Une concertation préalable sur l’extension de STMicroelectronics

Publié le 19 avril 2024

Une concertation préalable a été mise en place par la Commission Nationale du Débat Public (CNDP) concernant l’extension du site de STMicroelectronics à Crolles fortement soutenu par l’Etat. Elle se termine le 19 avril 2024.

Dans ce dossier tout va de travers depuis de longues années, et la direction de ST ainsi que le préfet de l’Isère considèrent qu’il est possible de réaliser un tel investissement de 7 milliards d’euros sans respecter les règles imposées par la Constitution, les lois et les règlements qui s’imposent aux ICPE (Installation Classée pour la Protection de l’Environnement) et évidemment aux ICPE les plus dangereuses pour l’environnement, classées Seveso seuil haut, comme ST.

Lors de l’enquête publique qui s’est déroulée du 28 août au 9 octobre 2023, dans le rapport de la commission d’enquête du 16 novembre 2023 on apprend que jamais ST n’a sollicité la CNDP concernant la création en 2014 de l’unité permettant de graver des wafers de 300 mm, ni pour cette extension ! ST ne connait pas la loi. Mais le pire c’est que le préfet de l’Isère lui non plus ne connait pas la loi. Car si le maitre d’ouvrage ne sollicite pas la CNDP, le préfet doit le faire.

Devant ces informations surprenantes, la CNDP a réagi en décembre 2023 et a recommandé à ST d’abandonner sa demande d’autorisation environnementale et d’entrer dans un processus respectant les règles. Mais la CNDP, au lieu d’imposer un débat public qui serait organisé par elle, se contente de proposer à ST d’organiser une concertation préalable beaucoup plus rapide et moins contraignante pour le maître d’ouvrage.

On ne peut que regretter que la CNDP n’ait pas expliqué ce choix important car la loi lui impose de motiver ses décisions.

Comme d’habitude ST n’entend pas suivre les recommandations de la CNDP, dans le dossier de concertation, elle n’abandonne pas son ancienne demande d’autorisation environnementale en espérant que le préfet, qui est aux ordres du président de la République et du gouvernement qui entendent aller vite, signera cette autorisation rapidement. La CNDP a pourtant précisé que ST devrait redéposer une demande d’autorisation environnementale.

L’entreprise SOITEC qui est voisine de ST et dont l’agrandissement était aussi soumis à une concertation préalable vient de suspendre son projet. Le 10 avril 2024, la CNDP a suspendu la concertation préalable en attendant une éventuelle reprise du projet.

Pour celles et ceux qui s’interrogent sur les règles qui doivent être respectées pour obtenir une autorisation environnementale, un guide juridique officiel présente le cadre législatif et réglementaire de la participation du public pour les projets, plans et programmes qui relèvent d’une évaluation environnementale.

La participation du public dans le cadre de l’évaluation environnementale (PDF – 4.82 Mo)

L’ADES a transmis le document suivant aux garants de la concertation préalable nommés par la CNDP, à ST et au préfet de l’Isère :

Une concertation préalable qui va servir à quoi ?

La lettre de mission des garants de la concertation fait un rappel des objectifs de la concertation préalable :

« Le champ de la concertation est particulièrement large puisque l’article L121-15-1 du code de l’environnement précise que celle-ci doit permettre de débattre :

  • de l’opportunité, des objectifs et des caractéristiques du projet ;
  • des enjeux socio-économiques qui s’y attachent ainsi que de leurs impacts significatifs sur l’environnement et l’aménagement du territoire ;
  • des solutions alternatives (non seulement techniques), y compris pour un projet, de l’absence de mise en œuvre ;
  • des modalités d’information et de participation du public après concertation préalable »

Or dans le dossier de concertation préalable, il n’y a aucun élément concernant les modalités d’information et de participation du public après cette concertation. A quoi va-t-elle réellement servir ?

Il est légitime que le public qui s’intéresse aux concertations ou aux débats publics préalables, puisse comprendre l’utilité de ce processus. 

La lecture du dossier de concertation ne donne à ce sujet aucune information précise.

