l’époque sont toujours d’actualité. Si des progrès ont été observés dans la dernière décennie les avancées les plus significatives ont été réalisées dans la période très récente, sous la pression de l’actualité. La circulaire du Premier ministre de janvier 2022 a ainsi introduit une plus grande cohérence. Les modalités de sa mise en œuvre doivent cependant encore être complétées et leur application vérifiée.

Une connaissance imparfaite de la réalité et des enjeux

Il reste difficile d’appréhender précisément le niveau et l’évolution dans le temps du recours aux prestations intellectuelles. Pour une part, cela résulte de l’inadaptation des référentiels comptables et des outils de suivi des dépenses de l’État. L’impossibilité de disposer de données fiables découle aussi, faute d’une définition précise et partagée des différents types de prestations de conseil, de l’hétérogénéité des pratiques et d’interprétations divergentes des nomenclatures utilisées. La définition du périmètre et des modalités de traitement des missions de conseil doit dès lors être précisée et le dispositif de suivi amélioré. Par ailleurs, les dépenses de conseil exposées par les opérateurs, qui assurent pourtant une part majeure de la mise en œuvre des politiques publiques, ne sont pas suivies comme celles des ministères. Tout en tenant compte des statuts juridiques spécifiques de ces entités, un travail d’harmonisation devrait être engagé en ce sens. Il permettrait aussi une consolidation des données.

Un pilotage interministériel mal assuré

Le recours à une prestation externe peut être une solution utile à la préparation et à la mise en œuvre de certains volets des politiques publiques. Cependant, la pratique a pu conduire à un usage inapproprié des missions de conseil. La circulaire du Premier ministre de janvier 2022 a visé à introduire une plus grande cohérence. En dépit des améliorations notables qu’elles apportent, ces orientations n’ont pas toutes un caractère opérationnel. Elles mériteraient d’être complétées, précisant en particulier les circonstances dans lesquelles le recours à un cabinet présente une valeur ajoutée. La circulaire a mis en place un cadre renforcé, qui reprend la plupart des recommandations formulées par la Cour en 2015 et par les récents rapports parlementaires. Cependant, ces nouvelles dispositions exigent une animation interministérielle claire et cohérente, offrant aux gestionnaires des garanties accrues de flexibilité, de sécurité et de prévisibilité, et aux responsables une capacité suffisante de suivi, d’orientation et d’arbitrage. En particulier, le partage des responsabilités d’orientation et de suivi et les modalités pratiques de la coordination entre la direction des achats de l’État (DAE) et la direction interministérielle de la transformation publique (DITP), toutes deux chargées de compétences transversales en ce qui concerne le recours aux cabinets de conseil, doivent être clarifiées, de manière à ce que le recours à des prestataires extérieurs fasse l’objet d’une véritable unité de pilotage.

Une gestion souvent déficiente des marchés de conseil

Dans l’administration, la définition préalable des besoins permettant d’assurer dans des conditions satisfaisantes le pilotage des opérations, la préparation et la négociation des marchés de consultants et l’accompagnement des missions est souvent défaillante. Les pertes de savoir-faire ou d’expérience, mais aussi une identification insuffisante des ressources internes disponibles conduisent les ministères et, dans une moindre mesure, les établissements publics de l’État, à se tourner vers des intervenants extérieurs. L’État devrait se doter de moyens pour que des missions jusqu’alors confiées à des cabinets de conseil privés soient progressivement assurées par des ressources internes ou sous des formes alternatives plus adaptées et moins coûteuses prévues par les dispositifs existants. Par ailleurs, les administrations ont fait un usage très large de la formule des accords-cadres, qui constitue une solution de facilité, parfois au détriment de la précision nécessaire dans la définition des besoins de l’administration. L’option retenue a été de mettre en œuvre les accords-cadres en privilégiant une exécution par l’émission de simples bons de commande, plutôt que par la passation de marchés « subséquents ». Or, ce choix d’exécuter les accords-cadres par simples bons de commande, qui ne s’imposait pas dès lors que la majorité des opérations ne relevait pas de l’urgence, a des conséquences préjudiciables. Dans de nombreux cas, la prestation fournie répond mal aux besoins. Il en résulte également des surcoûts.
Le contrôle par la Cour de plus d’une centaine de marchés de conseil passés et de bons de commande émis entre 2019 et 2022 révèle un recours excessif à certaines procédures ou facilités, des imprécisions, des dépassements d’enveloppes financières ou de délais. La Cour a conduit son instruction sur chacun de ces marchés avec le souci d’apprécier, sans préjudice des suites qui pourraient leur être données par ailleurs, si les anomalies constatées relevaient des cas susceptibles de constituer des infractions sanctionnables par les juridictions financières… »

Mots-clefs : , , ,

Le commentaires sont fermés.