Les relations entre l’Etat et les gestionnaires de structures d’hébergement

Publié le 11 octobre 2024

C’est le titre d’un rapport de la Cour des comptes rendant ses observations définitives sur les conditions de l’hébergement des personnes sans-abri durant les années 2007 à 2013. Les dépenses de l’Etat avaient très fortement progressé jusqu’à atteindre plus de 3 milliards d’euros en 2023. Malheureusement ceci est dramatiquement insuffisant puisque certaines collectivités, comme la ville de Grenoble, prennent à leur charge une partie de ces dépenses imposées par la loi pour assurer l’hébergement d’urgence.

La Cour des comptes pointe les manquements de l’Etat et alerte sur la nécessité de renforcer le pilotage des structures d’hébergement. Elle dénonce aussi une « stratégie de court terme » qui détériore la qualité de l’accueil des personnes sans abri.

Ce rapport devrait aider les quelques grandes villes, dont Grenoble, qui ont intenté des recours pour se faire rembourser leurs dépenses à ce titre.

La politique d’hébergement relève de la compétence de l’État et est organisée autour de deux dispositifs définis en fonction du profil des personnes sans domicile :

  • les dispositifs généralistes pour lesquels l’accueil inconditionnel de toute personne en situation de détresse est la règle ;  
  • les dispositifs en faveur des étrangers ayant déposé une demande d’asile et bénéficiaires de la protection internationale : réfugiés, bénéficiaires de la protection subsidiaire ; la protection subsidiaire est attribuée à l’étranger qui ne remplit pas les conditions d’obtention du statut de réfugié et qui prouve qu’il est exposé dans son pays à un risque de peine de mort, de torture, ou de violence résultant d’un conflit armé.

Ils se différencient de dispositifs de logement ou de logement accompagné en ce qu’ils accueillent des résidents sans signature de bail, donc sans garantie de maintien dans les lieux.

Voici la synthèse de ces observations définitives de la Cour des comptes :

L’hébergement des personnes sans-abri s’est fortement développé depuis le début des années 2000, face à la croissance continue des besoins. En dix ans, les crédits de l’État attribués à ce secteur ont triplé, s’élevant à 3,2 Md€ en 2023, et financent un parc qui a doublé, atteignant 334 000 places. Ce parc a pour vocation d’assurer le droit à un hébergement d’urgence pour « toute personne sans-abri en situation de détresse médicale, psychique ou sociale » (Article L. 345-2-2 du code de l’action sociale et des familles).

Cette politique publique se subdivise en un hébergement d’urgence de droit commun, qui comprend les deux tiers des places, et est piloté par la délégation à l’hébergement et à l’accès au logement -Dhal) ; et l’hébergement spécifique aux demandeurs d’asile pour le dernier tiers, piloté par la direction générale des étrangers en France – DGEF). Les établissements d’accueil sont en pratique gérés essentiellement par des organismes associatifs financés par l’État.

Dans ce contexte de forte croissance, les outils de pilotage de l’hébergement par l’État et les relations de ce dernier avec les associations se sont renforcés ces dernières années. En particulier, le pilotage des crédits sur l’hébergement d’urgence généraliste a été resserré et l’attribution de places d’hébergement aux personnes sans-abri a fait l’objet d’un renforcement notable, à la fois du fait de la mise en place des services intégrés d’accueil et d’orientation (SIAO) uniques par département et par les développements du système d’information de l’Office français de l’immigration et de l’intégration (Ofii). Les relations entre Etat et organismes gestionnaires de l’hébergement restent néanmoins marquées par un certain nombre de limites. Pour y faire face, il appartient désormais à l’État de définir la stratégie qu’il entend mener, puis de piloter ces partenaires pour s’assurer de sa bonne mise en œuvre, et de la qualité de la prestation rendue.

