Radiation du commissaire enquêteur Gabriel Ullmann : un important jugement et le Défenseur des droits saisi

Publié le 31 mai 2019

Nous avions attiré l’attention sur l’atteinte à la démocratie lors de la radiation en décembre 2018, d’un commissaire enquêteur (M. Ullmann) à la demande du préfet de l’Isère M. Lionel Beffre. Cela faisait suite au refus du président du Tribunal administratif de Grenoble de l’évincer de la commission d’enquête Inspira, à la demande de M. Barbier, président du département et maître d’ouvrage du projet Inspira concernant l’aménagement de la zone industrialo-portuaire de Salaise-sur Sanne et Sablons en Isère. Le maitre d’ouvrage concessionnaire est Isère Aménagement, dépendant du département de l’Isère, présidé par Christian Coigné, et appartenant au groupe ELEGIA dont le PDG est M. Barbier.

La Commission d’enquête présidée par M. Ullmann a donné un avis défavorable à l’unanimité sur ce projet. A la suite de quoi, il avait été radié des fonctions de commissaire-enquêteur (voir ici). Ce dernier a déposé en février 2019 un recours contre cette radiation. Non seulement Isère aménagement refuse de lui payer les vacations liées à cette enquête, malgré le rappel à l’ordre du président du tribunal administratif le 16 janvier dernier, l’ordonnance ayant force exécutoire, mais son président Coigné avait fait un recours contre l’ordonnance qui taxe ces vacations.

Rappelons que la boucle est bouclée quand le président d’Isère Aménagement fait un recours en octobre contre les vacations du président de l’enquête concernant son projet… suivi de peu par la décision de la commission de radiation, dont M. Coigné fait partie, qui considère alors, le 6 décembre, que M. Ullmann doit être radié parce que notamment, vu ses investigations pour la complète information du public, cela se traduirait par un coût trop élevé pour les maîtres d’ouvrage. Et cela, alors même que le dossier de saisine du préfet ne comporte aucun grief financier et que le code de l’environnement impose : « La commission doit, au préalable, informer l’intéressé des griefs qui lui sont faits et le mettre à même de présenter ses observations » (R. 123-41).

Le tribunal administratif de Lyon a rendu le 23 mai 2019 un jugement déboutant en tous points Isère aménagement de son recours contre les vacations taxées au bénéfice de M. Ullmann*. Le Tribunal a fait droit par contre à l’ensemble de l’argumentation de ce dernier, ce qui devrait grandement le servir pour son recours contre sa radiation, par le fait même qu’Isère Aménagement avait repris des arguments du préfet pour la radiation de M. Ullmann, notamment sur le fait que ce dernier aurait outrepassé ses fonctions. Le Tribunal lui a signifié un démenti, comme suit :

« Il résulte cependant de l’instruction que la commission d’enquête a, conformément au champ d’application d’une enquête publique relative à une opération susceptible d’affecter l’environnement, procédé à une analyse de la dispense d’évaluation de la MRAE. De même pouvait-elle, avant l’ouverture de l’enquête publique, entendre toute personne dont l’audition lui apparaissait utile afin d’informer le public et d’émettre un avis circonstancié, en toute connaissance de cause. En outre, cette commission a défini sa mission en distinguant la faisabilité du projet, qui relève de son domaine d’intervention au titre de l’utilité publique du projet, et sa fonctionnalité, pour chacune des sept procédures concernées par l’enquête publique, ce qui n’a pas manqué de créer des difficultés pour l’exercice de cette mission. En tout état de cause, compte tenu des enjeux du projet Inspira, la commission d’enquête pouvait se prononcer sur sa faisabilité, ses inconvénients et ses risques. Dans ces conditions, eu égard à la complexité du projet ici en cause, à son importante technicité, aux difficultés variées qui en ont résulté pour la conduite de l’enquête, notamment à sa durée, portée à quarante-cinq jours, et à la charge de travail qu’elle a nécessairement occasionnée, à la nature et à la qualité du travail fourni par la commission d’enquête, telle qu’elle résulte en particulier du dossier d’enquête, y compris ses conclusions, le nombre de vacations retenu par les décisions contestées n’apparaît pas excessif. »

Il condamne en plus Isère Aménagement à payer 1 400 € à M. Ullmann.

Isère Aménagement ne contestera pas l’analyse et la décision du Tribunal, puisqu’elle a fait savoir qu’elle ne ferait pas appel.

Ce jugement est très important car c’est la reconnaissance des missions et des prérogatives d’une commission d’enquête, qui avaient été niées et même retenues contre Gabriel Ullmann par la commission de radiation de décembre 2018. C’est aussi la reconnaissance de la qualité de son travail pour le dossier Inspira. Dans sa décision du 29 avril 2019, la Cour administrative d’appel de Lyon a retenu également de son côté l’utilité des conclusions de la commission d’enquête, présidée par M. Ullmann, relative au projet de Center Parcs à Roybon**

Ce serait bien que cela fasse jurisprudence car les lois et règlements ne sont pas assez précis sur ces prérogatives, d’où la plupart des commissions d’enquêtes qui se contentent de survoler les dossiers et qui ne cherchent pas l’information complète qui est due au public sur ces dossiers d’importance pour leurs impacts sur l’environnement.

Mais ce dossier est loin d’être fini, puisque l’ancienne ministre de l’environnement Delphine Batho a saisi le Défenseur des droits, qui a retenu cette demande et l’instruit, pour qu’il rende son avis sur les conditions de la radiation de M. Ullmann et sur sa réintégration en tant que commissaire-enquêteur, considérant le caractère partial et illégal de cette radiation “directement liée à l’avis défavorable rendue par la commission d’enquête”.


*C’est le tribunal de Lyon qui a pris en charge le recours puisque c’est le Président du tribunal administratif de Grenoble qui a décidé du montant de l’indemnité due à M. Ullmann ; il fallait donc dépayser le traitement de ce recours.


**(CAA Lyon, 29 avril 2019, SNC ROYBON COTTAGES, n° 18LY04149).

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