Le 7 novembre, l’association I4CE (Institut de l’économie pour le climat) et la Banque Postale ont rendu une étude tirant un signal d’alarme, concernant la nécessité que l’Etat et les collectivités locales mettent en place une stratégie efficace pour atteindre les objectifs nationaux et européens de réduction des gaz à effet de serre. Une forte augmentation des investissements locaux est nécessaire. Les collectivités sont incontournables dans la plupart des feuilles de route de la stratégie nationale bas carbone (SNBC), en raison de leurs compétences obligatoires, notamment dans les mobilités, le logement, l’aménagement du territoire, ainsi que l’étendue de leur patrimoine,
Mais l’étude s’interroge sur la capacité financière des collectivités territoriales à porter les dépenses qui leur incombent pour éviter l’inertie des politiques climatiques.Or en 2023, après deux années d’investissement local dynamique, grâce en partie à la hausse des prix, la conjoncture des finances locales montre des signes potentiellement annonciateurs d’un changement de cycle. Une capacité d’autofinancement des collectivités territoriales s’oriente à la baisse.
La Ville de Grenoble a pris un peu d’avance en augmentant fortement son épargne brute (par l’augmentation de l’impôt local), ce qui lui permet d’augmenter nettement ses investissements.
« I4CE et La Banque Postale se sont réunis pour modéliser une prospective du financement par les collectivités locales de leurs investissements à l’horizon 2030, intégrant un doublement de leurs investissements pour la neutralité carbone. Les quatre scénarios réalisés s’appuient chacun sur un levier de financement prioritaire :
- « Dette » : tout le besoin de financement additionnel est financé par de la dette ;
- « Redirection » : les investissements climat additionnels sont réalisés à la place ou en reportant les investissements habituellement réalisés pour d’autres politiques publiques ;
- « État » : augmentation du soutien de l’État par une indexation de la dotation globale de fonctionnement (DGF) sur l’inflation et par la pérennisation du « fonds vert » au-delà de 2024, à 2,5 Md€ par an sur la période, le reste du besoin de financement additionnel étant couvert par de l’endettement ;
- « Ressources propres » : augmentation des taux de fiscalité locale, augmentation des tarifs, niveau élevé de cessions d’actifs et prélèvement sur le fonds de roulement, le reste du besoin de financement additionnel étant couvert par de l’endettement…
Le mur des investissements locaux pour la transition ne sera franchissable qu’à condition que l’État et les collectivités locales fassent équipe dans des choix politiques difficiles.
Le mur d’investissement à consacrer au climat dans les collectivités locales conduit à un changement structurel de l’équilibre financier issu de la décentralisation, qui nécessitera plus que des ajustements ponctuels. Dans trois scénarios modélisés sur quatre, le niveau total des dépenses d’équipement atteint en 2030 un point haut historique de 80 Md€, contre près de 55 Md€ aujourd’hui.
Des tabous devront donc être brisés aux deux échelles nationale et locale pour créer les conditions de l’accélération d’une action pour le climat à la hauteur des enjeux. En effet, même les collectivités locales qui en font le plus n’en font pas encore assez, et agir davantage suppose systématiquement des choix difficiles pour des investissements qui ne trouvent jamais leur équilibre sans fonds publics supplémentaires. L’étude documente par exemple que les économies d’énergie permises par la rénovation énergétique des bâtiments publics, chiffrées à 1,2 Md€ constants en 2030 par rapport au niveau de 2019, ne contribuent que dans une proportion marginale au financement de la marche d’investissement à gravir.
Le premier de ces tabous concerne l’endettement des collectivités locales. L’encours de dette augmente dans tous les scénarios entre 2022 et 2030, avec une hausse minimale de + 25 Md€ courants dans le scénario « Redirection » et un maximum à + 100 Md€ pour le scénario « Dette », l’emprunt étant mobilisé comme variable d’ajustement après mobilisation des autres leviers.
Le levier de l’endettement ne pourra pas être mobilisé par toutes les collectivités locales à égalité selon leur situation de départ : la réflexion sur leur capacité à atteindre leurs objectifs de transition écologique ne pourra faire l’économie d’une analyse collectivité par collectivité, avec des solutions différentes à trouver pour chacune. Les départements, et plus encore les régions, sur lesquelles reposent notamment de très lourds investissements ferroviaires, font en particulier très vite face à d’importantes difficultés : le délai de désendettement de ces dernières s’établit ainsi selon les scénarios entre plus de huit ans et plus de douze ans en 2030, contre moins de six ans aujourd’hui.