Par définition du code de l’environnement, une concertation préalable est nécessairement suivie d’une demande d’autorisation environnementale qui doit être transmise « pour avis à l’autorité environnementale, ainsi qu’aux collectivités territoriales et à leurs groupements intéressés par le projet. » (Article L 121-1 du code de l’environnement). Et ceci avant que soit organisée une enquête publique.

Ces différentes modalités manquent totalement dans le dossier

Le maitre d’ouvrage, STMicroelectronics, considère seulement qu’après que le bilan soit tiré par les garants et qu’il y aura répondu, il n’aura plus qu’à attendre la décision de réalisation de l’extension prévue. Pour lui c’est la dernière étape avant l’autorisation environnementale : « il entend obtenir une autorisation environnementale pour réaliser l’extension de l’entreprise au deuxième semestre 2024 ». Alors d’ailleurs que l’extension est déjà réalisée conformément au code de l’urbanisme, le permis de construire ayant été délivré.

Contrairement aux exigences des lois et des règlements, le dossier de concertation est muet à ce sujet

Le dossier du maitre d’ouvrage pour la concertation préalable est très incomplet

Dans ce dossier de concertation préalable tout va de travers. Pourtant notre Constitution et nos lois sont très claires et exigeantes sur la participation du public concernant les questions environnementales.

Comme l’indique l’article 7 de la Charte de l’environnement qui fait partie depuis 2004 du bloc constitutionnel de la France :

« Toute personne a le droit, dans les conditions et les limites définies par la loi, d’accéder aux informations relatives à l’environnement détenues par les autorités publiques et de participer à l’élaboration des décisions publiques ayant une incidence sur l’environnement. »

De nombreux documents manquent pour que cette concertation préalable corresponde aux règles imposées par le code de l’environnement.

Un court rappel du déroulement de ce qui s’est passé dans le dossier d’extension du site de ST, qui va faire ressortir des irrégularités multiples par rapport aux règles

C’est le 9 mai 2022 que tout commence :  ST demande une autorisation environnementale pour son extension.

Une copie de cette demande n’est pas jointe au dossier de concertation.  Nous demandons une copie de cette demande.

Le 17 février 2023 est rendu l’avis de l’autorité environnementale (MRAE d’Auvergne Rhône-Alpes) sur cette demande.

Il manque dans le dossier au moins la référence à cet avis très critique sur de nombreux points, il est important que le public ait eu connaissance de cet avis provenant d’une institution importante dont l’indépendance est garante de la pertinence de ses avis.

Le 2 juin 2023, un rapport de la DREAL-Isère estime que le dossier de ST était complet. Il manque ce rapport et nous en demandons copie.

Le 16 juin 2023, à la demande du préfet, le tribunal administratif de Grenoble désigne une commission d’enquête.

Le 19 juillet 2023, le préfet décide d’une enquête publique du 28 août au 9 octobre 2023.

Le 16 novembre 2023 la commission d’enquête rend son rapport et ses conclusions. La commission alerte sur l’absence de procédure préalable à l’enquête publique, par l’absence de demande de ST et absence de la part du préfet. La commission se contente de regretter cet état de fait, sans en tirer la moindre conséquence !

Cette information manque dans le dossier de concertation

La commission d’enquête indique dans son rapport l’absence de saisie de la CNDP :

« 1.2.4. Concertation et consultation préalable à l’enquête publique

La loi prévoit deux principales procédures pour les projets dont elle est saisie : le débat public (organisé par la CNDP) ou la concertation (organisé par le porteur de projet mais sous l’égide de la CNDP). Dans les deux cas, la CNDP détermine les modalités de participation du public.

Pour les projets de grande ampleur (seuil haut) « La saisine est obligatoire pour les projets supérieurs à six cents millions d’euros. Le code de l’environnement précise que cette somme concernant le coût des projets intègre les bâtiments, les infrastructures et les équipements ».

