Au moment où les décisions budgétaires vont probablement augmenter l’austérité, l’économiste Thomas Piketty dans un article du Monde du 15 septembre tort le cou à la pensée dominante qui la prône : « Disons-le d’emblée : le rapport sur la compétitivité et l’avenir de l’Europe remis par Mario Draghi à la Commission européenne va dans la bonne direction. Pour l’ancien président de la Banque centrale européenne (BCE), l’Union européenne (UE) doit réaliser à l’avenir 800 milliards d’euros d’investissements supplémentaires par an – l’équivalent de 5 % de son produit intérieur brut (PIB) –, soit environ trois fois le plan Marshall (entre 1 % et 2 % du PIB en investissements annuels dans l’après-guerre)…
On peut être en désaccord avec Mario Draghi sur plusieurs points essentiels, en particulier sur la composition précise de l’investissement en question, ce qui n’est pas rien. Il reste que ce rapport a l’immense mérite de tordre le cou au dogme de l’austérité budgétaire…
En réalité, ce dogme austéritaire repose sur un non-sens économique. D’abord parce que les taux d’intérêts réels (nets de l’inflation) sont tombés à des niveaux historiquement bas en Europe et aux Etats-Unis depuis une vingtaine d’années : moins de 1% ou 2%, voire parfois des niveaux négatifs. Cela traduit une situation où il existe une énorme manne d’épargne peu ou mal utilisée en Europe et à l’échelle mondiale, prête à se déverser dans les systèmes financiers occidentaux quasiment sans rendement. Dans une telle situation, c’est le rôle de la puissance publique de mobiliser ces sommes pour les investir dans la formation, la santé, la recherche, etc. Quant au niveau de la dette publique, il est effectivement très élevé, mais pas sans précédent : il avoisine celui observé en France en 1789 (environ une année de revenu national), et il est nettement inférieur à ceux constatés au Royaume-Uni après les guerres napoléoniennes et au XIXe siècle (deux années de revenu national) et dans l’ensemble des pays occidentaux à l’issue des deux guerres mondiales (entre deux et trois années).
Or, ce que montre l’histoire est que l’on ne fait pas face à de tels niveaux de dette avec des méthodes ordinaires : il faut des mesures exceptionnelles, comme des prélèvements sur les plus hauts patrimoines privés, tels que ceux appliqués avec succès en Allemagne et au Japon dans l’après-guerre. Quant les taux d’intérêts remonteront, il faudra faire de même en mettant en contribution les multimillionnaires et les milliardaires. Certains diront que c’est impossible, mais en réalité il s’agit d’un simple jeu d’écriture sur des ordinateurs. Il n’en va pas de même du réchauffement climatique ou de défis de santé publique ou de formation, qui ne se règleront pas d’un simple trait de plume…