« Le vert et le rouge : l’émergence du mouvement écologiste grenoblois, fin des années 1960 -juillet 1976. »  Suite

Publié le 29 mars 2024

Sous forme de série, chaque semaine, nous proposons des extraits de ce travail de recherche effectué par Josselin SIBILLE en 2012.

4. L’information

Un élément caractérise alors les maoïstes grenoblois, c’est la priorité accordée à la lutte sur le front de l’information – ou plutôt de la contre-information, car leur principal objectif est de lutter contre le monopole du Progrès-Dauphiné Libéré[1]. Suite à la création d’un « comité anti-intox » sur le campus en 1970, les maoïstes multiplient les journaux. Cette dynamique aboutit en 1971 au lancement du journal Vérité Rhône-Alpes, supplément local de la Cause du peuple puis de J’accuse[2]. C’est cette expérience qui leur permet à partir de 1974 de jouer un rôle majeur au sein de la contre-information écologiste grenobloise.

Dès 1971, les comités Secours Rouge se multiplient[3], et l’on voit apparaître les comités de Pont-de-Claix, de la Mure (petite ville minière située sur le plateau de la Matheysine, à trente kilomètres au Sud de Grenoble) ou de la Drôme, chacun se dotant d’un organe d’information. Bien que parfois éloignés géographiquement, ces comités fonctionnent de manière coordonnée, voire centralisée tant l’influence du comité grenoblois est déterminante[4]. Au cours de l’année 1971, une série d’événements fournit aux maoïstes l’occasion de développer un discours sur les questions environnementales. Deux éléments le caractérisent : une vision très « classiste », mettant l’accent sur les inégalités des individus face aux problèmes environnementaux, et une défiance vis-à-vis de l’État et des pouvoirs publics. On peut essayer de l’analyser à partir de trois axes : la question des risques (naturels et industriels), la question de la pollution, et enfin celle du rapport à la nature. C’est d’abord la question des risques naturels qui est posée. Entre le 25 et le 29 janvier 1970, la Drôme et toute la moyenne vallée du Rhône connaissent des chutes de neige très importantes (60 à 80 cm) suivies d’une vague de froid particulièrement intense[5] bloquant toute circulation sur l’autoroute A7 entre Montélimar et Valence. Plus de 3 000 véhicules sont abandonnés par leurs conducteurs, qui sont rapatriés alors par la SNCF ou hébergés d’urgence dans les villages voisins. Certains villages se retrouvent coupés du monde extérieur pendant huit jours. Le Secours Rouge de la Drôme met en cause directement les pouvoirs publics, accusés notamment de n’avoir pas fermé l’autoroute assez tôt, et de ne pas avoir pris les mesures dc sécurité nécessaires. Pour les maoïstes, la catastrophe n’est pas environnementale, elle est organisationnelle. C’est l’État et le capitalisme qui créent la vulnérabilité des populations, pas l’environnement. Quelques mois plus tard, le 4 mai 1971 à la Mure, dans la galerie du Devay une explosion coûte la vie à huit mineurs.

Le Secours Rouge réaffirme dans le numéro 2 de Colère matheysine[6] :

« Certes, il y a toujours un élément naturel dans une catastrophe : le feu, le gaz, le mauvais temps. La catastrophe elle-même serait naturelle si elle pouvait toucher n’importe qui. Or on constate que dans ce genre de drames, ce sont toujours les mêmes, les pauvres, les petites gens, les travailleurs qui sont victimes. […] Non, les catastrophes ne sont pas naturelles, car elles sontle tribut payé au travail, travail imposé par une société dont les intérêts sont contraires à ceux des travailleurs. »


[1] Michel de Bernardy de Sigoyer, op. cit.

[2] Ces deux journaux constituent au niveau national l’organe de presse de la Gauche Prolétarienne officiellement dissoute entre 1971 et 1974.

[3] En 1972, au moins 7 groupes grenoblois utilisent le sigle. Cf AD38, Fonds Boisgontier, carton 27.

[4] Entretien avec Raymond Avrillier, 26/03/2012.

[5] L’événement a été analysé par les géographes : Marcel Jail « Note préliminaire sur les chutes de neige dans la moyenne vallée du Rhône, du 26 au 29 décembre 1970 », Revue de géographie alpine. 1971, t.59, n°3, p. 351-362 et Gérard Staron, « Chronologie des catastrophes neigeuses dans le sud-est de la France », Revue de géographie de Lyon, v. 66, n°3-4, 1991, p. 143-150.

[6] Colère Matheysine n°2, 24 mai 1971, AD38, PER1771/1.

Mots-clefs : , ,

Le commentaires sont fermés.