Le débat public organisé par la CNDP permet de débattre de l’opportunité, des objectifs et des caractéristiques principales du projet, des enjeux socio-économiques qui s’y attachent ainsi que de ses impacts sur l’environnement et l’aménagement du territoire. Il permet également de débattre des solutions alternatives au projet, y compris l’absence de mise en œuvre.

Dans son mémoire en réponse au procès-verbal des observations, STMicroelectronics a confirmé que la CNDP n’a pas été saisie ni pour cette extension, ni en 2014 lors de création de la nouvelle unité C300E, affirmant que le projet envisagé est un prolongement d’un projet autorisé en 2015 à l’issue d’une enquête publique.

Toutefois, les textes prévoient qu’en cas de défaut de saisine de la CNDP par le demandeur, il revient au Préfet ou ses services de l’effectuer. La commission regrette que cette possibilité n’ait jamais été mise en œuvre.

Réunion d’échange et d’information

La commission d’enquête regrette qu’aucune concertation volontaire n’ait pas été conduite auprès de la population. D’autant plus que le comité d’agrément ne comprend pas de représentants des associations, de la population, comme des syndicats. Le maître d’ouvrage confirmant dans le dossier d’enquête et lors de la réunion publique qu’aucune réunion n’a eu lieu depuis le 15 décembre 2015. »

C’est seulement en décembre 2023 que la CNDP apparait dans ce dossier suite à l’enquête publique.

Il manque dans le dossier un document important pour l’information du public, l’avis de la CNDP du 6 décembre 2023 qui « Recommande que : le maître d’ouvrage du projet abandonne sa procédure en cours de demande d’autorisation environnementale du projet et saisisse la CNDP pour la mise en place d’une participation préalable du public, qui n’a pas eu lieu. »

L’article L121-1 du code de l’environnement précise les missions de la CNDP :

« II.-La Commission nationale du débat public veille au respect de bonnes conditions d’information du public durant la phase de réalisation des projets dont elle a été saisie jusqu’à la réception des équipements et travaux et, pour les plans et programmes mentionnés au I, jusqu’à leur adoption ou approbation.

Elle peut, de sa propre initiative, ou saisie par un président de commission particulière du débat public ou par un garant mentionné à l’article L. 121-1-1, demander la réalisation d’études techniques ou d’expertises complémentaires. Sa décision est rendue publique.

Elle conseille à leur demande les autorités compétentes et tout maître d’ouvrage ou personne publique responsable sur toute question relative à la participation du public tout au long de l’élaboration d’un plan, programme ou projet.

La Commission nationale du débat public a également pour mission d’émettre tous avis et recommandations à caractère général ou méthodologique de nature à favoriser et développer la participation du public. »

Suite à cet avis, c’est seulement le 1er février 2024, que ST a saisi la CNDP sur son projet d’extension.

Le courrier de cette demande n’est pas joint au le dossier de concertation préalable, le maître d’ouvrage ne semble pas avoir suivi la recommandation de la CNDP, d’abandonner « sa procédure en cours de demande d’autorisation environnementale du projet ». Nous demandons communication de la demande de ST à la CNDP.

Comme s’il y avait une urgence (non motivée), la CNDP décide très rapidement, dès le 7 février 2024, d’organiser une concertation préalable sous l’égide de trois garants. Alors que la CNDP a un délai de deux mois pour décider de la procédure à adopter ainsi que le précise l’article L.121-9 du code de l’environnement : « lorsque la CNDP estime qu’un débat public n’est pas nécessaire, elle peut décider de l’organisation d’une concertation préalable… La Commission nationale du débat public se prononce dans un délai de deux mois sur la suite à réserver aux saisines prévues aux I, II et IV de l’article L. 121-8. Sa décision est motivée… »

La décision du 7 février 2024 de la CNDP n’est pas jointe au dossier de concertation :

Le compte rendu de cette réunion est le suivant

« Décision du 7 février 2024

Présentation par : STMicroelectronics France Sophie Burel, directrice des relations institutionnelles Frédérique Le Greves, présidente Eric Gerondeau, directeur du site à Crolles

Par courrier transmis le 1 er février 2024, STMicroelectronics a saisi la CNDP sur le projet d’extension du site de production de semi-conducteurs à Crolles.