En pratique, l’État poursuit essentiellement deux stratégies distinctes : une stratégie d’accueil et de répartition des demandeurs d’asile sur le territoire, répondant aux contraintes propres au dispositif d’accueil des demandeurs d’asile, et une orientation générale en faveur du « logement d’abord » promue par la Dhal, sans y traiter de manière spécifique le segment le plus en dynamique, relatif à l’hébergement dit « d’urgence ». Or, cette politique sur le mode de la gestion d’urgences temporaires a jusqu’à ce jour été pilotée comme si les flux pouvaient s’inverser ou se tarir, alors qu’ils n’ont fait que se consolider et s’intensifier. L’État a procédé ainsi à la fois pour des raisons opérationnelles, pour des raisons d’affichage politique, et pour exercer une forme, d’ailleurs assez illusoire, de maîtrise de la dépense budgétaire. Il a privilégié le recours à la subvention annuelle plutôt qu’à la contractualisation pluriannuelle ou à l’autorisation d’établissements et services sociaux et médico-sociaux (ESSMS) de nature plus pérenne ; le recours à des modes d’hébergement incluant moins d’accompagnement social ; et enfin des pratiques de sous-évaluation et de gel de crédits, systématiquement corrigées en fin de gestion faute de pouvoir véritablement maîtriser les déterminants de cette dépense.

Par ailleurs, l’État ne s’est pas donné les moyens de suffisamment connaître la solidité et la qualité des prestations des organismes auquel il faisait appel et dont il a alimenté la forte croissance. Le paysage associatif qui assure l’hébergement pour son compte est partagé entre une multitude de petits acteurs locaux, et quelques grands organismes présents sur l’ensemble du territoire, et les contrôles organiques menés par la Cour révèlent, parmi ces grands organismes, un degré de maturité variable quant au pilotage de leur réseau d’établissements (budgets et comptabilité, ressources humaines, qualité de service). L’État s’est ainsi mis en risque d’avoir à organiser leur sauvetage le cas échéant, car ceux-ci ont acquis une dimension systémique qui rend le donneur d’ordres captif de son prestataire.

L’État ne s’est pas non plus véritablement doté des principes directeurs, des effectifs ou encore des outils de suivi permettant un contrôle de la réalité et de la qualité de la prestation rendue. Au demeurant, le cloisonnement administratif entre l’hébergement des demandeurs d’asile et celui de droit commun n’a pas facilité la création d’une vision transversale des acteurs par une mise en commun de l’information au sein de l’administration.

Plus spécifiquement, la Dhal a pâti jusqu’à récemment d’une attention insuffisante portée à ses outils et à ses moyens. Administration de mission construite au soutien de la politique du « logement d’abord », qui a connu un triplement de ses effectifs en huit ans (en liaison avec l’attribution de nouvelles missions), elle doit encore développer ses compétences et souffre d’une gestion encore éclatée de ses effectifs.

Enfin, le mode de pilotage par l’État de cette politique repose sur un large recours au subventionnement annuel qui, s’il présente l’avantage d’afficher une dépense aisément réversible, ne correspond plus au renforcement nécessaire des exigences publiques vis-à-vis des organismes gestionnaires de l’hébergement. De plus, les tentatives de régulation budgétaire infra-annuelle ont eu pour seul résultat d’insécuriser les partenaires associatifs et de mobiliser sur des tâches bureaucratiques des effectifs déconcentrés qui auraient été mieux employés au contrôle des organismes et à la construction de partenariats efficaces dans la durée.

Ces nombreuses limites du cadre subventionné, actuellement majoritaire, imposent aujourd’hui une transformation plus fréquente des places d’hébergement dit d’urgence en places d’ESSMS, qui doit être conçue pour s’opérer à coût maîtrisé. Quant au recours aux nuitées hôtelières, il doit s’inscrire pleinement dans le cadre de la commande publique.

Sur ces différents sujets, de premiers efforts d’amélioration sont en cours : les administrations ont engagé un dialogue entre elles et avec les grands opérateurs ; elles commencent à concevoir les outils nécessaires au contrôle des prestations fournies ; elles ont la volonté d’abandonner le recours à la subvention qui ne permet pas de s’inscrire dans une relation fondée sur la qualité de service, et de limiter aux situations d’urgence le recours aux nuitées hôtelières.

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