Mise en cause de commissaires enquêteurs (suite)

Publié le 3 décembre 2021

Avec le nouveau recours de Gabriel Ullmann, concernant l’enquête Val-Cenis, l’affaire rebondit sur l’ancien préfet de l’Isère.

Les mesures de rétorsion contre les rares commissaires enquêteurs qui n’hésitent pas à émettre des avis défavorables lorsqu’ils le jugent nécessaires ont trouvé leur summum dans l’affaire Inspira (voir ici). Mais cette affaire a mis en lumière un autre dossier, tout aussi démonstratif, qui, bien que plus ancien, connaît des rebondissements actuels.

Gabriel Ullmann avait conduit l’enquête publique à Lanslebourg et Lanslevillard-Mont-Cenis (73), du 26 septembre 2018 au 28 octobre 2016, en vue de la réalisation d’un réseau d’irrigation par aspersion pour des pâturages, nécessitant des travaux et des prélèvements dans plusieurs torrents de montagne, dont l’un était situé dans le cœur du parc national de la Vanoise. Suite à ses conclusions, le préfet de la Savoie n’avait pas hésité à aussitôt adresser un courrier au Président du tribunal administratif de Grenoble, pour remettre ouvertement en cause la probité et l’impartialité de Gabriel Ullmann.

Le Président du tribunal administratif de Grenoble n’avait pas jugé utile de tenir compte de cette mise en cause ouverte de l’impartialité de Monsieur Ullmann, ni d’y répondre.

Puis, une réunion publique a été conjointement organisée par le maître d’ouvrage du projet et la préfecture de la Savoie, sans que Gabriel Ullmann n’en ait été informé, pour soutenir ouvertement le projet et affirmer publiquement qu’il s’agissait d’un « commissaire enquêteur partial ».  On atteint là un autre summum : celui d’orchestrer la mise en cause publique de la probité et de l’indépendance d’un commissaire enquêteur qui a eu l’heur de déplaire par son avis défavorable.

Dans la mesure où le préfet de la Savoie était l’autorité compétente pour instruire le dossier d’enquête, organiser l’enquête publique puis délivrer l’autorisation, tel soutien et telle volonté permettent dès ce stade de sérieusement s’interroger s’il pouvait être impartial et objectif vis-à-vis de Gabriel Ullmann, à la suite de l’avis défavorable de celui-ci. Et s’il n’existait pas, compte tenu de l’implication de la Préfecture de la Savoie dans le projet d’irrigation à Val-Cenis et de ses liens étroits avec le maître d’ouvrage, une situation de conflits d’intérêts. Laquelle est, aux termes de l’article 2 de la loi du n° 2013-907 du 11 octobre 2013 relative à la transparence de la vie publique, constituée toutes les fois où il existe une « situation d’interférence entre un intérêt public et des intérêts publics ou privés qui est de nature à influencer ou à paraître influencer l’exercice indépendant, impartial et objectif d’une fonction ».

Cette interrogation est d’autant plus forte quand on apprend la suite. Après l’avis défavorable du Conseil scientifique du parc national de la Vanoise, et alors que l’Autorité Environnementale avait soulevé plusieurs insuffisances, parmi lesquelles la problématique des zones humides, l’instructrice du dossier à la DDT a expressément répondu au représentant du maître d’ouvrage, qui lui demandait s’il fallait reprendre le dossier en conséquence :

« Il n’y a pas de sujet zone humide, on poursuit la procédure (lancement EP) avec le dossier en l’état. (…) Globalement, les différents points soulevés dans l’avis AE ont vocation à être traités via les prescriptions (suivis…) dans le futur AP. Dès que j’en sais plus sur le lancement effectif de l’enquête publique, je te tiens informée ».

Le questionnement cède sa place à l’affirmation s’agissant du comportement de la préfecture de la Savoie vis-à-vis de Gabriel Ullmann lors de la réunion publique précitée, au cours de laquelle elle n’a pas hésité, publiquement et en l’absence organisée de Gabriel Ullmann, à réitérer mais aussi à aggraver les attaques auparavant formulées auprès du Président du tribunal administratif de Grenoble, en mettant publiquement en cause l’impartialité et la probité de Monsieur Ullmann dans l’exercice de ses fonctions.

Ces contre-vérités sont d’autant plus intentionnelles que compte tenu de leurs fonctions, leurs auteurs ne pouvaient évidemment ignorer que, contrairement à ce qu’ils ont laissé croire à un public non averti, convoqué pour la circonstance, le commissaire enquêteur a l’obligation d’émettre un avis personnel dans ses conclusions. Cela n’a pas empêché le préfet de la Savoie de reprendre ces propos devant le CODERST, lors de sa consultation dans le cadre du projet.

Dans l’intervalle, la commune de Val-Cenis avait contesté le montant de l’indemnisation allouée à Gabriel Ullmann, par le Président du tribunal administratif Grenoble, pour son activité de commissaire-enquêteur lors de l’enquête publique. Elle alléguait notamment « le manque d’impartialité et de neutralité dont a fait preuve Monsieur Ullmann tout au long de cette enquête ».

Le tribunal administratif de Lyon a expressément jugé que l’impartialité de Monsieur Ullmann « n’a pas à être remise en cause contrairement à ce que soutient la commune de Val-Cenis »(TA Lyon, 6 juillet 2017, Cne de Val-Cenis, n° 1700581).

Mais ce ne fut pas tout. Gabriel Ullmann a sollicité du préfet de la Savoie communication de tous les échanges (courriers et courriels) entre la DDT de la Savoie et les principaux acteurs du projet. Suite au refus du préfet il a été contraint de saisir la CADA, laquelle a déclaré la demande sans objet au motif que ces documents avaient été… détruits !

C’est pour toutes ces raisons que Gabriel Ullmann a déposé un autre recours en indemnité, cette fois contre le préfet de la Savoie. Dans l’ordonnance de renvoi du recours au Conseil d’Etat (en vue du dépaysement du dossier), le Président du tribunal administratif de Grenoble souligne expressément les « agissements du préfet de la Savoie (…) qui a remis en cause l’objectivité de M. Ullmann ». Le constat est on ne peut plus clair et explicite.

C’est dans ce contexte délétère, que l’ancien préfet de la Savoie avait entrepris d’adresser, en catimini, la lettre précitée au Président du tribunal administratif de Grenoble, afin de discréditer Gabriel Ullmann à la suite de son avis défavorable.

Alors même que le précédent préfet de l’Isère, Lionel Beffre, avait été parfaitement informé de toute cette situation, dans le cadre de sa campagne de dénigrement. (Voir ). Il s’est pour autant emparé de cette lettre pour en faire ostensiblement mention à certains de ses interlocuteurs, et notamment à des tiers. Faisant fi au passage de son obligation de confidentialité. Mais cela ne s’est pas arrêté là, puisqu’il leur a fait croire que « le préfet de la Savoie avait fait un signalement » à l’encontre de Gabriel Ullmann. Terme très négativement orienté et connoté, que l’actuel préfet de l’Isère tente de réfuter maintenant en précisant que le préfet Beffre ne voulait évidemment pas parler de « signalement » dans le sens que tout le monde l’entend…

Il reste au juge d’apprécier ce genre de comportement.

Mots-clefs : , ,

Le commentaires sont fermés.