Le vert et le rouge : l’émergence du mouvement écologiste grenoblois, fin des années 1960 -juillet 1976.Suite

Publié le 19 avril 2024

Sous forme de série, chaque semaine, sont proposés des extraits de ce travail de recherche effectué par Josselin SIBILLE en 2012.

7. Le courant autogestionnaire : du cadre de vie à l’environnement ?

À Grenoble au début des années 1970, les groupes locaux du PSU et de la CFDT entretiennent des relations complexes avec les autres forces politiques, qu’il faut appréhender afin de saisir leur rôle au sein des luttes environnementales, et plus tard du mouvement écologiste. Une partie de leurs militants est tout d’abord très proche de l’extrême gauche. Cela vaut autant pour les militants du PSU, dont certains participent aux réunions du Secours Rouge[1], que pour les syndicalistes de la CFDT, qui trouvent parmi les maoïstes, des alliés de circonstance dans la lutte qu’ils mènent contre la CGT au sein des usines[2]. Dans le même temps, les deux organisations restent intimement liées aux pouvoirs locaux. On sait que le PSU participe de la coalition qui permet à Hubert Dubedout de devenir maire de Grenoble en 1965, et que la nouvelle municipalité reste tout au long des années 1970 très attachée aux questions du cadre de vie et de la démocratie locale si chères au PSU[3].

Ce n’est qu’en 1974 que Jean Verlhac, premier adjoint au maire, quitte le PSU pour le parti socialiste. De la même manière, une partie des dirigeants locaux de la CFDT entretiennent des liens étroits avec la municipalité[4], mais aussi avec le Centre d’étude nucléaire de Grenoble (CENG). C’est le cas notamment d’Yves Droulers, ingénieur au CENG, dirigeant de l’union départementale CFDT jusqu’en 1965 puis adjoint d’Hubert Dubedout. Tout au long de la période, les deux organisations réalisent donc un grand écart constant entre des militants aux idées et modes d’actions foncièrement différents. Déterminer la manière dont ces tensions internes influencent la prise en compte des questions environnementales par la Nouvelle Gauche à l’échelle locale, nécessiterait un travail plus approfondi. Très tôt, dès 1970, les groupes locaux du PSU et de la CFDT mettent chacun en place une commission dédiée au « cadre de vie »[5]. Elles mènent ainsi un travail de réflexion sur les « conditions de vie hors l’usine » : urbanisme, logement, transports, mais aussi santé et action sociale. Cette réflexion s’accompagne parfois d’actions plus concrètes. En 1972, elles se mobilisent au côté des maoïstes pour exiger des mesures de protection pour les piétons et cyclistes, qui traversent chaque jour la rocade Sud de Grenoble en un point où les accidents se multiplient.[6]

Comme l’a montré Renaud Bécot dans un article récent[7], ces préoccupations pour le cadre de vie sont assurément un pont vers le développement de préoccupations environnementales. Cela ne signifie pas pour autant que le passage de l’un à l’autre soit automatique. Alors qu’au niveau national le PSU fait figure de pionnier sur la question environnementale, cela est moins évident à Grenoble. Au moment où les maoïstes diffusent leur journal sur le parc des Écrins et posent la question de la protection de la nature, le PSU grenoblois publie un numéro « spécial neige : main basse sur les 7 Laux »[8] Il accuse M. Paquet, député de la circonscription, de créer une station pour les riches et de faire le lit des groupes financiers. Face à cela, les « travailleurs » doivent exiger la création de véritables stades de neige, accessibles à tous. Pas un mot dans le journal qui ne traduise alors l’ombre d’une préoccupation environnementale[9].

La convergence au sein des luttes écologistes

À partir de 1974, on assiste à la convergence de militants issus de tous ces courants, au sein des premières luttes écologistes grenobloises. Très concrètement, des militants venus d’horizons complètement différents sont donc amenés à se rencontrer et à travailler ensemble. Réunions, manifestations, élaborations de journaux en commun, actions politiques diverses et variées sont autant de moments qui contribuent à tisser un vaste réseau de militants et à enclencher une dynamique collective autour des questions environnementales. Ainsi considéré, le mouvement écologiste rassemble bien au-delà des militants strictement écologistes, dont il est d’ailleurs très difficile de distinguer ce qui fait la spécificité. En effet, la plupart de ceux qui se disent écologistes sont directement issus des tendances gauchistes, environnementalistes ou autogestionnaires, et militent encore au sein de ces organisations. Rendant la distinction encore plus difficile, les écologistes n’existent pas en tant que groupe organisé avant la création de la section locale des Amis de la Terre en mai 1976. Avant cette date, les écologistes évoluent donc soit au sein d’organisations non spécifiquement écologistes, soit au sein de collectifs très informels ou en dehors de toute structure. À partir de 1974, l’émergence du mouvement écologiste grenoblois s’organise autour de trois axes principaux : la presse de contre-information écologiste qui s’attache à dénoncer les problèmes environnementaux locaux pour développer une critique plus globale, la défense de deux sites locaux menacés, l’un par l’ouverture d’une carrière de gravier, l’autre par un champ de tir militaire, et enfin la lutte anti-nucléaire, qui se concentre très tôt sur fa contestation du surgénérateur Superphénix.


[1] AD38, Fonds Boisgontier, carton 26.

[2] Claire Brière-Blanchet, op. cit. p. 173

[3] Bernard Bruneteau, « Le « mythe de Grenoble » des années 1960 et 1970 un usage politique de la modernité », Vingtième siècle, revue d’histoire, n°58, avril-juin 1998, p. 111-126

[4] Franck Georgi, L’invention de la CFDT, 1957-1970, Préface d’Antoine Prost, Éditions de l’Atelier/Éditions Ouvrières, 1995 p. 272.

[5] Archives de l’union départementale dc la CFDT de l’Isère, AD38, 51J52 ; PSU information, journal de la section grenobloise du PSU, notamment les numéros 2, 3 et 12, AD38, PER 1786/1.

[6] Réponse à une enquête de la commission nationale « cadre de vie » dc la CFDT en novembre 1972, AD38, 51J52.

[7] Renaud Bécot, « L’Invention syndicale de l’environnement dans la France des années 1960 », Vingtième Siècle, revue d’histoire, n°113, janvier 2012.

[8] Les Sept Laux sont un domaine skiable à proximité de Grenoble

[9] PSU Information n°5, décembre 1071, AD38, PER 1786/1

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