Les conditions indignes de garde à vue visées par le Conseil constitutionnel

Publié le 13 octobre 2023

L’article 62-2 du code de procédure pénale définit la garde à vue comme une mesure de contrainte par laquelle une personne soupçonnée d’avoir commis ou tenté de commettre un crime ou un délit puni d’une peine d’emprisonnement est maintenue à la disposition des enquêteurs. L’article 63-5 du même code prévoit notamment que cette mesure doit s’exécuter dans des conditions assurant le respect de la dignité de la personne.

Le Conseil constitutionnel a été saisi le 18 juillet 2023 par le Conseil d’État d’une QPC (question prioritaire de constitutionnalité) relative à la conformité aux droits et libertés que la Constitution garantit des articles 62-3, 63, 63-5, 154 et 706-88 du code de procédure pénale, question posée par l’association des avocats pénalistes

Résultat de cette QPC, le Conseil constitutionnel juge que, en cas d’atteinte à la dignité d’une personne résultant des conditions de sa garde à vue, le magistrat compétent doit immédiatement prendre toute mesure afin de mettre fin à cette atteinte ou, si aucune mesure ne le permet, ordonner sa remise en liberté.

Les critiques formulées contre ces dispositions du code de procédure pénale :

« L’association requérante, rejointe par une partie intervenante, reprochait à ces dispositions de permettre la mise en œuvre d’une garde à vue dans des conditions indignes, faute de prévoir que la décision de placement ou de maintien en garde à vue doit être subordonnée aux capacités d’accueil et aux conditions matérielles des locaux dans lesquels cette mesure doit se dérouler. Selon elle, ce faisant, le législateur avait méconnu sa propre compétence dans des conditions affectant le principe de sauvegarde de la dignité de la personne humaine et porté une atteinte injustifiée et disproportionnée à ce même principe.

Il était en outre soutenu par une partie intervenante que, pour les mêmes motifs, les dispositions contestées méconnaissaient le droit à un recours juridictionnel effectif et les droits de la défense des personnes en garde à vue.

Le contrôle des dispositions faisant l’objet de la QPC

« Par sa décision de ce jour, le Conseil constitutionnel rappelle que le Préambule de la Constitution de 1946 a réaffirmé et proclamé des droits, libertés et principes constitutionnels en soulignant d’emblée que : « Au lendemain de la victoire remportée par les peuples libres sur les régimes qui ont tenté d’asservir et de dégrader la personne humaine, le peuple français proclame à nouveau que tout être humain, sans distinction de race, de religion ni de croyance, possède des droits inaliénables et sacrés ». Il en ressort que la sauvegarde de la dignité de la personne humaine contre toute forme d’asservissement et de dégradation est un principe à valeur constitutionnelle. Par suite, toute mesure privative de liberté doit être mise en œuvre dans le respect de la dignité de la personne humaine.

Sur ce fondement, le Conseil constitutionnel juge qu’il appartient dès lors aux autorités judiciaires et aux autorités de police judiciaire compétentes de veiller à ce que la garde à vue soit, en toutes circonstances, mise en œuvre dans le respect de la dignité de la personne. À ce titre, elles doivent s’assurer que les locaux dans lesquels les personnes sont gardées à vue sont effectivement aménagés et entretenus dans des conditions qui garantissent le respect de ce principe.

Le Conseil juge qu’il appartient, en outre, aux autorités judiciaires compétentes, dans le cadre des pouvoirs qui leur sont reconnus par le code de procédure pénale et, le cas échéant, sur le fondement des infractions pénales prévues à cette fin, de prévenir et de réprimer les agissements portant atteinte à la dignité de la personne gardée à vue et d’ordonner la réparation des préjudices subis.

À l’aune de ces exigences constitutionnelles, le Conseil constitutionnel relève, en premier lieu, que l’objet même des dispositions contestées de l’article 63-5 du code de procédure pénale est d’imposer que la dignité de la personne gardée à vue soit protégée en toutes circonstances.

En second lieu, il constate que législateur a entouré la mise en œuvre de la garde à vue de différentes garanties propres à assurer le respect de cette exigence.

D’une part, seules les mesures de sécurité strictement nécessaires peuvent être imposées à la personne gardée à vue. Cette dernière bénéficie par ailleurs du droit d’être examinée par un médecin qui se prononce sur l’aptitude au maintien en garde à vue et procède à toutes constatations utiles. En outre, le procès-verbal établi par l’officier de police judiciaire en application de l’article 64 du code de procédure pénale mentionne notamment la durée des repos qui ont séparé ses auditions et les heures auxquelles elle a pu s’alimenter.

D’autre part, la mesure de garde à vue est décidée par un officier de police judiciaire, sous le contrôle de l’autorité judiciaire. Elle s’exécute, selon le cas, sous le contrôle du procureur de la République ou du juge d’instruction. La personne gardée à vue a le droit de présenter à ce magistrat, lorsqu’il se prononce sur l’éventuelle prolongation de la garde à vue, des observations tendant à ce qu’il soit mis fin à cette mesure. Enfin, le procureur de la République doit contrôler l’état des locaux de garde à vue chaque fois qu’il l’estime nécessaire et au moins une fois par an.

En outre, en application de l’article 62-3 du code de procédure pénale, le magistrat compétent doit assurer la sauvegarde des droits reconnus par la loi à la personne gardée à vue et peut notamment, à cet effet, ordonner à tout moment que la personne gardée à vue soit présentée devant lui ou remise en liberté.

Par une réserve d’interprétation, le Conseil constitutionnel juge que, toutefois, en cas d’atteinte à la dignité de la personne résultant des conditions de sa garde à vue, les dispositions contestées ne sauraient s’interpréter, sauf à méconnaître les exigences constitutionnelles précitées, que comme imposant au magistrat compétent de prendre immédiatement toute mesure permettant de mettre fin à cette atteinte ou, si aucune mesure ne le permet, d’ordonner sa remise en liberté. À défaut, la personne gardée à vue dans des conditions indignes peut engager la responsabilité de l’État afin d’obtenir réparation du préjudice en résultant. »

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