Les responsables de projet présentent le contexte et les caractéristiques techniques du projet. Ils présentent les enjeux socio-économiques et les impacts du projet et rappellent qu’une enquête publique a eu lieu récemment sur ce projet. Les échanges entre les membres de la Commission et les responsables de projet ont porté sur l’utilisation de l’eau, les coûts annoncés, l’explication de la diversité des montants communiqués, notamment par voie de presse et l’ampleur des besoins actuels réels de semi-conducteurs.

Après délibération à huis clos, la Commission nationale décide d’organiser une concertation préalable sous l’égide de M. Denis CUVILLIER, Mmes Florence JAFFRENOU et Véronique MOREL. »

Par contre dans la décision parue au journal officiel on découvre qu’il est indiqué :

« Considérant que :

  • le projet d’agrandissement de l’entreprise STMicroelectronics représente de très forts enjeux environnementaux locaux et des enjeux socio-économiques et d’aménagement d’intérêt national et européen ;
  • l’article L.121-1-A du code de l’environnement dispose que la participation du public à l’élaboration des plans, programmes et projets ayant une incidence sur l’environnement est préalable au dépôt de la demande d’autorisation d’un projet ;
  • l’article R.121-10 du code de l’environnement dispose que le compte-rendu de la concertation est joint par le maître d’ouvrage au dossier d’enquête publique ; la présente participation préalable du public doit être suivie d’une nouvelle demande d’autorisation environnementale pour satisfaire aux obligations du code de l’environnement… »

Or cette précision très importante n’apparait pas dans le dossier de concertation préalable.

Cette décision de la CNDP prise en urgence ne comporte pas de motivation sur le choix de la procédure qui a été choisie, comme si la concertation préalable était plus adaptée que le débat public sur cette autorisation environnementale.

Or ce choix n’est pas anodin, puisque contrairement au débat préalable qui est organisé par la CNDP (autorité indépendante), la concertation préalable l’est par le maitre d’ouvrage qui est juge et partie, vu qu’il est visiblement très pressé d’avoir l’autorisation environnementale pour obtenir la mise en route rapide de l’extension.

Le dossier de concertation précise à ce sujet : « Le marché des semiconducteurs est marqué par un contexte concurrentiel mondial et est particulièrement cyclique. Le délai d’exécution est donc une composante essentielle du projet. Dans ce contexte, STMicroelectronics a dû prévoir une cadence de construction de l’extension du site compatible avec ses contraintes et ses engagements vis-à-vis de l’Etat et afin de permettre le démarrage d’exploitation au deuxième semestre 2024 (sous réserve des autorisations nécessaires). »

Il s’agit d’un plaidoyer pour et par ST, contraire à la régularité de procédure.

La décision de la CNDP, telle que publiée, n’est pas motivée et le huit clos n’est pas prévu dans le règlement intérieur de la CNDP applicable le 7 février 2024. Ainsi le public n’a pas la possibilité de connaitre la motivation complète de cette décision, ce qui est contraire à la loi.

Il manque pour une information complète, la communication du compte rendu des débats de la CNDP du 7 février 2024 qui explicite le choix effectué en urgence. Nous demandons une copie du compte rendu de cette réunion avec les motivations complètes qui ont conduit à cette décision d’organiser une concertation plutôt qu’un débat public

Conclusion : ce dossier de concertation préalable accepté par la CNDP en urgence,  ne permet pas de savoir ce qui va suivre, alors que la CNDP disait très clairement qu’une nouvelle demande d’autorisation environnementale devra être faite par ST pour respecter le code de l’environnement. Tout est présenté fallacieusement comme si, pour la première fois une concertation préalable ne serait pas suivie d’une procédure en aval qui exigerait une nouvelle demande d’autorisation environnementale par un maitre d’ouvrage.

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Un commentaire sur “Une concertation préalable sur l’extension de STMicroelectronics”

  1. […] dans le cas de l’extension de STMicroelectronics, il y a eu du flottement (c’est le moins qu’on puisse dire) dans l’application des règles […]