Le reportage d’ « Envoyé spécial » diffusé sur France 2 le 26 septembre dernier intitulé « Villeneuve, le rêve brisé » avait suscité un émoi considérable à Villeneuve suivi d’une volonté collective de réagir face à ce déversement de clichés uniquement à charge contre ce quartier encore marqué par le sinistre discours de Grenoble de N. Sarkozy du 30 juillet 2010 (voir un précédent billet ici). Après avoir pris attache avec Me Fourrey, avocat spécialisé dans le droit à l’image, les habitants ont pris la décision de porter plainte pour diffamation contre « France Télévisions », sûrs de leurs droits mais aussi pour donner un écho national à leur protestation.
Immédiatement s’est posée la question : qui serait le mieux à même de déposer plainte en ayant le plus de chances d’être recevable en justice ? En effet en matière de diffamation le plaignant doit être directement et même nommément l’objet des propos supposés diffamatoires. Comment représenter un quartier comme Villeneuve qui n’a pas de personne morale à sa tête ? Rapidement l’idée que la Ville de Grenoble serait la plus à même de porter cette plainte a été évoquée. Le maire de Grenoble M. Destot a alors été contacté pour agir en ce sens dans les délais impartis. A une lettre du groupe des élus Écologie et Solidarité, il a répondu le 13 janvier dans un long courrier dont nous citons les passages justifiant son refus de déposer plainte :
« Nous entendons aussi de nombreux témoignages de citoyens et d’élus qui ont salué le reportage pour sa vérité et son courage », souligne le Directeur général à l’information (de France Télévisions) dans le courrier qu’il a adressé à Jérôme Safar le 15 octobre. Pour lui l’éthique journalistique est sauve, la caméra ne triche pas. Arguer du contraire en justice en mettant en cause la parole de tel ou tel jeune ayant accepté de témoigner dans ce reportage serait la solution pour le Maire de Grenoble ? Je ne le crois pas. Face à ce type de désinformation, qui n’est pas l’apanage des journalistes et auquel j’ai du faire face à de multiples occasions au cours de mes trois mandats l’honneur du politique passe par les faits, la vérité du terrain. »A défaut de la Ville, c’est donc finalement l’ « association des habitants de la Crique sud – Villeneuve-Arlequin » qui a accepté de déposer plainte. Une collecte a permis rapidement de recueillir la somme nécessaire pour contribuer aux frais de justice. Lire le dossier de presse décrivant la plainte déposée est lire ici.
Suite au procès qui a eu lieu le 15 mai, donnons la parole aux habitants de Villeneuve qui ont porté cette action:
« Plus de 200 personnes étaient présentes, des habitants de la Villeneuve mais aussi d’autres quartiers de Grenoble et d’autres villes de l’Agglo et même d’ailleurs avaient fait le déplacement (…). Comme on pouvait s’y attendre l’avocat de la partie adverse a porté la question sur un point de droit : la légitimité de l’association des habitants de la Crique Sud à se porter partie civile d’une part et à faire reconnaitre la diffamation à son encontre d’autre part dans la mesure où elle n’est pas citée dans le reportage(…). Pour cela le tribunal devra trancher… Si la plainte est jugée recevable, alors il y aura jurisprudence et ce sera un précédent. D’autres associations des quartiers populaires pourront aller en justice (…). Reste la question de la « trahison » dénoncée par les habitants et reprise par les témoins au procès – les objectifs tels qu’annoncés par la journaliste aux personnes qu’elle rencontrait et ce qu’elle montre dans le reportage. Pour la procureure, le Ministère public, la « trahison » est bien réelle. »
Le jugement sera rendu public le 26 juin. Nous y serons à nouveau avec des centaines d’habitants. Espérons seulement que le refus du maire d’aller en justice ne sera pas l’origine d’un rejet mais que la plainte sera jugée au fond comme l’a déjà fait le CSA (lire le billet précédent ici).
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