Les préfets, partenaires engagés auprès des opérateurs économiques, peuvent-ils rester neutres et défendre les valeurs de la République ?

Publié le 11 juin 2021

C’est le fond des échanges riches lors de la conférence de presse organisée en webinaire le 9 juin, sur le thème de la démocratie environnementale, par Brigitte CHALOPIN, Présidente de la Compagnie nationale des commissaires enquêteurs, Guillaume GONTARD, Sénateur de l’Isère, Corinne LEPAGE, Avocate, ancienne Ministre de l’environnement, Gilles MARTIN, Professeur émérite de droit de l’Université Côte d’Azur, Michèle RIVASI, Députée européenne, et Gabriel ULLMANN, ex Commissaire-enquêteur.

Les enquêtes publiques peuvent-elles être conduites en toute indépendance ? La priorité donnée à l’économie garantit-elle l’impartialité des préfets chargés d’organiser les consultations du public sur des projets d’aménagements pouvant porter des atteintes à l’environnement ?

 La radiation de Gabriel Ullmann, en tant que commissaire-enquêteur, après avoir émis un nouvel avis défavorable sur un projet sensible (projet Inspira en Isère) pose la question des pressions croissantes qui s’exercent sur les commissaires enquêteurs et peuvent en remettre en cause le principe même. Les conséquences dommageables pour l’environnement et la démocratie participative en seraient multiples.

 Les autorités publiques décisionnaires sont-elles devenues des partenaires d’acteurs économiques, animées avant tout de la volonté de faire aboutir le projet de ces mêmes partenaires ? Comment peut-on être à la fois tutelle et partenaire ? Quelle signification aurait, dans ces conditions, des lois nouvelles comme la loi climat ou le projet de réforme de la Constitution ?

La radiation de Gabriel Ullmann, en tant que commissaire enquêteur (voir ici) met en lumière les conflits d’intérêts qui règnent au sein des commissions d’aptitude des commissaires-enquêteurs. Ce sont autant de graves atteintes à l’impartialité de ces commissions. Tout comme à la liberté d’expression. Les entraves à la démocratie environnementale se multiplient depuis plusieurs années, la régression du droit de l’environnement s’amplifie en même temps que s’épanchent les discours contraires.

Le Défenseur des Droits rend une analyse très détaillée et un avis, en date du 30 novembre 2020, portant sur les conditions de la radiation. En premier lieu, il rejoint le jugement du tribunal administratif de Lyon sur l’absence de tout manque d’impartialité de la part de Gabriel Ullmann :

Par suite, comme le précise le Défenseur des Droits dans son avis, ce jugement ne peut qu’être regardé comme confirmant l’atteinte injustifiée à la liberté d’expression et la discrimination dont a été victime Gabriel Ullmann en retenant, comme l’a fait la commission de radiation, son prétendu manque d’impartialité, par le simple fait qu’il publie des articles ou des ouvrages sur l’évolution du droit de l’environnement.

Campagne de dénigrement et d’atteinte à l’indépendance des commissaire enquêteurs par les préfets de l’Isère et de la Savoie

  • Les attaques de la part du préfet de l’Isère à l’encontre de Gabriel Ullmann sont multiples, avant, pendant la procédure de radiation, mais aussi par la suite, par courriers et voies de presse. Les attaques sont les suivantes :
  • dénigrement dans l’exercice de mes fonctions de commissaire enquêteur ;
  • atteinte à l’indépendance du commissaire enquêteur ;
  • discrimination dans la procédure de radiation en qualité de commissaire enquêteur 
  • atteinte à la liberté d’expression ;
  • atteinte et entrave au droit d’accès aux documents administratifs portant sur les conditions de ma radiation en qualité de commissaire enquêteur et les prises de position du préfet de l’Isère quant à celle-ci.
  • A l’occasion d’une enquête plus ancienne, en Savoie, le fait d’avoir émis un avis défavorable, a conduit à des attaques de la part du préfet de l’époque de la Savoie. A savoir :
  • dénigrement dans l’exercice de mes fonctions de commissaire enquêteur ;
  • atteinte à l’indépendance du commissaire enquêteur ;
  • atteinte et entrave au droit d’accès aux documents administratifs.

Les représentants du préfet, dont un sous-préfet, n’avaient pas hésité à coorganiser une réunion publique, sans en avoir informé l’intéressé, pour mettre notamment en cause les conclusions de Gabriel Ullmann relatives à un projet d’irrigation de pâturage, à Valcenis, dont une partie en cœur de parc national. Situation déjà exceptionnelle en soi. Elle est encore davantage quand, à cette occasion, ils n’ont pas hésité à le dénigrer publiquement, mais aussi à assurer au public réuni pour la circonstance, qu’ils « étaient présents pour affirmer leur soutien au projet » et « leurs volontés de le voir aboutir ».

Comme dans le dossier Inspira, dans la mesure où la Préfecture de la Savoie était l’autorité compétente pour instruire le dossier d’enquête, organiser l’enquête publique puis délivrer l’autorisation, mais aussi chargée du contrôle du respect des prescriptions, tel soutien et telle volonté permettent légitimement de s’interroger sur la question de conflits d’intérêts, laquelle est, aux termes de la loi du 11 octobre 2013 relative à la transparence de la vie publique, constituée toutes les fois où il existe une « situation d’interférence entre un intérêt public et des intérêts publics ou privés qui est de nature à influencer ou à paraître influencer l’exercice indépendant, impartial et objectif d’une fonction ».

M. Barbier n’a cessé de procéder à des campagnes de dénigrement à l’encontre de Gabriel Ullmann et de mettre en cause son indépendance, dans le cadre de ses activités de commissaire enquêteur. Il a récidivé à l’occasion de l’annulation de l’autorisation environnementale du projet Inspira. Procédure dans laquelle M. Ullmann n’est pourtant pas partie, ni intervenant, ni à l’initiative.

Ce fut encore le cas le 5 mai 2021, quand M. Barbier, qui s’est présenté cette fois comme également président d’Isère Aménagement, diffuse largement un communiqué de presse à la suite de l’annulation précitée. D’entrée, gratuitement, il ne peut s’empêcher de s’en prendre à lui et d’entretenir sciemment la confusion entre les requérants et lui-même, entre la commission d’enquête et lui-même et en taxant les conclusions défavorables unanimes de la commission de « dossier à charge ».

Bien au-delà du cas personnel, de façon bien plus fondamentale ces affaires illustrent la situation dans laquelle s’inscrivent culturellement maints préfets : d’un côté se positionner comme des opérateurs économiques, être partenaires et défenseurs de projets, de l’autre, instruire les dossiers, organiser les enquêtes, délivrer les autorisations et contrôler leur respect, pour les projets dont ils sont eux-mêmes partie prenante. La question et de savoir, outre les aspects importants du droit et de la démocratie, si l’un peut se faire sans que ce soit au détriment de l’autre.

Le cas Inspira est emblématique : le préfet de l’Isère n’était pas simplement chargé de l’instruction de la demande, de l’organisation de l’enquête, et de la délivrance de l’autorisation, mais également partie prenante dans le projet Inspira. Sur le site internet Inspira (https://www.espace-inspira.fr/decouvrir/les-acteurs/les-partenaires/), la Préfecture de l’Isère est expressément identifiée comme « Partenaire » et présentée comme « moteur » avec voix au chapitre dans le « pilotage stratégique », en mobilisant dans ce cadre tous ses services :

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