Pousser les collectivités locales à s’endetter davantage suppose également que les élus le veuillent, et d’interroger les freins financiers et extra-financiers qui expliquent bien souvent leur réticence à emprunter. Il repose, côté bancaire, sur la disponibilité du crédit et le maintien de taux d’intérêt abordables. Enfin, il implique de la part de l’État plus de transparence et de cohérence entre les objectifs d’accroissement des investissements pour le climat et ceux de désendettement des administrations locales. La future stratégie pluriannuelle de financement de la transition écologique, annoncée pour 2024, devra être l’occasion de clarifier ce point.
Le deuxième concerne les arbitrages des collectivités locales en faveur de la redirection leurs dépenses. L’accélération de leur action climatique repose sur une recherche accrue d’efficacité de leurs dépenses, en fonctionnement comme en investissement, et sur une réflexion concernant ce qui peut être supprimé ou décalé de plusieurs années sans aggraver démesurément l’état du patrimoine considéré ou mettre à mal d’autres politiques et services publics. Dans ce contexte, la réorientation vers l’action pour le climat des « dépenses brunes » des collectivités doit être érigée en priorité, chantier impossible à conduire tant qu’il n’existera pas entre elles et l’État de vision partagée du sujet.
Le troisième de ces tabous concerne le renforcement du soutien de l’État : un scénario de financement de l’État limité à l’indexation de la DGF sur l’inflation et à la pérennisation du « fonds vert » à 2,5 Md€ par an ne suffit pas, loin s’en faut, à résoudre l’équation financière de l’action climatique des collectivités locales : en 2030, leur encours de dette augmente de + 77 Md€ par rapport à 2022.
Les enjeux identifiés pour s’assurer d’un soutien de l’État à la hauteur de l’enjeu climatique sont, d’une part, de veiller à soutenir la capacité d’autofinancement des collectivités locales, seule susceptible de déclencher un véritable effet de levier en dépense, d’autre part, de s’inscrire le plus possible dans une logique pluriannuelle pour donner de la visibilité aux décideurs locaux. Enfin, il s’agit d’évaluer précisément l’impact des dotations d’investissement ciblées versées aux collectivités locales, en particulier celles issues du « fonds vert », afin notamment de connaître leur effet incitatif réel.
Le quatrième et dernier tabou concerne la mobilisation des ressources propres, notamment fiscales et tarifaires, des collectivités locales, qui fait reposer sur l’usager et le contribuable local une partie du coût de la transition. Le scénario « Ressources propres » prend par exemple pour hypothèse une augmentation du taux de la taxe foncière sur les propriétés bâties de + 6 % en 2027, ainsi qu’une hausse relativement forte des tarifs payés par les usagers, des cessions d’actifs à leur plus haut niveau et un prélèvement annuel récurrent de 2,3 Md€ sur le fonds de roulement. Il s’agit là d’hypothèses ambitieuses qui nécessitent malgré tout une augmentation de + 35 Md€ de l’encours de dette entre 2022 et 2030 pour équilibrer les budgets.
Alors que les leviers fiscaux restant à disposition des collectivités se sont amenuisés au fil du temps, ce levier de financement produit des effets budgétaires puissants mais pose d’épineux problèmes d’équité et de cohérence avec d’autres objectifs environnementaux, comme celui de « zéro artificialisation nette » des sols.
Mobiliser un fonds de roulement aujourd’hui très élevé au sein des collectivités locales, notamment les plus petites, ou conduire de véritables politiques de sobriété immobilières permettant des cessions d’actifs constituent d’autres leviers étudiés dans ce rapport…
Un changement de méthode paraît nécessaire pour piloter l’action climatique au regard des contraintes liées aux finances locales, ou piloter les finances locales au regard de l’urgence climatique.
Les principes qui pourraient gouverner cette amélioration indispensable de la qualité du débat sur les finances locales sont les suivants :
- mieux connaître la hauteur du mur de dépenses pour le climat reposant sur les collectivités locales: cette évaluation doit reposer sur des données publiques actualisées et transparentes découlant des documents de planification écologique de l’État, et porter tant sur l’investissement que le fonctionnement ;
- inscrire ces besoins dans une stratégie pluriannuelle des financements publics pour le climat, intégrant de façon explicite les besoins des collectivités locales par échelon, et les leviers de financements associés. Côté collectivités territoriales, des plans pluriannuels d’investissement (PPI) de mi-mandat seraient utiles pour lancer davantage de projets, et veiller au maintien d’un niveau élevé d’investissement jusqu’à 2030 au moins ;
- renforcer les instances de dialogue et de pilotage entre État et collectivités locales de façon à lier de façon systématique les discussions sur la transition, qui doivent comporter un volet « financement » et celles sur les finances locales, qui doivent tenir compte de l’urgence climatique. »
Mots-clefs : climat, collectivités, investissements