Un rapport d’information parlementaire sur un nouvel acte de décentralisation

Publié le 19 avril 2024

Depuis les lois de décentralisation de 1983, il y a des interrogations fréquentes sur leur nécessaire évolution. Le 10 avril 2024 est rendu public un rapport de la délégation aux collectivités territoriales et à la décentralisation de l’Assemblée nationale. Parmi les 7 experts auditionnés par la délégation figure Nicolas Kada, professeur de droit public à l’université de Grenoble et codirecteur du Groupement de recherche sur l’administration locale en Europe (GRALE) ; il est aussi adjoint au maire de Grenoble, vice-président du CCAS.

Il ressort de ce rapport qu’une majorité existe à l’Assemblée nationale pour le vote d’une réforme de l’organisation des pouvoirs locaux, avec un certain nombre de lignes directrices qui concerneraient notamment la différenciation qui est reconnu dans la loi 3DS ou le développement du pouvoir réglementaire local. La position des différents groupes d’élu-es est retracée dans ce rapport.

Voici ses extraits de l’avant-propos du président de la délégation : 

«… Dans sa présentation devant l’Assemblée nationale, le 27 juillet 1981, du projet de loi relatif aux droits et libertés des communes, des départements et des régions, Gaston Defferre, ministre de l’intérieur et de la décentralisation, estimait au contraire qu’il était « temps de donner aux élus des collectivités territoriales la liberté et les responsabilités auxquelles ils ont droit ». La « liberté » et la « responsabilité » sont précisément les principes autour desquels pourrait s’organiser la réponse aux attentes actuelles des Français en matière de décentralisation. 

La première des libertésdes collectivités territoriales consisterait à pouvoir s’affranchir des contradictions issues des dévolutions de compétences effectuées successivement depuis 1983. 

Une collectivité territoriale serait ainsi habilitée, dans des limites fixées par la loi et par un accord local, à intervenir dans des domaines relevant en principe d’une autre strate, ce qui lui permettrait de répondre à des besoins spécifiques exprimés par les citoyens. Par exemple, il pourrait être pertinent que les métropoles assument, si elles le souhaitent, les compétences sociales des départements pour le ressort de leur territoire. Quelles que soient les compétences en jeu, l’initiative doit revenir à l’échelon local et les transferts doivent faire l’objetd’un accord entre les collectivités concernées

Un tel mécanisme éviterait ainsi aux élus locaux de rester enfermés dans un schéma de répartition des compétences devenu obsolète et, ainsi, permettrait de donner corps au principe de différenciation reconnu par la loi « 3DS » en son article premier. 

Compte tenu des facilités offertes par ce dispositif, il ne paraît, en revanche, ni nécessaire, ni souhaitable de s’engager dansla voie, éminemment délicate, du bouleversement institutionnel. La suppression d’une strate et la mise en place d’élus communs à deux échelons, à l’image du conseiller territorial envisagé en 2010, semblent donc devoir être écartées. 

La deuxième des libertés locales réside, naturellement, dans la capacité d’une collectivité territoriale à fixer elle-même les conditions d’application d’une norme fixée au niveau national, c’est-à-dire à disposer d’un pouvoir réglementaire élargi, pour des raisons d’efficacité. 

En 2020, une mission « flash » menée dans le cadre de la délégation par les députées Monica Michel et Patricia Lemoine avait préconisé le renvoi plus systématique aux assemblées délibérantes locales pour la mise en œuvre de compétences décentralisées. On pourrait, par exemple, imaginer que les régions et les communautés de communes, désignées autorités organisatrices de la mobilité (AOM) en application de la loi d’orientation des mobilités (LOM), puissent fixer à leur niveau les obligations incombant aux fournisseurs de services numériques multimodaux, alors que la loi se contente actuellement de renvoyer sur ce point au pouvoir réglementaire national. 

La troisième des libertés locales, qui est également un facteur de responsabilité, consiste à redonner aux élus la capacité de définir eux-mêmes le niveau des ressources nécessaires à la mise en œuvre des politiques publiques qu’ils souhaitent mettre en œuvre au niveau local. 

Tocqueville lui-même avait fait du pouvoir de « voter l’impôt » le critère essentiel d’une décentralisation réussie. Sur ce point, il convient de reconnaître que, si les collectivités conservent une autonomie financière, les réformes successives de la fiscalité locale ont abouti à priver les régions (dès 2010) puis les départements surtout, du « pouvoir de taux » dont ils disposaient autrefois au travers des « quatre vieilles ». En revanche, les communes ont, au sein du bloc communal, conservé une autonomie fiscale significative contrairement aux idées reçues. Le rapporteur général de la commission des finances, Jean-René Cazeneuve, évaluait à 29,5 % en 2021 le taux d’autonomie fiscale de l’ensemble des collectivités territoriales et, s’agissant des seules régions, à moins de 10 %. 

Dès lors, il pourrait être décidé d’attribuer aux collectivités territoriales la possibilité d’instaurer une nouvelle contribution au service public local, acquittée par l’ensemble des habitants du territoire concerné. Le taux de cette contribution pourrait, naturellement, être modulé à la hausse ou à la baisse par décision de l’organe délibérant. L’électeur pourrait ainsi faire le lien entre la contribution financière dont il devra s’acquitter et le service public qui lui est proposé. 

Une autre aspiration consisterait à sortir du cadre des dotations de fonctionnement de l’État aux collectivités territoriales dans leur état actuel, car il est devenu incompréhensible, même pour ses meilleurs experts. Une répartition d’impôts nationaux liée à certaines compétences pourrait ainsi se substituer à une partie des dotations. 

Bien évidemment, l’extension du champ des libertés locales doit aller de pair avec la responsabilité qui s’attache au respect des lois. En ce sens, il paraît essentiel de « réarmer » l’État déconcentré en renforçant sa capacité à accompagner les élus dans l’exercice de leurs compétences nouvelles, dans le respect de leur capacité de décision. 

Enfin, afin de donner au représentant de l’État une plus forte légitimité dans son dialogue avec les collectivités locales et la mobilisation des services déconcentrés, il pourrait être envisagé de placer le préfet sous l’autorité directe du Premier ministre… »

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